Comme l’Allemagne en 2006, la Suisse organise ces prochaines semaines un grand championnat de football.
Comme l’Allemagne, la Suisse a longtemps entretenu un rapport méfiant avec le patriotisme. Transformer le drapeau national en toge romaine et sortir ainsi vêtu de rouge et de blanc, se peindre des croix sur le visage ou organiser des cortèges spontanés de voitures klaxonnantes en agitant les couleurs de la patrie, ce n’était pas le genre du chalet. Même durant les grands rendez-vous de football, qui sont le prétexte habituel à ce genre de célébrations.
Jusqu’en 2006, la Suisse, comme l’Allemagne, a préféré cultiver le flegme le plus britannique et intérioriser ses satisfactions patriotiques. L’Allemagne, parce que la Guerre mondiale de 1939 – 45 l’avait cruellement instruite des dangers du nationalisme. Et la Suisse, pour des motifs qui vont de la superstition à la discrétion, en passant par la mauvaise conscience (au détriment de qui sommes-nous devenus si riches?), sans oublier la fausse modestie, quasiment érigée en vertu nationale.
Comme l’Allemagne, la Suisse a dû progressivement cohabiter avec le patriotisme plus expansif et bruyant de ses communautés étrangères. Un choc des cultures qui a longtemps provoqué des grincements de dents chez les Helvètes. Les automobilistes italiens, qui, dans les années 1980, ont commencé à défiler dans les rues de Lausanne après 22 h 30, l’ont appris à leurs dépens en recevant de nombreuses bombes à eau. Et les Français n’ont pas été mieux lotis. Depuis les années 1998 – 2000 et leurs victoires au Mondial et à l’Euro de football, nos voisins ont accédé au rôle de nouvelle équipe que les Suisses ont le plus envie de voir perdre. A tel point que, le 9 juillet 2006, une large majorité de Romands priaient devant leur TV pour une victoire des… Italiens, en finale, face à la France.
Pourtant, comme l’Allemagne en 2006, la Suisse s’est progressivement laissé entraîner dans cette joyeuse danse patriotique. Observons que, si cette réappropriation de la «fierté nationale» – osons le mot! – s’est bien déroulée en sport, c’est qu’elle a été accompagnée d’un mouvement politique très similaire. La gauche ayant choisi, ces dernières années, de contester le traditionnel monopole de la droite sur ce thème. Expo.02 avait lancé la mode du T-shirt rouge à croix blanche avant que les grandes marques internationales du luxe ne s’en emparent. Le Parti socialiste a depuis fait campagne en reprenant l’imagerie des Trois Suisses. Et Micheline Calmy-Rey s’est offert la prairie du Ru?tli un jour de 1er août.
Dans ce contexte patriotiquement apaisé, la Suisse devrait, comme l’Allemagne, entrer dans «son» championnat d’Europe de football de manière joyeuse et décomplexée. Elle peut même espérer de cette compétition des bénéfices qui iront bien audelà d’un trophée sportif, puisque la Suisse va aborder ses rencontres avec, dans ses rangs, un nombre élevé de joueurs doubles nationaux. Des professionnels qui ont choisi de porter le maillot rouge de la Suisse plutôt que celui de l’Italie, de l’Espagne, de la Turquie ou de plusieurs nations issues de l’Ex-Yougoslavie. Des champions qui, espérons-le, permettront à la Suisse de vivre elle aussi son championnat de football black-blanc-beur, comme… la France de 1998.
Jocelyn Rochat