La Géorgie du Sud est une île subpolaire située dans l’Atlantique Sud. C’est dans ce décor frais et venteux que Lucie Malard a mené une recherche de terrain l’automne dernier. Les travaux de cette biologiste, postdoctorante au Département d’écologie et évolution de l’UNIL, visent à mieux connaître les communautés de microorganismes transportées dans l’air.
En complément de l’article paru dans Allez savoir n°80, mai 2022.
Champignons, virus ou bactéries: l’air que nous respirons contient de nombreux microorganismes. En quelles quantités? Le brassage créé par le vent provoque-t-il une forme d’uniformisation des communautés de microbes aériens? Comment ces dernières, en un lieu donné, évoluent-elles avec le temps? Quels sont leurs effets sur l’environnement?
Afin de rassembler davantage de données au sujet de ces questions, Lucie Malard, postdoctorante au Département d’écologie et évolution, s’est rendue l’automne passé en Géorgie du Sud. Cette île subpolaire du Royaume-Uni, située dans l’Atlantique Sud, est un havre pour de nombreux animaux, dont les manchots et les éléphants de mer. C’est aussi un lieu où le vent ne manque pas.
La recherche menée par Lucie Malard dans les terres australes s’inscrit dans la continuité d’autres travaux consacrés à la biodiversité en milieu polaire, menés notamment par David Pearce, professeur à la Northumbria University de Newcastle. Une institution où la chercheuse de l’UNIL a réalisé sa thèse.
L’Antarctique n’est pas si isolé
Ainsi, en 2016 et 2017, le Swiss Polar Institute a organisé un voyage multidisciplinaire autour du Pôle Sud, l’Antarctic Circumnavigation Expedition (ACE). Présent à bord du navire scientifique Akademik Tryoshnikov, David Pearce a pu récolter de nombreux échantillons de microorganismes aériens. Ses travaux ont débouché sur quelques surprises. «Pendant longtemps, on a pensé que les forts courants qui circulent autour de l’Antarctique isolaient ce continent, empêchant ainsi les bactéries, les champignons ou les virus d’y parvenir et de le coloniser.» Or, il s’avère que la barrière naturelle n’est que partielle. En effet, la moitié des microbes trouvés dans l’air frais austral existent ailleurs dans le monde : ils ont donc bien trouvé le moyen de se faufiler.
L’expédition maritime ACE était toujours en mouvement. Afin de répondre à d’autres questions de recherche, «nous avons eu l’idée de mener une étude longitudinale, en un lieu donné, afin de mesurer les quantités de microorganismes présents, les communautés existantes et leur évolution avec le temps», note Lucie Malard. C’est dans ce but que, grâce au soutien du British Antarctic Survey, la chercheuse s’est rendue en Géorgie du Sud avec David Pearce.
Shackelton et glaciers
Avant de se pencher sur les travaux de terrain de Lucie Malard, il est utile de poser le décor. D’abord, l’île est loin de tout. «Nous avons volé depuis une base de la Royal Air Force jusqu’aux Malouines. Ensuite, le navire Pharos nous a transporté en cinq jours à Grytviken, le hameau principal de la Géorgie du Sud.» Il s’agit d’un ancien port de baleiniers, dont l’histoire est retracée dans un musée local. La tombe de l’explorateur Ernest Shackleton, mort en 1922, est située non loin. Possession britannique, cette région montagneuse et dotée de nombreux glaciers héberge des scientifiques dans les installations de la base de King Edward Point, et voit passer des touristes en croisière.
Tous les jours pendant deux semaines, Lucie Malard et David A. Pearce se sont installés sur un col, entre deux montagnes, pour installer leurs deux machines. Ces appareils portables dotés de batteries «aspirent l’air de manière active pendant plusieurs heures. Les microorganismes sont recueillis dans des petits cônes stériles, explique la biologiste. Au total, nous avons collecté environ 80 échantillons.» Le vent et les conditions subpolaires n’ont pas facilité la vie des scientifiques.
Analyse métagénomique
Aujourd’hui, les spécimens sont à l’abri dans les congélateurs des installations de King Edward Point, en attendant que le brise-glace de recherche britannique Sir David Attenborough, qui fait la tournée des bases scientifiques, les convoie en Angleterre cette année encore. Là, les organismes seront soumis à une analyse métagénomique, une méthode conçue pour déchiffrer les environnements complexes. «Cela consiste à séquencer l’ADN de tout ce qui se trouve dans l’échantillon, notamment dans le but d’identifier les fonctions potentielles des microorganismes présents», indique Lucie Malard. Ces «fonctions» sont par exemple en lien avec les cycles du carbone ou de l’azote. «Pour prendre un exemple, nous pourrions connaître l’abondance relative de gènes en lien avec la nitrification, c’est-à-dire le processus de production de nitrates, un élément essentiel pour la croissance des plantes. Cela donnerait une idée de l’impact potentiel, sur le terrain, des microorganismes trouvés.»
Dans d’autres contextes, la métagénomique permet de quantifier la présence de gènes pathogènes, ou qui indiquent une résistance aux antibiotiques, dans des échantillons d’eaux usées par exemple. Ces informations sont utiles, en termes de santé publique notamment.
Influence sur le climat
Les bactéries, virus et champignons en vol ont d’autres effets. Certains favorisent par exemple la transformation des gouttes d’eau contenues dans l’air en glace, participant ainsi à la formation des nuages et aux précipitations. «Grâce à l’analyse métagénomique, nous aurons également des informations à ce sujet. L’impact climatique des microorganismes est important», note Lucie Malard.
À ce sujet, la chercheuse ne peut s’empêcher d’être inquiète au sujet des températures qui régnaient en Géorgie du Sud, lors de son séjour. «Il n’est pas normal d’atteindre 14 degrés, et d’entendre le bruit des glaciers qui s’effondrent dans l’océan, alors que nous sortions de l’hiver austral, et que la température aurait dû tourner autour de zéro degré…
Pour aller plus loin :
Au sujet de l’aérobiologie en Antarctique :
Pearce DA, Alekhina IA, Terauds A, Wilmotte A, Quesada A, Edwards A, Dommergue A, Sattler B, Adams BJ, Magalhães C, Chu W-L, Lau MCY, Cary C, Smith DJ, Wall DH, Eguren G, Matcher G, Bradley JA, de Vera J-P, Elster J, Hughes KA, Cuthbertson L, Benning LG, Gunde-Cimerman N, Convey P, Hong SG, Pointing SB, Pellizari VH and Vincent WF (2016) Aerobiology Over Antarctica – A New Initiative for Atmospheric Ecology. Front. Microbiol. 7:16. doi: 10.3389/fmicb.2016.00016