Eh bien non, les Mayas n’annoncent pas la fin des temps pour le 21.12.2012. Pas plus que les Indiens Hopi ou un oracle chinois. Ce serait très étonnant, d’ailleurs, vu que les prophètes de l’apocalypse les plus convaincus ont toujours été… chrétiens. Voici pourquoi.
Les calendriers mayas n’ont jamais annoncé l’apocalypse pour le prochain solstice. Les scientifiques le répètent sur tous les tons, mais n’arrivent pas à se faire entendre. «Les Mayas prédisaient que le monde continuerait, et que dans 7000 ans, les choses seraient exactement comme elles étaient alors», a notamment tonné l’archéologue William Saturno, dans le très sérieux magazine Science, où il a révélé qu’il avait découvert un calendrier précolombien qui va largement au-delà de la date fatidique du 21.12.2012.
A ceux qui en douteraient encore, précisons avec l’anthropologue Steve Bourget que les Mayas avaient un calendrier complexe, qu’il était fait de cycles entremêlés, et que le plus grand d’entre eux arrive effectivement à son terme en décembre 2012, sans que cela ait jamais été un signe annonciateur de fin du monde. «S’ils utilisaient encore ce calendrier aujourd’hui, les Mayas recommenceraient tout simplement le compte d’un nouveau cycle», a-t-il précisé lors d’une récente conférence à l’UNIL consacrée aux catastrophes et à la fin du monde.
Reste à savoir pourquoi, malgré toutes ces démonstrations rassurantes, la peur de la fin du monde trouve encore des adeptes – 15% des Terriens selon un récent sondage international – à l’approche du fameux 21.12.2012. Il faut évidemment montrer du doigt la terrible machine à images hollywoodienne, qui a largement diffusé la fausse théorie de la prophétie maya afin d’assurer la promotion de «2012», un film à grand spectacle où l’on voyait des vagues dignes du déluge engloutir les montagnes de l’Himalaya. Mais voilà, une fois de plus, Hollywood a bidouillé le scénario: tous les peuples de l’histoire, les Mayas, les Indiens Hopi ou l’oracle chinois Yi Jing n’ont jamais développé de calendrier susceptible de calculer la date de la fin du monde avec plus ou moins de précision.
Bien sûr, les siècles passés fourmillent de Cassandres annonçant des tragédies à leurs compatriotes, mais ces destructions restent, la plupart du temps, limitées à une région de la planète. Les Mésopotamiens et les Assyriens, par exemple, ne tremblaient pas à l’idée de la fin du monde. «Ils s’attendaient à des catastrophes, à des guerres ou à des famines, mais ils n’avaient pas de scénario global, rappelle Thomas Römer, professeur de théologie à l’UNIL et au Collège de France. La divinité assyrienne Ishtar menace une fois les hommes de faire remonter les morts des enfers pour dévorer les vivants, mais c’est le seul récit de ce type que l’on connaisse et que l’on cite souvent.»
On craint des frappes célestes chirurgicales
Dans l’Antiquité, les craintes apocalyptiques restent rarissimes. «Les Juifs, les Egyptiens, les Romains ou les Grecs ne spéculent pas à propos de la fin des temps. Le seul concept approchant que l’on connaisse à cette époque, c’est la théorie de la succession des empires, que l’on trouve chez les Perses, et aussi les Grecs. Selon cette idée, il y a des âges du monde, durant lesquels un empire chasse l’autre», explique Thomas Römer.
Bien sûr, les prophètes, les mystiques et les illuminés ont toujours été très actifs. Y compris dans l’Antiquité. En Grèce comme à Rome, la Pythie de Delphes ou la Sybille de Cumes livraient régulièrement des oracles aussi tarabiscotés que potentiellement dramatiques, mais ces prophéties ne concernaient que l’issue des batailles ou la disparition possible d’une dynastie. Jamais la fin des temps. On a également conservé la trace des terribles menaces qui ont été lancées à des peuples ou à des souverains qui osaient déplaire à une divinité (Jonas espère la destruction de Ninive, Moïse annonce les plaies d’Egypte, Jérémie et Ezéchiel annoncent la chute de Babylone). Mais, même quand ces prophéties se réalisent, les dieux se contentent de frappes «chirurgicales» sur une ville ou un pays, comme à Sodome et Gomorrhe.
«L’idée de l’apocalypse n’est pas constitutive, poursuit Thomas Römer. On trouve dans toutes les religions des discours sur les origines. Parce que les hommes veulent savoir d’où ils viennent, et aussi – c’est très important –, en quoi ils se distinguent des dieux. Mais on ne trouve pas, chez la plupart des peuples de l’Antiquité, de discours global sur le calendrier ou les signes annonciateurs de l’apocalypse, avec un scénario planétaire. Et même chez les Assyriens et les Babyloniens qui racontent aussi le mythe du Déluge – ce qui en ferait, selon certains historiens, le mythe le plus répandu dans toutes les religions –, ce n’est pas le récit de la fin du monde. En réalité, le motif de l’apocalypse est presque une spécificité biblique.»
Et encore, le Déluge, la première catastrophe majeure racontée dans la Bible, ressemble davantage à une bonne nouvelle qu’à la mère de toutes les calamités. «La Genèse raconte que la catastrophe mondiale est intervenue, non pas à la fin des temps, mais aux origines de l’humanité, observe le professeur de l’UNIL. Dans la Bible, quand les éléments se calment enfin, Dieu donne l’assurance à Noé que cela ne se reproduira pas et il s’engage avec l’arc-en-ciel de renoncer à faire revenir un nouveau déluge. L’Ancien Testament raconte que la fin des temps a déjà eu lieu, que Yhwh a déjà essayé de détruire le monde, et que, d’une certaine manière, il n’a pas pu le faire ou qu’il a changé d’avis à ce sujet.»
Reste à comprendre comment les croyants de l’Antiquité ont pu passer de la promesse rassurante apportée par l’arc-en-ciel à des visions plus terrifiantes. Cette création-là ne s’est pas faite en un jour. Mais – c’est assez rare pour être mentionné – on peut en dater l’apparition avec une très grande précision. «La première mise en scène de la fin des temps se trouve dans le Livre de Daniel, qui contient une allusion très claire au roi Antiochos IV, assure Thomas Römer. Comme l’auteur du Livre de Daniel sait que le souverain a pillé le temple de Jérusalem, mais qu’il ne sait pas qu’Antiochos IV est mort, on peut en déduire que le récit a été rédigé entre 167 et 163 av. J.-C.»
Ce Livre de Daniel est composé de deux parties bien distinctes. Dans les six premiers chapitres, il raconte la biographie d’un certain Daniel, qui aurait été exilé à Babylone à l’époque de Nabuchodonosor, vers 590 av. J.-C. C’est là que notre homme s’illustre en échappant aux lions qui devaient le dévorer, avant de briller à la cour du roi grâce à ses talents dans l’interprétation des rêves. Après avoir expliqué les songes de Nabuchodonosor, Daniel va relater, dans un deuxième temps et dans un style très différent, ses propres visions qu’il interprète avec l’aide d’un ange, et qui concernent l’avenir inquiétant de Jérusalem.
Détail significatif: plus on avance dans le temps, et plus les visions attribuées au personnage de Daniel se font précises, comme si son biographe connaissait mieux les événements du IIe siècle av. J.-C. que les époques précédentes. «Ces visions font clairement allusion aux Assyriens, aux Babyloniens et aux Perses. Il y a encore une partie finale qui concerne Antiochos IV, précise Thomas Römer. Pour l’auteur du texte, le comportement de ce roi annonce clairement la fin du monde. Ce souverain hellénistique est décrit comme l’abomination des abominations qui est entrée dans le saint des saints, une allusion transparente au temple de Jérusalem qu’Antiochos IV a profané, parce qu’il cherchait de l’or pour payer des impôts dus à Rome. L’idée que le roi païen ait pu entrer dans le temple était clairement insupportable à l’auteur du Livre de Daniel, qui y a vu le signe de la fin des temps et qui en écrit le scénario. Après une succession d’empires, le règne d’Antiochos IV est le dernier, et il débouche sur une sorte de tribunal où tous les méchants vont être punis de mort, et tous les justes qui ont été opprimés vont se relever de la terre.»
Notons cependant que les auteurs des différents textes qui figurent dans l’Ancien Testament n’ont pas zappé d’un coup l’arc-en-ciel rassurant de Yhwh pour passer brutalement à la vision du jugement dernier présentée dans le Livre de Daniel. Entre les deux conceptions de l’apocalypse, on trouve une série de textes qui préparent la mutation. «Il y a par exemple le Livre d’Ezéchiel, qui contient la prophétie de Gog et Magog, ainsi que l’annonce de l’Armageddon, une sorte de bataille finale (à ce sujet, lire Allez savoir! No 39, de septembre 2007). Ce texte très obscur a certainement été rédigé avant le livre de Daniel, estime Thomas Römer. On trouve déjà dans le livre d’Ezéchiel la vision d’un Israël entièrement anéanti, juste avant que ne se produise la revivification des ossements, qui permettra au peuple de revivre. Mais, contrairement à Daniel, Ezéchiel n’annonce pas la disparition du monde.»
Comment croire après des malheurs en série?
On trouve aussi dans la Bible hébraïque diverses mentions de prophéties promettant un jugement terrible à toutes les nations qui ont frappé Israël. Il y a encore des livres qui annoncent la réhabilitation et la reconstruction d’Israël, «mais ce n’est jamais inscrit dans un scénario de destruction planétaire, comme cela sera le cas, cette fois très clairement, dans le Livre de Daniel ou, dans le Nouveau Testament, dans l’Apocalypse de Jean».
Cette évolution des mentalités antiques s’explique notamment par le destin contrarié des habitants de Jérusalem. La première destruction de la ville et du temple, par Nabuchodonosor en 587 av. J.-C., a fortement déstabilisé les croyants. «A cette époque, le peuple d’Israël a perdu son autonomie politique. Les références identitaires traditionnelles ne fonctionnaient plus. Le roi des Juifs a été exilé à Babylone, le dieu national n’a pas défendu son peuple qui s’est retrouvé dominé par des ennemis. Ces malheurs ont provoqué une remise en question et la lente mutation du concept de fin des temps qui prend une forme nouvelle avec le Livre de Daniel, vers 165 av. J.-C.»
A partir de ce moment-là, les récits apocalyptiques prolifèrent et deviennent un genre littéraire. Ces attentes croissantes de la fin du monde continuent à se manifester jusqu’aux époques de Jésus et de Paul, «qui étaient persuadés de connaître la fin des temps de leur vivant, tout comme Jean de Patmos, l’auteur de l’Apocalypse qui est devenue le dernier livre de la Bible».
Les Juifs n’ont pas développé la même peur de la fin des temps
Le fait que le récit chrétien commence avec la Genèse, et se termine par l’Apocalypse «n’est pas sans incidence sur l’intérêt que portent les chrétiens à la fin du monde», estime Thomas Römer. Cette organisation de la Bible, qui va de la création du monde jusqu’à sa disparition, a forcément joué un rôle. «On connaît de très nombreuses sectes chrétiennes qui ont annoncé la date de l’apocalypse. Même si cette attente a été régulièrement déçue, l’espérance persiste et l’on trouve toujours un autre croyant pour penser qu’il y a eu une erreur et recommencer les calculs.»
Là encore, c’est une particularité chrétienne. «Les Juifs, qui partagent pourtant de nombreux textes sacrés avec les chrétiens, n’ont pas développé la même peur de la fin des temps, observe Thomas Römer. D’ailleurs, je rappelle toujours aux gens qu’on ne peut pas dire que la Bible juive, c’est l’Ancien Testament. Si l’on trouve bien les mêmes livres dans les deux canons (en ce qui concerne la version protestante de l’Ancien Testament), ils sont organisés de manière très différente.» Le récit hébraïque comporte trois parties: la Torah, les Prophètes, et enfin les Ecrits qui se terminent sur le livre des Chroniques, soit l’histoire des rois de Juda jusqu’à la fin du royaume et l’arrivée des Perses. Et ce récit s’achève sur l’appel du roi perse qui enjoint les Juifs de retourner à Jérusalem. «L’idée finale du canon juif, ce n’est pas la fin des temps, comme dans la Bible chrétienne, mais c’est cet appel à la restauration, à la reconstruction d’Israël. Ce qui a pu laisser croire à certains que tout était accompli en 1948, avec la renaissance d’Israël.»
La somme de toutes nos peurs
Ces différences dans l’organisation des textes religieux du judaïsme et du christianisme expliquent peut-être aussi la méfiance plus grande des Juifs (au moins des milieux responsables de la constitution du canon biblique) à l’encontre des prophètes qui annonçaient l’apocalypse. «Le Livre de Daniel est bien sûr issu du judaïsme, mais il a été rangé dans les Ecrits, et non pas dans les Prophètes. C’est une prise de distance, une manière de signifier que ce texte est bien moins important que ceux qui figurent dans la Torah, ou dans les Prophètes.»
Friands de prophéties apocalyptiques
Les chrétiens comme certains milieux juifs auxquels on doit par exemple les écrits de Qumrân, en revanche, ont été bien plus friands de prophéties apocalyptiques. Du moins, entre 167 av. J.-C. et l’époque où est écrite l’Apocalypse de Jean (autour de l’an 100 de notre ère). «Et puis, ça se calme au moment où le christianisme sort de l’ombre pour devenir un culte plus important, et surtout quand il accède au statut de religion d’Etat. Comme les croyants ne se sentent plus opprimés, ces thèmes vont perdre de leur importance, jusqu’à l’an mille.»
Le sentiment d’insécurité serait donc un ingrédient indispensable au succès des prophéties de fin du monde. C’est, du moins, la théorie de Thomas Römer qui voit dans la nouvelle peur du 21.12.2012 un signe que notre époque va mal. «Je ne pense pas qu’un tel scénario aurait eu du succès dans les années 70, parce que cela trahit toujours le malaise d’une société. Le fameux livre de l’Apocalypse de Jean de Patmos s’inscrit dans un contexte de crise pour les communautés chrétiennes qui se voient menacées par l’Empire romain. Elles pensent que les persécutions ne peuvent plus continuer et elles espèrent qu’un changement de monde est imminent.»
La fin est connue
L’explication vaut encore pour le Livre de Daniel, qui a probablement été rédigé «par des gens issus d’un milieu très conservateur, des Juifs de Jérusalem, qui se sentaient menacés par l’arrivée des Grecs, et qui pensaient que cette ouverture d’Israël à l’hellénisme constituait le début de la fin».
Thomas Römer n’est donc pas autrement surpris que nos sociétés du XXIe siècle, qui entendent sans cesse parler de crise économique, financière, de crise des idéologies et de crise de l’Europe, se posent à nouveau des questions éternelles telles que: est-ce que ça peut continuer comme ça? Sur quoi va déboucher la crise? Est-ce que c’est le signe de la fin? A cette dernière question, nous aurons une réponse définitive le 21.12.2012. Mais cette fois, le suspense est bien moins haletant que dans un film hollywoodien.
A lire
La fin du monde
2012: fin du monde? A l’heure où ressurgissent de vieilles craintes millénaristes, le présent ouvrage propose une réflexion sur les thématiques de la fin du monde et des catastrophes, dans une perspective interdisciplinaire. A quelles sources, mythologiques, culturelles, doctrinales, les discours «apocalyptiques» puisent-ils? Quels sont les enjeux et les intérêts liés à de tels discours? Y a-t-il un lien entre les crises sociales ou individuelles et les idées de fin du monde? Dans quelle mesure les crises environnementales et économiques que traverse le monde actuel expliquent-elles l’apparition de discours apocalyptiques? Sous quelles formes, dans quels médias, enfin, se matérialisent ces conceptions ? Afin de répondre à ces questions, le présent ouvrage mobilise quinze spécialistes de champs traversés par l’histoire, la science, la théologie ou la philosophie.
Analyses plurielles d’un motif religieux, scientifique et culturel. Par P. Bornet, C. Clivaz, N. Durisch Gauthier, P. Hertig, N. Meylan N. (éd.). Les Editions Labor et Fides (à paraître le 17 octobre 2012).