Qu’est-ce qui relie la vigne et la spiritualité? Dans son édition de septembre 2021, Allez savoir! avait mis en lumière l’importance du vin dans le christianisme, de l’Antiquité jusqu’à notre époque. La Cène en constitue une manifestation évidente.
Depuis quelques décennies, de manière assez discrète, de nouvelles connexions entre la terre et le ciel poussent dans les parchets. Pour nourrir sa thèse, soutenue à l’UNIL en 2022, le socio-anthropologue Alexandre Grandjean s’est longuement immergé dans le milieu des vigneronnes et des vignerons qui pratiquent l’agriculture biodynamique en Suisse romande (lire l’article).
Même si cette manière de travailler la vigne prend sa source dans l’anthroposophie, les professionnels rencontrés par le chercheur prennent leurs distances avec la figure de Rudolf Steiner tout en retenant – entre autres – sa perspective holistique. Selon celle-ci, tout est lié: les sols, les racines, les plants, les humains, la nature alentour, jusqu’au ciel et aux astres. De manière créative et personnelle, certains de ces vignerons ajoutent la méditation, le chamanisme, les «énergies» ou encore l’astrologie à leurs activités quotidiennes. Leurs motivations sont très variées, de la quête individuelle parfois née de ruptures dans les parcours de vie, à celle de l’excellence des produits, en passant par le défi professionnel. Des préoccupations liées à l’environnement apparaissent, bien entendu.
Ainsi, parmi ses nombreuses observations, Alexandre Grandjean a noté que l’anthroposophie vit une forme de sécularisation. Ce phénomène existe ailleurs. Les multiples approches du yoga, tel qu’il est pratiqué de manière intensive sous nos latitudes, sont souvent des échos (très) lointains de traditions indiennes anciennes.
Plus fondamentalement, dans leurs exploitations, les vignerons qui ont choisi la «biodynamie» apportent «des réponses spirituelles nouvelles aux questions posées par la modernité». Comment se positionner face à l’industrie agrochimique, à l’emploi d’intrants de synthèse? Comment peut-on agir face aux problèmes climatiques? Comment redonner du sens, voire réenchanter le métier, dans une société où la technologie est omniprésente? C’est justement ce qu’explore la recherche d’Alexandre Grandjean. Elle éclaire des phénomènes qui, bien que discrets et lents, se développent pourtant sous nos yeux. La «spiritualisation de l’écologie», étudiée dans le cadre du projet «Arborescence» mené à l’Institut de sciences sociales des religions par la professeure Irene Becci et par Alexandre Grandjean, en témoigne.
Et du point de vue du consommateur? De nos jours, la viticulture biodynamique bénéficie d’une image plutôt positive en Suisse romande. Avec son calendrier lunaire et ses pratiques curieuses, comme la silice de corne répandue dans les vignobles, cette méthode porte un discours au sujet du lien entre l’Humain et la Nature en phase avec les préoccupations d’une partie du public. Le moment ritualisé de la dégustation, au domaine, n’en prend alors que davantage d’importance. Le vin trouve toujours le moyen de ne pas être banal. /