Pour son travail de master, Pauline Guillemin s’est intéressée à la vie et aux mœurs d’un petit animal méconnu, que l’on peut entendre chanter la nuit dans les hauteurs du Jura vaudois.
Discret, il évite de barboter inutilement dans l’eau à l’âge adulte. Il s’épanouit dans les gravières qui ont sa couleur. Et c’est Monsieur crapaud qui porte sur son dos les œufs pondus par Madame. «On l’appelle accoucheur parce que le mâle, après avoir passé une quarantaine de jours à s’occuper des œufs dans une cavité, plonge dans l’eau quelques minutes jusqu’à ce que les têtards soient libérés», explique Pauline Guillemin, qui a réalisé en 2016 son master à l’UNIL au Département d’écologie et évolution (DEE) sur l’Alytes obstetricans. Plus particulièrement à propos des facteurs qui influencent sa présence dans le Jura vaudois.
Du Marchairuz à la Givrine
Durant plusieurs mois, chaque nuit, la biologiste a scruté 85 bassins et puits artificiels sur un territoire de 50 km2 entre le Col du Marchairuz et celui de la Givrine, à une altitude allant de 1000 à 1500 mètres, dans le but de dénicher les timides alytes, en danger en Suisse. Son outil de travail principal? Ses oreilles. Car la seule façon de trouver ces petits amphibiens adultes de 5 cm est d’écouter le chant des mâles à la saison des amours, d’avril-mai à juillet-août. Ces Messieurs s’égosillent en effet des nuits entières jusqu’à ce qu’une femelle estime que tel dragueur mérite de s’accoupler. «Leur chant ressemble au son d’une clochette ou d’une flûte, signale Pauline Guillemin. Pas du tout à des croassements. De plus, s’il pleut ou que le temps ne leur convient pas, ils se taisent.» Autre particularité: Monsieur et Madame copulent sur terre et non pas dans l’eau. Le mâle s’accroche à sa dulcinée et dès que les œufs sortent, il les fertilise avant de les enrouler autour de ses cuisses.
En plaine, il arrive qu’un mâle ne se satisfasse pas d’une seule «couvée». «Quand il a chanté, qu’il s’est accouplé et qu’il porte des œufs, il peut recommencer à chanter et se trouver une, voire deux autres femelles. Mais là où je les ai observés, dans des conditions plus difficiles, il s’arrête probablement de chanter après un accouplement, car cela demanderait trop d’énergie de rechercher une autre femelle. Ou parce qu’il n’y en a pas d’autres à proximité.»
Femelle indétectable
On sait peu de chose du crapaud accoucheur en dehors de la période de reproduction. Il disparaît sans doute dans une cachette assez proche de sa mare. La femelle, qui ne chante pas, est pratiquement indétectable. «On ne dispose d’aucun moyen de la suivre. Si l’on tombe par chance sur elle, on peut la différencier du mâle en regardant ses ovaires en transparence. Mais si elle a déjà pondu, c’est très difficile de ne pas les confondre.»
Dans le Jura vaudois, Pauline Guillemin a remarqué que le crapaud accoucheur affectionnait les murs en pierres sèches, «son seul habitat vraiment favorable dans le coin». Il s’y cache dans les espaces entre les pierres. «Mon master a été une base de travail pour le Parc naturel régional Jura vaudois qui essaie de conserver l’espèce. On y applique mes découvertes pour favoriser sa dispersion.» Par exemple, il faut que la proportion de forêt à 1 km de la mare soit inférieure à 50?%. «Comme il disperse sur de courtes distances, moins il y aura de forêt, plus il aura de facilité à accéder à d’autres biotopes favorables.»
Article principal: Il reste des espèces d’amphibiens à découvrir en Suisse