Sous la plume de Patricia Brambilla, Allez savoir! a consacré un dossier à l’un des symboles de l’automne. Qu’ils soient dangereux, plus ou moins comestibles selon les cultures, voire carrément hallucinogènes, les champignons nous captivent toujours.
«Sûr que les champignons comestibles, chanterelles, cèpes charnus, coulemelles et coprins intéressent l’estomac des gastronomes. Mais il en est d’autres, certes moins nombreux, qui nous fascinent, qui excitent notre curiosité à défaut de nous faire saliver: les champignons vénéneux», pouvait-on lire en préambule. «Pour preuve, la littérature policière en est truffée: de H. G. Wells à Arthur Conan Doyle, le mobile varie, mais l’arme du crime a souvent des lamelles. Sans parler des ouvrages pour enfants qui regorgent de l’archétypal champignon rouge à pois blancs. C’est que le poison, caché sous ce chapeau immobile et moussu, captive et intrigue. Que la mort, soudain familière au point de pousser ainsi sous les arbres, donne le vertige.»
L’auteure rappelait que les champignons hautement toxiques sont rares. Mais leurs effets sont impressionnants: «Tandis que les amanites bourrées d’amanitine et de phalloïdine s’attaquent au foie (50 grammes de champignon suffisent pour être mortels), les cortinaires détruisent les reins. Un poison d’autant plus pernicieux qu’il agit telle une bombe à retardement: “Les symptômes de l’intoxication n’apparaissent souvent qu’une à deux semaines après l’absorption. D’où la difficulté de faire alors le lien avec le repas”, souligne Heinz Clémençon, professeur de mycologie à l’Université de Lausanne» (et aujourd’hui professeur honoraire).
«Mais les empoisonnements mortels suite à l’ingestion de champignons sont aujourd’hui très rares. Finies les hécatombes fongiques qui ébranlaient la France à la fin du siècle dernier: on recensait alors quelque 300 décès annuels dus aux seules amanites.»
Dans un registre moins grave, la journaliste poursuivait avec l’idée que la notion de toxicité varie d’un pays à l’autre. «Le lactaire poivré au goût piquant, que les manuels d’ici ont proscrit, fait les riches heures des tables russes et finlandaises. C’est qu’ils savent l’apprêter, ce charnu à chair blanche. Ils le laissent fermenter dans de l’eau salée, comme l’on ferait d’une choucroute. La fermentation modifie les substances agressives et le goût âcre si caractéristique. De même pour les champignons phytoparasites: qui aurait l’idée de grignoter le charbon du maïs, cette espèce de “tumeur” noire qui boursoufle les épis? Considéré ici comme toxique, ce parasite est découpé, frit et mangé, sans autre forme d’apprêt, par les Indiens du Mexique.»
Allez savoir! s’était intéressé à d’autres aspects. «On retrouve en effet l’utilisation sacramentelle de plantes et de champignons hallucinogènes dans la plupart des populations amérindiennes, mais aussi en Sibérie. Si les Nordiques avaient recours jusqu’à la fin du siècle passé à l’amanite tue-mouches – dont on vante les propriétés aphrodisiaques – pour leurs rituels religieux, les Indiens du Mexique utilisaient principalement les psilocybes, appelés justement champignons hallucinogènes du Mexique. Rien de gratuit là derrière, aucune recherche du plaisir facile: les champignons étaient considérés comme la “chair de Dieu” ou les “enfants sacrés”, une manière de voir, à travers la transe, la voie de la guérison. Véritable médiation entre Dieu et les hommes, ces champignons font partie de tout un cérémonial minutieux pratiqué avec parcimonie.»
«Le psilocybe existe aussi sous nos latitudes. Mais ce petit champignon au chapeau parabolique, qui verdit au toucher et squatte les pâturages, n’est utilisé ici qu’à des fins de pur divertissement. De même le teonanacatl, que l’on trouve dans les prés du Jura, n’a jamais servi à de véritables rituels religieux. Il a tout au plus inquiété la police cantonale de Neuchâtel, il y a vingt ans, lorsque des hordes de champignonneurs occasionnels se sont mis à battre la campagne pour le trouver. C’est que dans nos contrées, le plaisir a depuis longtemps pris le pas sur le sacré.»
Texte paru dans Allez savoir?! No 9, juin 1997. Archives du magazine?: http://scriptorium.bcu-lausanne.ch
La Maison de la Rivière propose une «Sortie champignons» le 5 octobre.