L’étude, que se partagent plusieurs associés, se situe à Morges, au bord du lac, dans une vieille bâtisse. Le bureau de Franco del Pero intrigue. On pensait ses quartiers chics et stricts. Au premier coup d’œil, ils le paraissent. Le coin de la pièce réservé aux rendez-vous est imposant et dépouillé. Mais le regard de la visiteuse est vite happé par la table de travail à proprement parler. Partout, des classeurs éparpillés, des plumes utilisées ; un désordre plaisant.
L’endroit incarne à merveille un parcours au double visage. A la fin des années 60, Franco del Pero entame un cursus de droit, parallèlement à des études en histoire de l’art, latin et français. Au bout de quelques années, l’étudiant, qui s’autofinance et cumule les jobs, abandonne les Lettres pour se consacrer au droit. «J’ai fait un choix de raison.»
Longtemps, Franco del Pero se destine à une carrière d’avocat, puis à la magistrature ; une tragédie familiale en décide autrement. Le décès de sa femme et la priorité d’élever leur fils seul l’amène vers le notariat. «Ce choix n’était pas tout à fait innocent. C’est un métier stimulant où on a une responsabilité égale à l’égard des deux parties et où on est poussé à trouver des solutions imaginatives.»
Mais la vraie vie est ailleurs. «J’ai toujours consacré du temps à la collectivité, avec beaucoup de joie, en pensant qu’on a un devoir.» L’époux et père de deux enfants cumule les activités bénévoles. Il a passé plus d’une décennie à la tête de la Société académique vaudoise ; une fonction qu’il vient de quitter. «Le renouvellement est nécessaire. C’est pourquoi j’ai voulu partir avant, mais il était difficile de trouver un successeur», affirme-t-il. Et il s’empresse d’ajouter qu’il reste membre du Conseil. Ancré dans la culture locale, le notaire a rejoint le comité de publication de l’Encyclopédie vaudoise avec l’éditeur Bertil Galland et préside le Conseil de fondation du Théâtre du Jorat.
Franco del Pero a aussi mené une carrière politique, en tant que député au Grand Conseil (1982-1998), au sein du Parti libéral vaudois, dont il a été le secrétaire général pendant quatre ans. Né en 1949 dans une famille d’immigrés italiens – un père chef cuisinier, une mère aide-soignante – le «secondo» a goûté à la notion d’individualisme autour de la table familiale. «On ne discutait pas de politique directement. Mais mon grand-père maternel était un antifasciste et autonomiste valdôtain et l’idée de responsabilité individuelle a toujours été très importante.»
A l’instar de son parti, il juge les études universitaires trop accessibles et prône des exigences strictes. Mais lorsqu’il s’agit de l’alma mater, le notaire se positionne parfois en porte-à-faux avec sa famille politique. Il s’est notamment opposé à un projet de coupes budgétaires visant l’UNIL. Tout en restant libéral, jusque dans ses convictions religieuses: éduqué dans une famille catholique, il se sent proche du protestantisme et participe à la vie de cette collectivité.
Lettreux par amour, notaire par raison, Franco del Pero n’exprime pas de regrets. Aux futurs étudiants, il prodigue pourtant un conseil que lui-même n’a pas suivi: ne pas faire de calculs en fonction des débouchés, mais obéir à ses envies. Et l’avenir suivra. Devant la perplexité de l’interlocutrice, il précise. «Oui, je suis un être de contradiction.»