Devenez un caméléon pour mieux mener votre équipe

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Et si ajuster son comportement au gré des interactions avec ses collaboratrices et collaborateurs, pour l’adapter à la personnalité et aux besoins de chacun, était décisif pour devenir une meilleure cheffe ou un meilleur chef? Dans sa thèse de doctorat à la Faculté des Hautes études commerciales, Tristan Palese a exploré cette hypothèse et conclu que cette adaptabilité est un atout pour les cadres, sans forcément être perçue comme un signe d’incohérence ou d’incompétence.

Si Tristan Palese a eu envie de se plonger sur la question du comportement d’un chef à l’égard de ses subordonnés, c’est parce que sa formation initiale de psychologue du travail et son intérêt pour les relations interpersonnelles au bureau l’y ont naturellement amené. Son mémoire de master, il l’a consacré aux liens entre pouvoir et sensibilité interpersonnelle, cette faculté qui nous permet de comprendre notamment les émotions et états d’âme des autres. De percevoir par exemple que ce collaborateur est anxieux parce qu’on lui confie trop de responsabilités et qu’il a le sentiment qu’il ne va pas y arriver tout seul. Ou que cette collaboratrice n’en peut plus qu’on contrôle son travail à chaque phase. «Dans ma thèse, j’ai eu envie d’approfondir l’étape suivante, explique Tristan Palese. Une fois que le manager a identifié les émotions de ses collaboratrices ou collaborateurs, qu’est-ce qui se passe? Que se passe-t-il lorsqu’il adapte son style de leadership pour répondre aux besoins, aux attentes et aux émotions qu’il a perçus chez son employé?» En bref, lorsqu’il joue les caméléons en s’adaptant à chaque collègue comme le saurien s’adapte à la couleur de son environnement.

Parmi les questions abordées, celle de l’impact de cette variabilité du comportement sur les qualités que l’on prête à un chef. Si ce dernier laisse plus d’autonomie à un collaborateur alors qu’il adopte au contraire un style plus encadrant avec un autre collègue, cette variabilité sera-t-elle perçue positivement ou négativement? Étant donné que chacun aime se sentir écouté, compris et considéré au travail, adapter son comportement pourrait être perçu positivement pour autant que cela corresponde à un réel besoin chez les personnes concernées. Mais cette attitude changeante risque d’être ressentie comme incohérente, voire injuste par son équipe parce que le manager semble offrir des privilèges à l’un, chouchouter l’autre et être très directif avec un troisième. Il pourrait au final être jugé comme incompétent. Il est possible de résoudre ce dilemme, de s’adapter sans avoir l’air totalement incohérent. C’est l’une des réponses apportées par Tristan Palese dans sa thèse.

Tristan Palese. Docteur en Sciences économiques, mention Management (Faculté des Hautes études commerciales). Photo Nicole Chuard © UNIL

1 acteur et 1000 étudiantes et étudiants

Avant d’en arriver à cette conclusion, il a fallu tester et mesurer la perception d’un manager qui passe d’un style de leadership directif à un style plus participatif ou délégatif. Pour ce faire, Tristan Palese a requis les services d’un acteur (pour jouer le rôle du manager) et recruté des centaines de participants – des étudiantes et étudiants de l’UNIL en l’occurrence.

Mission pour le premier: incarner deux styles de management différents autour d’une même problématique, en jouant des scénarii préétablis. Dans l’une des vidéos tournées, l’acteur est un leader faisant preuve d’adaptabilité pour répondre aux besoins de son collaborateur, dans l’autre pas du tout – il reste fidèle au même comportement, quel que soit son interlocuteur. Il change aussi dans d’autres films son attitude, sans que cela ne soit justifié par les préférences de ses subordonnés. Mission des participants: évaluer ces différentes scènes via un questionnaire. Il s’agissait, pour résumer, de répondre sur deux points: quelle serait votre satisfaction à avoir cette personne comme chef? Comment évaluez-vous ses compétences de manager?

Intuitivement, on se dit que tout le monde a envie d’avoir un responsable qui répond à nos attentes, mais que personne ne veut vivre au bureau des inégalités de traitement, potentiellement à l’origine de favoritisme et autres injustices – d’où le dilemme évoqué précédemment.

Dans les faits, l’analyse des résultats a démontré que, en effet, «la capacité à comprendre les besoins individualisés, et à changer son comportement pour s’y adapter, est très largement perçue positivement», observe Tristan Palese. Ce point est d’ailleurs confirmé par la littérature scientifique sur le sujet: «Le leadership transformationnel est validé comme étant un bon leadership. Or, le fait de démontrer de la considération individualisée à l’égard des membres de son équipe – en comprenant les besoins de chacun et en y répondant – est l’une des caractéristiques de ce style de leadership.»

Mais comment s’assurer que ces changements de comportement ne sont pas perçus comme incohérents, et donc négativement, par autrui? Pour être perçu positivement, le manager doit varier son attitude, mais cette variation doit toujours répondre aux attentes du collaborateur et être comprise par le reste de l’équipe. «La transparence est le point essentiel, souligne Tristan Palese. Il est indispensable d’instaurer un climat de travail basé sur la transparence relationnelle, ce qui implique que les employés doivent connaître et comprendre les raisons du changement de comportement. Si les changements apparaissent comme aléatoires, les subordonnés risquent de douter des intentions et des compétences de leur manager.»

On mise sur la transparence relationnelle

Certes, mais comment agir concrètement pour que ce soit compris? On imagine mal un leader faire le tour des bureaux et légitimer son attitude chaque fois qu’il croise un collaborateur, expliquant qu’il renonce à contrôler le travail de Simone parce qu’elle maîtrise son sujet, ou qu’il termine celui d’Anne car c’est la première fois qu’elle accomplit cette tâche depuis son engagement. «Ce serait absurde en effet, confirme Tristan Palese. Un manager n’a pas besoin d’expliciter ce qu’il fait avec des phrases du type “X préfère ceci ou cela alors je le traite comme ça”. C’est plus une question de transparence relationnelle. Dans l’équipe au sein de laquelle je travaille par exemple, on a une bonne connaissance de soi et des autres, on sait qu’on a chacun besoin d’un accompagnement potentiellement différent et ça se passe très bien. La connaissance mutuelle, savoir qui fonctionne comment, est l’un des points forts d’une bonne équipe – c’est quelque chose à quoi il faut prêter attention.»

Reste que les employés ne sont pas forcément toujours lucides sur leur mode de fonctionnement – Pierre peut se vouloir, donc se croire, à tort, très autonome et avoir le sentiment d’être victime d’une inégalité parce qu’Isabelle a plus d’autonomie dans les responsabilités confiées par sa hiérarchie. Quid de l’égalité de traitement dans ce type de cas, quand tout le monde ne reconnaît pas la nécessité d’une adaptation du comportement du manager? «Il y a aussi chez un bon manager la capacité à donner un feedback adéquat, qui en principe doit amener la personne à développer cette lucidité, remarque Tristan Palese. Et à créer un climat de confiance qui permet à tous de comprendre que non, il n’est pas question d’avoir des chouchous ou des bêtes noires, mais d’identifier les besoins individuels de chacun et d’y répondre afin d’accompagner au mieux l’équipe vers l’atteinte de ses objectifs.»

Égalité ou équité

Histoire de mieux comprendre les enjeux, Tristan Palese propose un autre exemple. Celui de Louis, un chef au style très participatif, qui traite tous les membres de son équipe de la même façon, alors que sa dernière recrue, Alain, aurait besoin de plus d’accompagnement pour prendre en main ses nouvelles activités – Alain pourrait percevoir négativement l’attitude de son chef, alors qu’elle est pourtant très égalitaire.

Pour sortir de la dualité un peu stérile entre «s’adapter aux besoins de chacun» et «ne pas créer d’inégalités de traitement», Tristan Palese préfère s’intéresser à l’équité, plus intéressante dans ce contexte que l’égalité. «Il est clair que l’égalité de traitement est très importante, notamment pour préserver la motivation et la satisfaction au travail, précise-t-il en préambule. Mais l’égalité de traitement, ce n’est pas toujours synonyme d’équité». L’équité, c’est donner à chacun ce dont il a besoin – pour reprendre l’exemple du stagiaire Alain, il lui faut de l’aide, des explications sur les processus à suivre, sur les habitudes de l’entreprise. S’il est traité comme sa voisine qui a vingt ans d’expérience au même poste, cela risque de le mettre en difficulté. L’équité est donc une notion très importante aussi, à laquelle les collaborateurs sont sensibles. «Traiter les personnes différemment, ce n’est pas forcément être dans l’inégalité ou l’injustice, et ça les gens le perçoivent, poursuit Tristan Palese. Mais attention, il y a des domaines dans lesquels l’égalité de traitement reste primordiale, par exemple sur les questions salariales ou de genre.» 

Si vous voulez être un tout bon manager, il faut donc être un caméléon… transparent, et être attentif à la fois à l’équité et à l’égalité.

Three essays on behavioral adaptability in the leadership context. Par Tristan Palese. 2020. Disponible en téléchargement sur serval.unil.ch, sous le titre ou le nom de l’auteur. 

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