Simuler le cerveau humain sur ordinateur afin de comprendre son fonctionnement: tel est l’objectif ambitieux du «Human Brain Project» (HBP), soutenu par la Commission européenne.
Parfaite illustration des promesses que font souvent miroiter les grands programmes de technosciences, le Human Brain Project «est construit sur des fictions d’avenir qui se disent réalistes», selon les termes de Francesco Panese, professeur d’Etudes sociales des sciences et de la médecine à l’UNIL, qui consacre au HBP un chapitre dans Sciences et technologies émergentes: pourquoi tant de promesses ?
Fonctionnement du cerveau
En janvier 2013, la Commission européenne a décidé de financer le HBP. En se plongeant dans le volumineux dossier de candidature du programme, Francesco Panese a été «surpris» de constater «qu’il parlait relativement peu de sciences». Si le HBP a malgré tout gagné la compétition et obtenu une énorme intention de subvention européenne (500 millions d’euros sur 10 ans), c’est parce qu’il promettait beaucoup. Il avait pour objectif non seulement d’élucider le fonctionnement du cerveau, mais aussi de développer de nouvelles stratégies de traitements des maladies d’Alzheimer, de Parkinson et autres troubles cérébraux, sans oublier ses nombreuses retombées supposées dans le domaine informatique. Cela fait dire à Francesco Panese qu’un «grand projet tel que celui-ci ressemble à une corde à linge à laquelle ses promoteurs accrochent beaucoup de choses qui débordent de son seul cadre scientifique».
Une «rhétorique prophétique»
Dans leur discours devant la commission d’évaluation à Bruxelles, les initiateurs du projet «ont situé le projet à une échelle immense, plaçant l’Europe au centre du monde et le cerveau au centre des maladies et des comportements humains», constate Francesco Panese. Il y voit la mise en œuvre d’une «rhétorique prophétique» qui vise à «anticiper la possibilité d’un avenir meilleur en empruntant aux registres de l’espoir et des promesses».
La présentation du HBP, précise le professeur de l’UNIL, s’apparente à une «fiction». Elle se présente comme «un récit technoscientifique d’anticipation qui vise à fonder la pertinence, la légitimité et la crédibilité d’une “science qui pourrait se faire” dont l’avenir espéré est pavé d’incertitudes et de paris».
Ce n’est donc pas à sa faisabilité que le HBP doit son succès, mais au fait qu’il a permis la rencontre entre les imaginaires des scientifiques et ceux des politiques. Les premiers rêvent, selon leurs propres dires, de «la découverte d’un nouveau continent» – le cerveau – alors que les seconds pensent pouvoir ainsi «faire face à l’épidémie de maladies neurodégénératives et améliorer la vie des gens».
Retour au pragmatisme
Les promesses ont été payantes puisque le Human Brain Project a été accepté par la Commission européenne. Toutefois, il a aussitôt fait l’objet de controverses dans la communauté des neuroscientifiques. Un grand nombre d’entre eux ont signé une pétition qui dénonçait le manque de bases scientifiques réalistes du projet et critiquait sa gouvernance. Après la mise en place d’une médiation, les objectifs et l’organisation du HBP ont été révisés et, en novembre dernier, la Commission a finalement donné son feu vert. Francesco Panese constate que «cette crise a été relativement bien gérée», ce qui a permis «un retour bienvenu au pragmatisme».
Article principal: Les promesses des technosciences n’engagent que ceux qui les croient