Que deviennent les employés licenciés quand une usine ferme? Les ouvriers sont-ils davantage pénalisés que les cols blancs au moment de retrouver du travail? Une enquête menée à l’UNIL arrive à des résultats surprenants.
Sans formation pointue, il n’y aurait point de salut. Et surtout, il vaudrait mieux travailler dans les services. Voilà deux des préjugés les plus tenaces sur le marché de l’emploi, particulièrement dans une économie comme celle de la Suisse, où le tertiaire est très important. «Il existe d’ailleurs tout un pan de littérature scientifique qui va dans ce sens», confirme Isabel Baumann, assistante diplômée de l’Institut des sciences sociales et chercheuse au Pôle de recherche national LIVES.
Avec Daniel Oesch, professeur dans la même entité, elle s’est penchée dans une étude qui a reçu le soutien du SECO sur le devenir des employés licenciés lors de la fermeture de l’usine pour laquelle ils travaillaient. Cinq entreprises industrielles, établies dans la région genevoise et l’Espace Mittelland et cumulant 1200 employés, ont été retenues. Les cinq ont dû fermer leurs portes après la crise en 2009 et 2010.
Les ouvriers ne sont pas plus mal lotis que les cols blancs
«Nous nous attendions à voir se confirmer que, pour les ouvriers, surtout les moins qualifiés, retrouver du travail serait bien plus difficile que pour les employés attachés par exemple aux services administratifs, bref ceux que nous appelons les cols blancs», explique Isabel Baumann. Or, surprise, les différences entre cols blancs et cols bleus sont minimes.
Deux ans après leur licenciement, «les ouvriers étaient nombreux à avoir retrouvé un emploi, s’étonne Isabel Baumann. Nous pensions que ce serait particulièrement problématique pour ceux qui n’ont pas de CFC et qui ont simplement terminé l’école obligatoire. Mais la probabilité d’avoir retrouvé un travail environ deux ans après le licenciement est de 80?% pour eux.»
Et cela même si, souvent, ces ouvriers ont passé une grande partie de leur carrière au sein de l’entreprise qui s’en était séparé et n’étaient a priori pas préparés à exercer d’autres activités que celles apprises sur le tas, dès la sortie de l’école.
«Les ouvriers qualifiés sont encore plus nombreux à avoir retrouvé un poste», souligne la chercheuse. La probabilité de réinsertion dans le marché du travail dans ce groupe était en effet de 89%. Enfin, pour les personnes avec une formation tertiaire, il était de 92%. «Même s’il reste vrai qu’une bonne formation est un atout, on remarque que les différences ne sont pas énormes entre les diplômés et les autres, et surtout qu’il existe en Suisse une demande pour les ouvriers les moins qualifiés, qui peuvent exercer de vrais métiers à valeur ajoutée dans l’industrie, et pas seulement des petits boulots marginaux», relève la scientifique.
Après 55 ans, c’est plus difficile
L’autre surprise de cette recherche: le facteur le plus discriminant sur le marché de l’emploi est l’âge. Les personnes qui perdent leur travail après 55 ans ont beaucoup plus de peine à en retrouver un que les autres. Dans la cohorte des 1200 personnes suivies, la probabilité de retrouver un travail était dans le groupe des 55 à 59 ans seulement de 52%, contre 84 à 90% pour les 25 à 54 ans. «Bien plus que le niveau de formation, l’âge est de loin le critère déterminant», conclut la chercheuse.