Désormais, le héros est (aussi) une femme forte

Katniss. Symbole de rébellion, le personnage principal de Hunger Games utilise souvent la force. © Lionsgate
Katniss. Symbole de rébellion, le personnage principal de Hunger Games utilise souvent la force.
© Lionsgate

Des best-sellers pour adolescents transformés en films à succès ont popularisé une héroïne d’un genre nouveau: la jeune rebelle, devenue maître de guerre, qui sauve l’univers comme dans «Hunger Games» ou «Divergente». Les temps changeraient-ils?

Avant, la princesse attendait, en haut de son donjon, que son preux chevalier vienne la sauver. Quand elle ne travaillait pas à son métier à tisser jusqu’au retour de son époux parti à la guerre. Mais c’était avant les phénomènes Hunger Games et Divergente. Ces deux séries de romans destinés aux adolescents sont devenus des best-sellers mondiaux, avant d’être adaptés au cinéma, où ils ont connu un succès encore plus foudroyant (691 millions de dollars de recettes mondiales pour le premier Hunger Games, 275 millions pour Divergente).

Ces deux histoires ont encore pour caractéristique de raconter la geste d’une jeune femme assez habile et déterminée pour sauver le monde en utilisant (souvent) la force physique. Un rôle qui était, jusqu’alors, très largement monopolisé par les hommes, et quelques femmes caricaturales. Comme Rambo à sa grande époque, Katniss Everdeen, la star de Hunger Games, peut se révéler très dangereuse avec son arc. Et comme le Neo de Matrix, Tris Prior, la vedette de Divergente, a appris à se servir de ses poings et de ses pieds pour défendre sa vie contre des ennemis.

Katniss, l’archère de Hunger Games

Le succès chez les adolescents de ces personnages atypiques interpelle forcément quelque part les nombreux chercheurs de l’UNIL qui s’intéressent aux questions de genre comme aux représentations des héros dans les cultures populaires. Ces deux stars new-look incarneraient-elles un nouveau genre? Témoigneraient-elles d’une évolution dans nos visions des rôles des hommes et des femmes? Nous l’avons demandé aux experts de l’UNIL, en commençant par la plus célèbre figure de cette nouvelle tribu, Katniss Everdeen, dont le prochain film Hunger Games: la révolte, partie 2, débarque sur les écrans le 18 novembre.

Valérie Cossy. Professeure associée en Section d’anglais. Nicole Chuard © UNIL
Valérie Cossy. Professeure associée en Section d’anglais.
Nicole Chuard © UNIL

Des femmes à poigne plutôt que poignantes

Téméraire, volontaire, parfois désagréable, toujours sincère, réfractaire aux conventions, Katniss Everdeen a l’étoffe des héros. Vainqueure des injustes jeux de la faim, les fameux Hunger Games où les candidats s’affrontent dans un programme de télévision qui se dispute «à la vie, à la mort», la pauvre gamine du district 12 est devenue le symbole de la rébellion contre un gouvernement tyrannique, dans une Amérique asphyxiée par la télé-réalité.

De son côté, Divergente raconte la saga de l’ado Béatrice «Tris» Prior, qui vit dans une société post-apocalyptique, où les habitants de la planète sont regroupés en factions. Alors qu’elle a grandi dans le groupe humaniste des Altruistes, Tris choisit de poursuivre sa vie dans la faction des Audacieux, aux mœurs bien plus guerrières, avant de se battre pour tenter de sauver son peuple.

Ces deux contes initiatiques ont débuté leur parcours au rayon Young Adults des librairies. Mais ces récits de science-fiction ont bien vite quitté les étagères pour ados et adulescents pour conquérir le reste de la famille. «Ces récits appartiennent à un type de littérature qui s’est développé sur Internet à travers les “fans fictions”. Des fans, surtout des femmes, écrivent des histoires à partir de films ou de livres connus comme Buffy contre les vampires en développant des intrigues plus audacieuses ou minoritaires mettant au premier plan des personnages secondaires?», indique Loïse Bilat, assistante diplômée à la Faculté des sciences sociales et politiques, qui a codirigé avec le professeur Gianni Haver la publication de l’ouvrage collectif Le héros était une femme… (Editions Antipodes, 2011).

En outre, les deux sagas sont écrites par des femmes. Divergente doit tout à une auteure diplômée en écriture créative aux Etats-Unis, «Veronica Roth, qui a été spécifiquement formée aux exigences de la littérature scénaristique et de fiction, celle qui consiste à construire une bonne histoire qui se vend». Comme l’écrivaine Suzanne Collins, diplômée de l’Université d’Indiana, qui écrit des scénarios et des histoires pour des programmes de télévision jeunesse depuis les années 90.

Leur recette? «Défendre un héros maltraité et mal parti au départ – auquel le citoyen lambda aux frustrations ordinaires peut s’identifier – qui parvient à sauver le monde en le transformant, et donc à prendre sa revanche sur celui-ci», précise Loïse Bilat. Un schéma jusque-là classique chez les héros masculins.

«De nos jours, on ne peut plus réaliser un film d’aventures avec une héroïne qu’il faut sauver des dragons, souligne Gianni Haver, professeur associé en Histoire des médias à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’UNIL. Il est nécessaire de présenter une femme d’action.» Quitte à se ridiculiser lorsqu’il s’agit d’adaptation d’œuvres plus anciennes. Le professeur cite ici l’exemple du film John Carter, sorti en 2012, tiré d’un roman publié en épisodes dans un Pulp Magazine des années 1910. «A la base, la princesse était là pour se faire sauver par le héros. Ce qui n’est actuellement plus envisageable. Les scénaristes ont donc dû adapter le scénario. Et cela donne un personnage complètement schizophrène, tantôt perdu et qui crie à l’aide, tantôt capable de sortir son sabre de samouraï et de zigouiller une dizaine d’extraterrestres. Une incohérence qui montre bien que l’on vit une période de transformation.»

Cette mue réjouissait déjà Valérie Cossy, professeure associée en Littérature anglaise à la Faculté des lettres de l’UNIL, et spécialiste des études genre, à la lecture des premiers tomes d’Harry Potter, avec le personnage d’Hermione. «La configuration en trio – Harry, Ron et Hermione – qu’a choisie l’auteure J. K. Rowling me paraît très intéressante. Elle permet en effet de sortir de la logique habituelle dans laquelle le lecteur passe son temps à se demander si le héros et l’héroïne sont amoureux, ou non. De plus, Hermione ne vient pas d’une famille de sorciers, contrairement à ses deux camarades, et est beaucoup plus créative qu’eux. Elle paraît être le personnage le plus libre.»

La dose d’héroïnes des ados

Si Mrs Rowling avait mis «Hermione Granger» plutôt que «Harry Potter» sur ses couvertures, les libraires auraient rangé ses livres du côté de la littérature des filles. Et les garçons les auraient moins regardés, estime la professeure. Tandis que le «masculin universel» attire les deux sexes. Ce qui explique sûrement les titres Hunger Games, plutôt que «Katniss Everdeen», et Divergent (en version anglaise) au lieu de «Tris Prior»…

Mère de deux ados, fille et garçon, Valérie Cossy constate que la mise en avant d’une héroïne n’est plus ce qui retient l’attention des jeunes aux dépens du reste. «Dans Hunger Games, Katniss est porteuse de ce que les adolescents sont prêts à critiquer dans le déterminisme. Chaque individu est sélectionné, comme à l’école. Et il reste quelque chose d’impitoyable dans l’exigence de réussite. D’une part, l’héroïne peut faire bouger le système, avec son potentiel de révolte. D’autre part, elle demeure fragile et elle est récupérée par ce système à son insu. Il s’agit d’une thématique très actuelle qui concerne autant les filles que les garçons.»

La nouveauté? Les rôles de rebelles, révoltés et autres chasseurs d’injustice au passé sombre et aux origines modestes étaient jusqu’à il y a très peu de temps dévolus uniquement aux hommes. «Un redoublement du stigmate est apparu depuis la publication du Héros était une femme… en 2011, constate Loïse Bilat. Tout au long du XXe siècle, les femmes héros n’avaient pas besoin d’être plus marginalisées, impopulaires ou d’avoir un handicap. «On suivait les aventures de femmes bien intégrées dans la société, jolies, riches, telles Wonder Woman, Buffy ou Lara Croft. Rien à voir avec un Rambo nomade mis à l’écart, ajoute la sociologue.

Mais ce schéma a été bouleversé depuis les années 2000 avec, notamment, l’apparition de personnages comme Katniss ou Tris (dès 2011). «Etre une femme ne suffit plus à déclencher l’effet de surprise. La divergente Béatrice est affublée d’une robe de bure ignoble et grandit dans une faction pauvre. Elle n’est pas très musclée, doute, ne correspond pas aux normes de sa société. Elle représente une sorte de Peter Parker (Spider-Man), le genre de personnage au masculin qui s’est répandu au XXe siècle. Maintenant, les femmes doivent aussi avoir des faiblesses pour remplir les critères de l’héroïcité, comme Scarlett Johansson dans Lucy (2014) de Luc Besson, qui est une blonde naïve carrément stupide au début du film, avant de prendre une dimension cosmique.»

Un héros ne vaut pas une héroïne

Si l’égalité progresse dans la littérature pour ados comme au cinéma, la bataille n’est pas gagnée pour autant. En effet, comme le signale le sociologue Gianni Haver, un simple coup d’œil dans le «Grand Robert» témoigne de la différence de perception qu’il y a encore entre la définition d’un héros et d’une héroïne. «Dans le premier cas, on parle de demi-dieu puis d’actes de bravoure. Dans le deuxième, d’une incroyable capacité à encaisser la souffrance. C’est pour cette raison que, durant notre étude, nous avons préféré employer les termes de héros masculins et de héros féminins pour définir un personnage principal qui réalise des actes extraordinaires en utilisant la violence.»

Pour le professeur de l’UNIL, la féminisation des héros n’est ni nouvelle, ni dénuée d’arrière-pensées. «Dans les comics (les BD américaines montrant des super-héros, ndlr), par exemple, le phénomène a débuté très tôt. On y a imaginé des personnages pour les filles, comme Wonder Woman, qui finissaient par plaire aux garçons, parce qu’ils avaient l’occasion de voir une belle fille en short.»

«La corporalité des super-héroïnes de comics reste très importante, ajoute Loïse Bilat. On préserve toujours leur côté esthétique. Alors que Hulk est monstrueux, son alter ego féminin, Miss Hulk (She-Hulk en anglais), demeure superbe en toutes circonstances.

Et l’on créa une icône: Lara Croft

C’est ainsi qu’en 1996, une bombe esthétique a fait exploser le marché des jeux vidéo: Lara Croft dans Tomb Raider. Une archéologue britannique à la plastique parfaite, aussi hardie que sexy, experte en fusil à pompe et autres pistolets semi-automatiques. Incarnée par Angelina Jolie au cinéma, elle a marqué toute une génération. «L’éditeur Eidos Interactive avait pensé à un héros masculin, avant de changer le genre du personnage au dernier moment, pour faire un coup d’éclat. Il a donc fallu le réadapter au fur et à mesure. Ses postures notamment. Plutôt que lui faire plier les genoux, on l’a mise à quatre pattes. Cette fétichisation secondaire s’est enrichie tout au long des aventures. Lara Croft a produit un effet tellement remarqué que cela a imposé un tournant dans la production culturelle», se souvient Gianni Haver.

Cependant, de nos jours, on se souvient plus de sa poitrine voluptueuse que de son intelligence affûtée. «Pourrait-elle être archéologue si elle n’avait pas des formes pulpeuses? s’interroge la professeure Valérie Cossy. La féministe britannique Angela McRobbie a étudié la valorisation de la réussite des mannequins dans les années 90 et a conclu que ce discours était pétri de contradictions et extrêmement culpabilisant pour les femmes. Leur succès n’est pensable et représentable qu’au prix d’un alignement sur des éléments conservateurs et traditionnels. On peut être archéologue pour autant que l’on possède un corps de top-modèle, ce qui représente une double contrainte problématique. Alors que l’on ne demande pas à un archéologue d’avoir un look de mannequin…» Preuve à l’appui, et anecdote notable, Harrison Ford avait 39 ans lorsqu’il a commencé à jouer Indiana Jones, dont s’inspire Lara Croft. Tandis que l’on a annoncé à Angelina Jolie, au même âge, qu’elle était trop vieille pour revêtir le minishort et le T-shirt moulant de ses débuts d’aventurière.

Gianni Haver. Professeur associé à l’Institut des sciences sociales. Nicole Chuard © UNIL
Gianni Haver. Professeur associé à l’Institut des sciences sociales.
Nicole Chuard © UNIL

La talentueuse Miss Ripley

A des années-lumière de la bombesque Lara Croft, la lieutenant Ripley avait déjà fait figure d’extraterrestre. En effet, dans Alien, dont le premier opus est sorti en 1979, Sigourney Weaver avait 30 ans, et elle portait un marcel et une tenue neutre comme le reste de l’équipage. «Sa corporalité n’est pas hypersexuée contrairement à Lara Croft, analyse la sociologue Loïse Bilat. Ses vêtements restent utilitaires, alors que, chez la plupart des héros féminins, on accentue la sexualisation pour rassurer le public masculin. Histoire de rappeler qu’elles restent des femmes malgré leur comportement viril.»

Pourtant, la succession des réalisateurs tout au long de la tétralogie Alien (1979-1997), plus ou moins sensibles au parti pris féministe du scénario de départ, n’a pas permis de faire évoluer le personnage vers un renouveau du genre. «Dans Aliens, le retour, réalisé par James Cameron, Ellen Ripley devient une espèce de mère de substitution en s’occupant de la petite Newt. Du coup, cela ramène le personnage à un modèle classique et ancien: une femme qui se bat pour sauver un enfant.»

Le sabre et le biberon

Idem pour Beatrix Kiddo, la tueuse Black Mamba de Kill Bill, qui manie très bien le sabre, mais veut surtout retrouver son enfant. «En même temps, Quentin Tarantino joue sur les schémas habituels, accorde Gianni Haver. L’actrice Uma Thurman est magnifique et mise en valeur durant tout le film. Cependant, lors de son réveil après quatre ans de coma, le cinéaste insiste de longues minutes sur ses pieds (elle doit chausser du 43) qui ne correspondent pas au cliché d’une héroïne aux jolis petits pieds.» Pour le professeur de l’UNIL, ni la Ripley d’Alien, ni la Lara Croft de Tomb Raider, ni la Beatrix Kiddo de Kill Bill ne sont des premières fois. Mais «ces trois personnages ont créé des figures iconiques et représentent des cassures» dans un cinéma en perpétuel changement. L’héroïne n’est plus la compagne du héros, mais un personnage principal multiple et complexe, dont la place est sans cesse rediscutée.

«Je vois une guerre des sexes renouvelée dans l’industrie culturelle, avec une conversation entre des points de vue misogynes, féministes, masculinistes, etc., relève Loïse Bilat. Un spectacle fascinant rendu possible grâce à la multiplication des personnages de femmes, notamment dans les séries télévisées. Le héros féminin fait entièrement partie de notre culture maintenant. Toutefois, cela n’annule pas la majorité des productions qui mettent en avant un mâle blanc qui se pose des questions sur sa vie.»

De son côté, la professeure Valérie Cossy remarque un changement énorme des repères depuis cinq à sept ans dans la littérature également. «Les attentes d’égalité aujourd’hui ne sont pas celles que je pouvais avoir. Ce qui laisse augurer d’un progrès réel. Mais, tout en admirant ces héroïnes actives, volontaires, je garde une petite méfiance. Elles s’inscrivent dans un contexte extrêmement individualiste et néolibéral dans lequel nous vivons. Sous prétexte de cautionner une certaine forme d’égalité, on s’empêche d’aller regarder là où les inégalités existent encore.» Les nouvelles guerrières, Katniss ou Tris, modèles des ados, sont moins attachées à leurs formes qu’à leur mission, imparfaites comme leurs confrères masculins. Mais seront-elles assez fortes pour changer l’avenir du cinéma? Premier début de réponse le 18 novembre, jour de la sortie en salle de Hunger Games: la révolte, partie 2: les scénaristes se permettront-ils comme dans l’épilogue des romans – ATTENTION SPOILER pour ceux qui ne les ont pas lus!!! – de vieillir de vingt ans l’actrice Jennifer Lawrence? /

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