Cette année, la Suisse a rendez-vous avec son passé. Et pas seulement parce que nous avons pris l’habitude de commémorer les grands conflits du passé l’an dernier, avec les innombrables cérémonies liées au centenaire de la Première Guerre mondiale. Hasard du calendrier, cette année 2015 nous invite à revisiter les affrontements légendaires de Morgarten (1315) et de Marignan (1515), deux des batailles les plus célèbres de notre histoire.
Morgarten, c’est la victoire la plus inattendue, à l’issue d’un guet-apens où les gueux des montagnes ont désarçonné la fine fleur de la chevalerie de l’empire. Et Marignan, c’est la plus amère défaite des Confédérés, au terme d’une boucherie, où un tiers des guerriers suisses sont morts en terres italiennes, face aux troupes rassemblées par François Ier.
Ces deux batailles, séparées très exactement par deux siècles, marquent l’apogée – c’est très bizarre de l’écrire aujourd’hui – de la «puissance militaire» des Confédérés. Une époque paradoxalement peu développée dans les manuels d’histoire, où les terribles piquiers et hallebardiers suisses sont allés de victoire en victoire, jusqu’au succès total de Novare, en 1513. Ce jour-là, les Confédérés ont bouté les armées du roi de France hors d’Italie, et ont pris le contrôle de la riche et prestigieuse cité de Milan.
Coup de chance au moment où le calendrier nous rappelle cette époque héroïque et brutale, on retrouve des historiens qui ont repris goût à l’étude des batailles, après des décennies d’analyses plus économiques de notre passé. Vous découvrirez notamment dans ce numéro Roberto Biolzi, un assistant diplômé à à l’UNIL qui écrit une thèse sur la guerre dans les Etats savoyards à la fin du Moyen Age. Pas «parce qu’il se prend pour un colonel à la retraite qui rejoue les grandes batailles du passé dans sa chambre», mais «parce que la guerre a aussi joué un rôle essentiel dans la construction progressive des Etats-Nations».
Avec ce spécialiste de l’époque, vous découvrirez une période mal connue. Et donc très surprenante quand on a en tête l’image du soldat suisse qui, tous les dimanches soir, prend son train pour la caserne dans son uniforme bien repassé et distribue des biscuits. Rien de tout cela entre 1315 et 1515, quand les guerriers Confédérés effrayaient les petits enfants, se livraient au pillage, ne faisaient pas de prisonniers et frappaient les esprits en «domptant les princes».
Impossible, de (re)découvrir cette époque brutale sans songer à ce que les Suisses sont devenus, cinq siècles plus tard. Le pays qui a inventé la Croix-Rouge, une nation qui n’a plus attaqué ses voisins depuis un demi-millénaire, et une population qui s’est enorgueillie, l’an dernier, de voir son président jouer les pacificateurs entre l’Ukraine, la Russie, l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique. Bref, une Suisse du XXIe siècle qui vient rappeler à tous les pessimistes qui suivent les conflits planétaires en désespérant de la condition humaine, qu’un peuple parmi les plus guerriers de son époque peut changer du tout au tout.