Le guérilléro idéalisé a ouvert des horizons utopiques. Il est mort tôt, ce qui lui a évité d’être associé aux suites de la révolution cubaine.
Le 9 octobre 1967, à La Higuera, en Bolivie, le révolutionnaire marxiste d’origine argentine Che Guevara est exécuté par l’armée bolivienne, sous l’influence présumée de la CIA. Cinquante ans après sa mort, la figure du Che fascine toujours. «Ça reste une figure mythique!», s’exclame l’historienne Stéfanie Prezioso. D’Ernesto Guevera l’histoire semble n’avoir gardé que la belle image, l’effigie que l’on place tour à tour sur les T-shirts ou les mugs. De l’analyse de ses discours émane pourtant un autre visage, une figure bien plus autoritaire qu’il n’y paraît. Comment expliquer le maintien de cette vision idéalisée? «Che Guevera reste associé à l’image de ce médecin qui va prendre les armes, et qui est très charismatique. Il a toutes les caractéristiques du héros romantique», explique la professeure.
Stéfanie Prezioso nuance d’ailleurs les critiques qui sont faites à l’endroit du révolutionnaire: «C’est la même chose que pour Lénine ou d’autres encore. On a des gens qui sont pris dans des évènements, dans des réseaux, des systèmes de pensées, et avec un environnement. Ils ne sont ni tout blancs, ni tout noirs, mais un mélange de la période dans laquelle ils vivent.» Et d’asséner: «Le rôle de l’historien n’est pas de juger, mais de reconstruire, relire les évènements d’une période à l’aune du présent.»
Plus que tout héros révolutionnaire, Che Guevara est sans conteste devenu le plus populaire, et ce bien au-delà de son continent. Pour quelles raisons? «Avec Cuba, tout horizon révolutionnaire redevient possible. Vous avez les espoirs de la fin de la Seconde Guerre mondiale avec ses grands horizons utopiques qui s’ouvrent», explique l’historienne. «Pour toute une série de gens et de mouvements, il ne s’agissait pas de lutter seulement contre le nazisme et le fascisme, mais contre ce qui avait rendu possibles le nazisme et le fascisme. Donc cela ne signifie pas revenir à la société telle qu’elle était avant, mais changer profondément les coordonnées culturelles, politiques, sociales, économiques de cette société-là. Et tout à coup, à partir de 1944, 1945 suivant les pays, vous avez une explosion d’attentes», précise-t-elle encore. «Jusqu’en 1947, en gros, où les choses se referment avec la guerre froide qui commence, et où on revit sous une espèce de chape de plomb. La figure du Che incarne ce passage, entre une phase révolutionnaire importante mais pas victorieuse et la victoire de la révolution cubaine.»
Si l’image du Che ne s’est pas détériorée après coup, c’est aussi lié «au fait qu’il a repris les armes et en est mort», formule encore l’historienne. ?Che Guevara est mort pour ses idées très tôt. Dans l’imaginaire collectif, il est dissocié des suites de la révolution cubaine.»
Cette vision a aussi ses dommages. «Idéalisées, les batailles et les luttes révolutionnaires deviennent lisses, effaçant les aspérités de ces luttes et les difficultés de leurs suites. Il faut au contraire être en mesure de démythifier ces évènements révolutionnaires, saisir la distance nécessaire à prendre avec le passé, y compris avec ses brèches. Or, une réflexion sur les failles de cette histoire-là serait extrêmement utile pour réfléchir à l’émancipation aujourd’hui», conclut la chercheuse.
Article principal: Octobre 1917, qu’en reste-il ?