En 2009, l’UNIL et l’EPFL regroupaient leurs forces en créant une fondation, la Formation Continue UNIL-EPFL. Dix ans plus tard, quel bilan peut-on tirer de cette mise en commun des compétences? Rencontre avec Pascal Paschoud, directeur exécutif.
Quelles évolutions constatez-vous dans votre offre de formation continue, entre 2009 et aujourd’hui?
Pascal Paschoud: Pour répondre à la demande, des thématiques comme le digital et l’éthique sont davantage présentes. Autre exemple: depuis une décennie, certaines professions, comme les psychothérapeutes, se sont structurées. Ainsi, pour obtenir un titre fédéral, ceux-ci doivent suivre une formation accréditée. Nous proposons justement trois Masters of Advanced Studies (en psychothérapie comportementale et cognitive, en psychanalyse et en systémique). Ensuite, les formats ont également évolué vers davantage de blended learning, qui combine enseignement à distance (avec des vidéos par exemple) et en présentiel. Nos participants souhaitent davantage de souplesse, notamment pour concilier leurs vies privée et professionnelle.
Les changements sont aussi quantitatifs…
Depuis 2010, nous avons accru notre offre de 165%. Nous avons proposé 194 cours en 2018 (depuis les formations courtes de un à quelques jours jusqu’aux Masters of Advanced Studies). Nous avons compté 3596 participants en 2018, soit presque un doublement en dix ans. Mais nous n’avons pas pour but en soi d’augmenter ces chiffres: nos cursus se doivent de répondre à des besoins. Nous nous soucions de vérifier cet aspect auprès des milieux professionnels.
Quelles formations connaissent un succès permanent?
Le MBA de HEC Lausanne existe depuis 1979. Après presque 20 ans, le Diploma of Advanced Studies en gestion culturelle marche très bien et il est demandé dans les offres d’emploi, ce qui constitue une reconnaissance des milieux professionnels. Le Certificate of Advanced Studies en dramaturgie et performance du texte suscite beaucoup d’intérêt, notamment grâce au rayonnement des intervenants. J’en profite pour remercier les enseignants, les coordinateurs et toutes les personnes qui animent nos formations. Pour qu’elles vivent, il faut qu’elles soient portées par des gens enthousiastes.
La formation continue est-elle un lieu de l’innovation pédagogique?
Oui, par excellence. Nous devons constamment innover pour répondre aux besoins des professionnels. En effet, nos intervenants ont affaire à des participants adultes, motivés, engagés, expérimentés, donc… exigeants?! La créativité est également entretenue par les enseignants. Il est en effet plus «léger» d’expérimenter l’usage de nouvelles technologies ou de nouveaux formats devant un public pro-actif, qui livre des retours rapides, que dans un grand auditoire de 500 étudiants.
Justement, est-ce que l’on note une évolution dans la demande, quant au format des cours?
La flexibilité prend de l’importance. Les parcours professionnels se sont complexifiés, avec le développement des nouvelles technologies. Les carrières sont moins rectilignes, les changements d’emplois plus fréquents, les statuts plus précaires et le travail indépendant plus répandu. Dans un tel contexte, l’acquisition de nouvelles compétences est nécessaire tout au long de la vie. C’est ce qu’on appelle le Lifelong Learning (LLL). La demande croissante pour de la modularité découle de cette situation.
C’est-à-dire?
Nos «étudiants» ne souhaitent plus de figures imposées. Auparavant, un Master of Advanced Studies, qui peut durer des mois, allait de A à Z. Maintenant, la plupart de nos nouveaux MAS sont structurés en plusieurs CAS, eux-mêmes composés de modules plus petits. Ce changement d’état d’esprit a pour effet de rendre les choix de formations plus compliqués et les parcours moins évidents. La flexibilité demandée est également géographique: certains veulent pouvoir commencer une formation continue à Lausanne et la terminer ailleurs, tout en intercalant du contenu en ligne, comme des MOOCs (Massive Open Online Courses). La certification de tels cheminements constitue un défi!
La Formation Continue UNIL-EPFL s’appuie sur deux hautes écoles. En quoi est-ce un avantage?
Au vu de la complexité des problèmes actuels, il est de plus en plus nécessaire de promouvoir des approches interdisciplinaires. Deux nouveaux CAS s’inscrivent dans cette ligne. «Data Science & Management» implique HEC Lausanne et l’EPFL, tout comme «Management & Leadership», dont la première volée a commencé en mai dernier.
Tirez-vous un bilan positif de ce regroupement?
Oui! C’est une illustration de l’idée que le tout est davantage que la somme des parties. Aujourd’hui, la Formation Continue UNIL-EPFL emploie 33 personnes sans compter les collègues dans les facultés. Nous proposons une offre très variée en un seul lieu, dans nos locaux de l’EPFL Innovation Park, ce qui est assez unique. Ce rapprochement nous a donné de la visibilité et de la crédibilité. Nous avons pu professionnaliser nos services, tout en gardant de l’agilité. Notre défi consiste, comme toujours, à équilibrer notre mission sociale et notre besoin d’auto-financement. Chaque formation est «?auto-porteuse?», mais certaines couvrent tout juste les frais. Si nous nous lancions dans une approche purement commerciale, cela signifierait d’abandonner certains marchés, ce que nous ne voulons pas faire.
Quel est l’intérêt pour les hautes écoles de développer la formation continue?
Il s’agit d’une mission fixée par la loi. Au-delà, il est de la responsabilité des hautes écoles de proposer une offre de formation continue, pour remplir leur rôle vis-à-vis de la société et de l’économie, et notamment des besoins futurs de cette dernière. Ensuite, et cet aspect me tient à cœur, la transmission du savoir scientifique est plus importante que jamais à l’heure des fake news et de la montée des extrémismes. Enfin, le Lifelong Learning contribue à assurer l’inclusion et la cohésion sociales.
La formation continue ouvre des portes
Dans son discours au Dies academicus 2019, la conseillère d’État Cesla Amarelle a souligné qu’apprendre «tout au long de la vie devient une impérieuse nécessité dans notre société dominée par le renouvellement toujours plus rapide des technologies». Les hautes écoles sont bien placées pour répondre à ce besoin. La formation continue figure parmi «les missions fondamentales de l’UNIL telles que fixées par la loi sur l’université, indique François Bussy, vice-recteur en charge du dicastère Recherche, relations internationales et formation continue. Mais nous avons également le devoir sociétal de former les gens au-delà du cursus de base.» En effet, qui croit que les connaissances acquises à l’âge de 20 ans seront encore suffisantes dans le monde professionnel quelques décennies plus tard?
Directeur scientifique au Conseil de fondation de la Formation Continue UNIL-EPFL, François Bussy met en lumière d’autres aspects. «En donnant de la formation continue, nos chercheurs valorisent leurs recherches, les communiquent à l’extérieur et se font connaître des professionnels actifs sur le terrain.» La diffusion de la connaissance suscite un retour rapide de la part des participants. «Je ne peux que conseiller à nos chercheurs de mener une activité de formation continue, même petite, afin de maintenir des interactions avec la société, ajoute François Bussy. De plus, il est intéressant d’enseigner à des adultes exigeants, qui nous poussent à nous remettre en question.»
La Formation Continue UNIL-EPFL, c’est également la rencontre de deux cultures «complémentaires. Je tire un bilan très positif de ces dix années de collaboration entre nos institutions, résume François Bussy. La mise en commun de nos activités a apporté une masse critique que nous n’aurions pas obtenue autrement.»
Des différences d’approche subsistent. Ainsi, pour certaines formations, l’UNIL affiche peut-être une tolérance plus grande avec les personnes qui ne détiennent pas les diplômes nécessaires, mais souhaitent s’engager dans une formation continue. «Dans ce cadre, je suis très sensible à la valorisation des acquis de l’expérience. Il faut ouvrir nos portes à celles et à ceux qui ont suivi des voies de traverse dans leurs vies professionnelles et qui ne possèdent pas forcément les titres requis. Par leurs expériences, ces personnes ont largement leur place dans nos cursus, qu’elles enrichissent de leurs parcours.»