En 2012, les entreprises helvétiques ont biffé 16000 postes, mais en ont créé 60000 autres. Ce qui profite notamment aux travailleurs qui ont dû faire face à la fermeture d’une entreprise, et qui sont plus nombreux qu’on l’imagine à retrouver du travail.
125 entreprises qui ferment ou licencient, entraînant la destruction de plus de 16000 emplois – 16368 exactement. De prime abord, l’année 2012 s’est très mal passée pour l’économie suisse. Pour son secteur bancaire notamment, puisque un quart environ des emplois perdus (4130) l’ont été dans cette branche. UBS étant à elle seule responsable de la suppression de près de 18% des postes (2900). Mais d’autres banques sont également concernées: Credit Suisse (800 suppressions), Julius Bär (150), UBP (130), HSBC (100) et Deutsche Bank Suisse (50).
Autre secteur phare de l’économie suisse, la pharma a également réduit la voilure. On se souvient bien sûr des licenciements de Merck Serono (1200), comme ceux de Lonza (400) ou de Givaudan (120).
Des pertes en Suisse romande
La Suisse romande est loin d’avoir été épargnée, puisque nombre de ses sociétés les plus prestigieuses ont supprimé des postes, de Bobst (420) à Tornos (225), Swissmetal (228 avec Reconvilier et Dornach), et Kudelski (50) en passant par Logitech (45).
Plus de 16 000 emplois donc ont été perdus dans des sociétés parmi les plus réputées du pays. Serions-nous au bord de la catastrophe économique? Interrogé par divers médias sur ces chiffres, le SECO (Secrétariat à l’Economie) les remet dans leur juste perspective: «Nous ne pouvons parler d’une baisse de l’emploi en Suisse», puisque «entre le 3e semestre 2011 et le 3e semestre 2012, 60?000 postes ont été créés». Parmi les annonces les plus spectaculaires de l’année 2012, il y a les 700 emplois apportés par Nestlé, et les 900 du Swatch Group.
Les postes créés en Suisse l’ont été pour une grande part dans les services, certes, avec 49000 nouvelles places de travail, mais l’industrie ne s’en tire pas mal non plus avec 11000 emplois. Les ouvriers, même peu qualifiés, ne sont d’ailleurs pas condamnés au chômage ou à la réorientation, contrairement à ce que l’on suppose: une étude de l’Université de Lausanne le montre (lire l’article).
Comment la Suisse fait mieux que ses voisins
L’économie suisse se porte donc bien, étonnamment bien pour un pays exportateur dont les voisins sont en crise depuis plusieurs années maintenant. Comment expliquer ce dynamisme? Stéphane Garelli, professeur associé à la Faculté des HEC de l’UNIL, relève plusieurs facteurs importants. La variété d’abord: «Quand on vous dit “économie suisse”, vous pensez immédiatement aux banques. Ensuite, vous réfléchissez et vous vous souvenez que nous sommes aussi parmi les leaders dans l’horlogerie, la pharma, et puis l’agroalimentaire avec Nestlé, etc.» Une grande diversité d’activités économiques, toujours associées à l’excellence. «C’est la garantie, quand un secteur val mal, comme la finance ces dernières années, de pouvoir s’appuyer sur les autres pour assurer l’emploi et la croissance», commente l’économiste de l’UNIL.
Autre atout, le réseau de PME du pays, lui aussi très varié. Alors que dans de nombreuses économies, une ou deux industries fortes, l’automobile par exemple, tirent la nation, la Suisse peut compter sur d’innombrables petites et moyennes entreprises en parallèle aux grandes multinationales qui sont aussi garantes de créations de postes. «Elles sont en outre très compétitives, poursuit Stéphane Garelli. On retrouve d’ailleurs dans les pays européens qui vont bien, l’Allemagne par exemple, ce même faisceau de PME de grande qualité.»
L’innovation et le développement à l’étranger
Cette compétitivité s’explique d’abord par la présence de secteurs «Recherche et Développement», qui existent même dans de petites structures, contrairement à ce qui se fait dans la plupart des pays qui nous entourent. La Suisse est ainsi toujours très bien classée dans les rankings internationaux qui portent sur l’innovation. «L’autre point très positif, c’est que ces PME ont très vite compris qu’il y avait des opportunités à saisir en dehors de l’Europe, poursuit le professeur. Loin de se cantonner aux pays voisins, elles ont été parmi les premières à chercher de nouveaux débouchés en Asie, que ce soit en Chine, en Inde ou ailleurs, et en Amérique du Sud, comme au Brésil par exemple.» Evidemment, aujourd’hui, tout le monde a remarqué qu’il y avait dans ces contrées plus lointaines une émergence de la classe moyenne qui les rend très attractives; la concurrence est féroce. Mais les marchés sont d’une telle taille – la population cumulée de la Chine et l’Inde dépasse les 2,5 milliards d’habitants, certes pas tous des consommateurs potentiels de produits suisses, mais tout de même… – qu’il suffit à une petite entreprise helvétique d’une infime part de marché pour s’en tirer très honorablement.
Le risque de l’autosatisfaction
Et demain? Les deux seuls écueils que Stéphane Garelli voit poindre à l’horizon du succès économique suisse sont l’engorgement et… la psychologie. «Comme toutes les régions qui font preuve d’un grand dynamisme économique, l’arc lémanique par exemple souffre de problèmes d’infrastructures, qu’il s’agisse des transports, de logement, d’éducation. La Silicon Valley connaît à cause de son très rapide développement des difficultés de cette nature, mais on les voit partout dans le monde: elles naissent d’une tendance forte au niveau mondial, la concentration de l’activité économique en un seul endroit. Nous devons veiller à ce qu’il n’y ait pas engorgement, sans quoi la croissance pourrait s’en ressentir.» L’esprit «y’en a point comme nous» est le second élément qui aux yeux de l’économiste pourrait nuire à l’économie nationale: «Il ne faut pas forcément qu’on les croie quand les autres nous disent que nous sommes les meilleurs; ça mène à s’endormir sur ses acquis. Il faut toujours se remettre en question et chercher à faire mieux. Or il y a dans l’état d’esprit helvétique, en tout cas chez certains, une petite tendance à sombrer dans l’autosatisfaction.»
Et la Suisse romande dans ce riant tableau?
Depuis de nombreuses années, les cantons latins se sont évertués à démontrer qu’ils ne sont pas le boulet de l’économie nationale, que les Alémaniques tireraient derrière eux comme un handicap. Des études sur le dynamisme de l’arc lémanique ont démontré qu’il n’avait rien à envier à la région zurichoise. Le rapport sur le PIB romand, réalisé depuis 2008 par l’institut CRÉA de la Faculté des HEC sur mandat des six banques cantonales romandes et publié en collaboration avec le Forum des 100 de L’Hebdo, a établi la preuve que la Suisse romande est plus dynamique que la moyenne nationale. Pour 2011, 2012 et 2013, il constate ou mise sur une croissance plus élevée en Suisse romande que pour l’ensemble de la Suisse. Pour ces deux dernières années, cette supériorité devrait se monter à 0,6-0,7%.
Cette belle santé n’est pas le fait de quelques branches en particulier, même si on peut relever les performances particulièrement élevées de la chimie, de la recherche et développement, des instruments de précision et de l’immobilier. En Suisse romande, ce sont en effet de nombreux secteurs, du commerce de détail aux communications ou transports en passant par les banques et assurances, qui ont une croissance supérieure à la moyenne nationale.
L’administration, c’est 30% des emplois
Le canton de Vaud pour sa part a été plus particulièrement étudié par Délia Nilles, directrice adjointe de l’institut CREA, sur mandat de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI), de la Chambre vaudoise immobilière (CVI) et de la Fédération patronale vaudoise (FPV). Les trois mandants arrivent, comme Stéphane Garelli à l’échelle du pays, à la conclusion que le canton doit notamment améliorer ses infrastructures et soutenir formation et innovation pour «continuer à accompagner activement la création d’entreprises et d’emplois», qui tend à se tasser. Petit bémol, le rôle joué dans l’économie du canton par le secteur de l’administration publique, qui y représente une part très importante avec 30?% des emplois et un poids de 22,6% dans la valeur ajoutée cantonale, contre 15,7% à Zurich ou 21,5% à Genève, précise l’étude.
Mais l’analyse des dix-quinze dernières années livre, pour l’essentiel, des informations réjouissantes pour le dynamisme économique du canton. Depuis 2004, et en total contraste avec sa situation à la moitié et fin des années 90, Vaud fait en effet partie des cantons dont la croissance est supérieure à la moyenne nationale. Et «la part de l’économie vaudoise dans l’économie helvétique» a également augmenté, note Délia Nilles.
Le PIB vaudois devrait croître de 2% en 2014
«La région s’est renforcée dans les branches à haute valeur ajoutée, particulièrement dans les assurances et dans les sociétés high-tech», se réjouissent également les trois mandants. Par ailleurs, l’économie vaudoise a pu démontrer à l’occasion de la crise sa faculté à résister aux difficultés. Si en 2009, «la longue période de croissance continue depuis 2004 fut interrompue», note Délia Nilles, le PIB n’a néanmoins pas chuté «au-delà de son niveau d’équilibre», qui s’établit sur la base de son évolution à long terme. Une belle résilience donc. Les projections du CRÉA viennent d’être rendues publiques. Elles montrent que, après une hausse estimée à 0,6?% pour 2012, le PIB vaudois devrait croître de 1,5?% en 2013 et 2?% en 2014. L’emploi devrait, lui aussi, être en croissance.
Bref, comme en 2012, des entreprises vont certainement licencier dans le pays, en Suisse romande et dans le canton. Mais les spécialistes sont optimistes et le rapport entre emplois perdus et emplois créés devrait rester ces prochaines années comparable à celui de l’an passé.
«Les raisons de la dynamique économique romande, Rapport sur le produit intérieur brut romand», 24 mai 2012. Réalisé par le CRÉA de la Faculté des HEC sur mandat des banques cantonales romandes (BCF, BCGE, BCJ, BCN, BCVs et BCV) et publié en collaboration avec le Forum des 100 de L’Hebdo.
«Le dynamisme vaudois sous la loupe», février 2012. Etude réalisée par le CRÉA de la Faculté des HEC sur mandat de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, de la Chambre vaudoise immobilière et de la Fédération patronale vaudoise.
Un Forum pour aborder la complexité
Pour la neuvième fois, L’Hebdo organise son Forum des 100. L’auditoire Erna Hamburger de l’UNIL accueille les participants à cette manifestation, le 23 mai 2013. Si l’événement affiche complet très tôt, il est possible en revanche de suivre les interventions sur le site www.forumdes100.com.
Cette édition est placée sous le signe de la complexité, «Qui pose des questions inédites: la globalisation est-elle en train de régresser? Les systèmes démocratiques peuvent-ils fonctionner si la confiance dans les institutions s’affaiblit? Les Etats peuvent-ils encore agir?» Cette édition d’Allez savoir! propose deux articles pour alimenter la réflexion. Ainsi, comment se fait-il que, malgré les annonces de licenciements récurrentes, la Suisse crée davantage d’emploi qu’elle n’en perd ?
Autre question: faut-il exploiter le gaz de schiste qui se trouve dans les sous-sols de la Suisse romande (lire l’article)?
L’une des sessions du Forum est consacrée au monde, l’autre s’intéressera au cerveau. Le Human Brain Project, piloté par l’EPFL en partenariat avec de nombreuses institutions dont le CHUV et l’UNIL, sera l’occasion de parler de neurosciences et de politique de la science.