Henrik Kaessmann a mené l’étude comparative de l’activité des gènes de six organes différents sur trois groupes de mammifères, dont l’homme et l’ornithorynque, ainsi que sur le poulet. Il nous explique pourquoi.
Professeur associé de génétique à l’UNIL, Henrik Kaessmann a mené l’étude comparative de l’activité des gènes de six organes différents (cortex cérébral, cervelet, cœur, reins, foie, testicules) sur trois groupes de mammifères – placentaires (souris, macaque rhésus, grands singes dont l’homme, chimpanzé, bonobo, gorille, orang-outan), marsupiaux (opossum) et monotrèmes (ornithorynque, lire l’article complémentaire) – ainsi que sur le poulet. Il nous explique comment se sont déroulées les analyses et ce que ces recherches ont apporté à la science.
«Nous avons récolté 43 milliards de lectures d’ARN (copies transitoires d’ADN qui contiennent un code génétique pour ensuite être traduites en protéines) venus du monde entier, envoyés par avion dans des compartiments de surgélation. Pour les analyser, nous avons utilisé une nouvelle méthode de séquençage, appelée RNA-Seq, qui permet de lire l’ARN messager plutôt que l’ADN directement.» Car séquencer l’ARN permet d’obtenir plus d’informations sur un gène que le séquençage d’ADN (qui n’indique «que» la séquence précise des gènes chez une espèce): on peut savoir si le gène est utilisé dans un organe et, si oui, à quel niveau et à quelle intensité.
«Ainsi, nous avons pu confirmer qu’il y a plus de variabilité entre les différents organes d’une même espèce qu’entre le même organe de différentes espèces. Un cerveau humain est plus proche de celui d’un ornithorynque que d’un autre organe humain comme le foie. Ce qui signifie que la différenciation des organes s’est faite avant la séparation des espèces», poursuit le professeur de l’UNIL.
«D’après nos résultats, le cerveau est l’organe qui a évolué le plus lentement, alors que les testicules ont connu des changements très rapides. Cœur, foie et reins se trouvent dans une situation intermédiaire chez tous les animaux. Cela s’explique par le fait que le cerveau contient la plupart des fonctions vitales, ce qui ne permet pas de changements brusques. En revanche, les testicules ont dû évoluer rapidement pour s’adapter aux pressions de sélection sexuelle. La compétition entre gamètes mâles, appelée parfois «course à l’armement», peut par exemple expliquer ce type de phénomène: les individus dont l’ADN des gamètes aura évolué pour les rendre plus efficaces et mobiles seront électionnés», note Henrik Kaessmann.
«L’analyse des chromosomes sexuels de l’ornithorynque a été capitale. Elle a aidé à reconstituer l’histoire de nos propres chromosomes, dérivés de chromosomes standards, précise le chercheur de l’UNIL. En effet, la femme possède deux chromosomes X, dont un est inactif. Tandis que chez la femelle ornithorynque, les deux sont actifs. Pourquoi l’être humain a-t-il eu besoin d’en inactiver un? Notre hypothèse: plutôt que de doubler l’activité de certains gènes, ce qui a un coût métabolique, il s’est agi au contraire de diminuer l’activité de gènes cofonctionnels et d’inactiver un chromosome X chez la femelle, pour établir une parité avec le seul chromosome X présent chez les mâles.»