Le livre n’a pas dit son dernier mot

François Vallotton. Professeur à la Section d'histoire de la Faculté des lettres. Ses champs de recherche principaux sont l’histoire du livre, de l'édition et de la lecture dans l'espace francophone, l’histoire transnationale des médias ainsi que l’histoire intellectuelle et culturelle de la Suisse. Nicole Chuard © UNIL
François Vallotton. Professeur à la Section d’histoire de la Faculté des lettres. Ses champs de recherche principaux sont l’histoire du livre, de l’édition et de la lecture dans l’espace francophone, l’histoire transnationale des médias ainsi que l’histoire intellectuelle et culturelle de la Suisse. Nicole Chuard © UNIL

En Suisse romande, les mondes de l’édition et de la librairie sont en plein bouleversement. Sous la plume de François Vallotton, le centième titre de la collection «Le Savoir suisse» est justement consacré aux batailles du livre.

Surtout, rompre avec l’approche misérabiliste. Professeur à la Section d’histoire et auteur du tout récent ouvrage  Les batailles du livre, François Vallotton a rédigé un texte clair et dense qui ne cache rien des problèmes que vivent les professionnels de l’édition et de la librairie aujourd’hui. Mais il ouvre des perspectives d’avenir plutôt optimistes, sans craindre d’être parfois militant.

Lors de la votation du 11 mars 2012, le peuple suisse a rejeté une loi sur le prix réglementé du livre, en creusant pour la circonstance un Röstigraben d’anthologie. Cette «occasion manquée», comme la qualifie François Vallotton, constitue le centre de gravité de son ouvrage. Mais il élargit bien entendu le propos et donne de nombreuses informations sur l’histoire récente de l’édition et de la librairie romande, de son âge d’or de l’après-guerre jusqu’à nos jours troublés. Il ajoute aussi des éclaircissements sur les situations alémanique, française et allemande, à titre de comparaison.

A la lecture, on constate que cet univers de papier pourtant proche est largement méconnu. Qui sait que la Suisse romande compte une centaine de maisons d’édition, qui rencontrent parfois de grands succès? Cette constellation compte surtout de toutes petites structures, fortement dépendantes du marché international et aux revenus très faibles: la «vache enragée» constitue bien souvent l’essentiel du contenu de leurs assiettes. Leur modèle économique, qui n’est pas spécifique à la région, est assez particulier, puisque les quelques titres qui se vendent bien – et c’est imprévisible – compensent les pertes dues aux autres publications.

Dans le domaine, les études restent rares et les données économiques ou statistiques sont lacunaires. Ce constat a conduit l’auteur, aidé de deux assistants, à mener une quarantaine d’entretiens qualitatifs avec des personnalités du milieu afin d’obtenir des informations de première main. Une démarche sociologique et journalistique, plutôt rare pour un historien. Mais qui a l’avantage de déboucher sur un livre fourmillant d’informations qui se lit d’une traite.

François Vallotton remet régulièrement l’église au milieu du village. Ainsi, le prix en euros des ouvrages vendus en Suisse romande fait grommeler les clients, qui pratiquent un petit calcul mental de taux de change. Mais l’auteur écrit que «les prix en euros des médicaments ou de la viande ne figurent pour leur part ni sur l’emballage ni sur le steak lui-même! La vox populi s’en prend ainsi régulièrement aux libraires en concluant un peu vite que la différence de prix constitue leur marge!» La campagne et la votation du 9 février ont eu au moins pour mérite de faire mieux connaître un milieu que l’historien souhaite voir davantage intervenir dans le débat public.

Le livre est-il une marchandise comme les autres? Cette question traverse tout ce numéro 100 du «Savoir suisse». Une position soutenue par les tenants du libéralisme, mais contestée par des éditeurs et des libraires. Ces derniers affirment ainsi que «si vous voulez un roman de Marguerite Yourcenar et que vous le trouvez trop cher, vous n’allez pas acheter le bouquin disposé à côté sur le rayonnage pour autant. Contrairement à ce que l’on fait pour les petits pois», rapporte François Vallotton.

L’importance croissante d’Amazon, champion du rognage des marges, est bien entendu traitée. Un géant dont les éditeurs déplorent paradoxalement qu’il tende à devenir leur principal client, au détriment des librairies. L’auteur rappelle enfin que les Romands restent de grands amis du livre, surtout si on les compare aux Américains ou même aux Français. Une tradition sur laquelle les professionnels peuvent capitaliser. Mais l’avenir reste incertain, car personne ne sait quelles seront les pratiques de lecture de la jeune génération, plutôt rompue à la recherche rapide d’informations ponctuelles.

livre_vallotton

Les batailles du livre. L’édition romande, de son âge d’or à l’ère numérique. Presses polytechniques et universitaires romandes, Le Savoir suisse (2014), 144 p.  Disponible également en format e-pub et pdf.

Laisser un commentaire