A la Faculté des hautes études commerciales, où j’enseigne depuis 2009, nous pouvons mettre à la disposition des entreprises non pas seulement un contenu scientifique qui a fait ses preuves dans de nombreuses situations, mais encore une manière analytique d’appréhender les problèmes par-delà les savoirs établis et les intuitions. Le manager idéal, à mes yeux, développe sa compréhension des mécanismes de causalité et se révèle ainsi capable de critiquer ses propres propositions de départ. En quelque sorte, il devient un scientifique.
Cette manière de penser et de faire, qui implique souvent la nécessité de revenir vers le terrain pour tester les savoirs et les intuitions dans un contexte particulier, j’essaie de la transmettre aux étudiantes et aux étudiants du cours Evidence-based Management, leur permettant de travailler sur des cas pratiques. Un exemple. Nous avons étudié l’histoire d’une petite société alémanique qui, dans un contexte compétitif, envisageait d’augmenter la commission journalière touchée par ses livreurs-cyclistes. La rémunération est déterminante pour doper la motivation, en principe, mais l’entreprise concernée voulait tester cette proposition éprouvée. Eh bien, dans ce cas, avec des livreurs-cyclistes exerçant pour la plupart d’entre eux cette activité à côté de leurs études, la motivation financière s’est révélée unique et peu inspirante en termes d’engagement personnel. Après avoir atteint un montant à leur convenance, les employés n’en faisaient pas davantage. Au contraire de leurs intuitions initiales, les managers ayant testé ces hypothèses d’une manière expérimentale ont abandonné l’idée d’augmenter la commission des cyclistes.
Pour citer deux chercheurs de Stanford University : «Parce que les compagnies varient tellement en termes d’âge, de taille, de forme, d’histoire, il est dans ce domaine encore plus risqué que sur le terrain médical de considérer qu’un traitement valable dans un cas particulier le sera forcément ailleurs.» Autrement dit, on trouve bien souvent dans le business des facteurs uniques qui ne changent pas les principes de base mais introduisent des variations inattendues. C’est pourquoi, dans notre faculté, nous mettons l’accent non seulement sur les savoirs acquis mais également sur les processus scientifiques permettant de tester les propositions causales. Enfin, notre message veut souligner que la méthode expérimentale exécutée sur le terrain reste le meilleur moyen de valider ces propositions (par exemple, comment les incitations financières influencent la performance au travail).
L’université est là pour le rappeler et offrir son expertise. Hélas, que ce soit dans le monde médical ou dans celui des affaires, il faut bien constater que les savoirs, les méthodes et les expériences scientifiquement établies – Evidence based – ne se transmettent pas facilement aux professionnels engagés quotidiennement dans des pratiques exigeantes. Il faut dès lors améliorer les liens entre le monde de la recherche académique et la société. Pour ce qui me concerne, en tant que professeur au Département de comportement organisationnel et vice-doyen en charge de la recherche, il s’agit aussi de préparer nos étudiantes et nos étudiants à apporter dans le monde du travail cet esprit scientifique capable d’améliorer la compréhension des causalités.
Pour cela, il faut que les universitaires travaillent avec rigueur et ne cèdent en rien à certaines facilités, par exemple aux ambitions personnelles qui viennent interférer avec la recherche au risque de produire des travaux et des résultats bâclés.
Diverses, les exigences externes ne doivent pas entraver l’activité scientifique. Sans oublier que la qualité de la recherche est essentielle pour améliorer l’enseignement. Amener sur le marché des jeunes bien formés représente à nos yeux une priorité.