Demain, on essaie de recréer des organes humains

Cellules souches. Elles ont la capacité de proliférer rapidement et de générer n’importe quel type de cellules. Ici, des cellules souches de souris. Microscope électronique à balayage. © Science Photo Library
Cellules souches. Elles ont la capacité de proliférer rapidement et de générer n’importe quel type de cellules. Ici, des cellules souches de souris. Microscope électronique à balayage. © Science Photo Library

Certains animaux, comme la salamandre ou le poisson zèbre, possèdent d’étonnantes capacités pour réparer un membre sectionné ou un organe endommagé. La recherche médicale tente de reproduire ces mécanismes pour régénérer le corps humain. Explications de Thierry Pedrazzini, professeur associé à la Faculté de biologie et médecine de l’UNIL.

Les capacités de régénération de certains animaux fascinent depuis l’Antiquité. Pour preuve, les mythes, en particulier celui de l’Hydre de Lerne, ce monstre aquatique qu’affronte Héraclès et dont les têtes repoussent à double chaque fois qu’on en tranche une. Et ce n’est pas qu’une légende: l’hydre, ce petit animal que l’on trouve dans des lacs comme le Léman, possède en effet la faculté de recréer en quelques jours un tentacule coupé. Les salamandres et certains lézards autosectionnent leur queue pour échapper à un prédateur sans que cela ne leur pose aucun problème puisqu’elle repoussera également. Plus fort, l’axolotl, cet amphibien originaire du Mexique, peut non seulement régénérer un membre sectionné, mais également les parties endommagées de son cœur ou de son cerveau. Ce champion de la régénération est actuellement visible au Musée de la main UNIL-CHUV dans le cadre de l’exposition temporaire «Cellules souches: l’origine de la vie» (jusqu’au 22 février). Cette exposition, conçue dans le cadre du Programme national de recherche PNR 63, montre les capacités de régénération présentes dans le règne animal et explique comment la médecine essaie de reproduire ces mécanismes cellulaires complexes pour réparer le corps humain et soigner des maladies.

Les cellules souches, qui permettent le renouvellement de la queue de la salamandre mais aussi de plusieurs de nos tissus – le sang ou la peau –, intéressent particulièrement les chercheurs. Pourra-t-on, un jour, régénérer des organes déficients, et même un bras ou une jambe? Probablement oui.

Quand on parle de cellules souches, on pense d’abord aux cellules embryonnaires et aux problèmes éthiques suscités par l’utilisation d’embryons humains. Si elles intéressent tant les chercheurs, c’est parce qu’elles présentent deux grands avantages: une prolifération rapide et une capacité de générer n’importe quel type de cellules.

Thierry Pedrazzini. Professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL
Thierry Pedrazzini. Professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL

Le pouvoir régénérateur des cellules souches

Mais les cellules souches sont aussi présentes dans des tissus adultes: la moelle osseuse, où sont produits les globules rouges et blancs ainsi que les plaquettes sanguines, en est un parfait exemple. On connaît également bien celles de la peau qui cicatrise en peu de temps et de l’intestin dont l’épithélium se renouvelle naturellement tous les trois ou quatre jours. On sait aujourd’hui qu’il y a aussi des cellules souches dans notre cerveau et dans notre cœur, et peut-être même dans tous nos organes: «Nous commençons à comprendre que les éléments permettant la régénération sont présents dans le cœur et dans le cerveau, explique Thierry Pedrazzini, professeur associé à la Faculté de biologie et médecine de l’UNIL et directeur de l’Unité de cardiologie expérimentale du CHUV. On peut mesurer la capacité de renouvellement de ces organes, mais elle est faible et insuffisante pour réparer les dommages causés par un événement aigu comme un infarctus du myocarde ou un AVC. Ce qu’on aimerait, c’est pouvoir doper le système quand on en a besoin.»

Pour le faire, les chercheurs explorent plusieurs pistes. La première consiste à utiliser des cellules souches de type embryonnaires. Pour contourner le problème éthique, le Japonais Shinya Yamanaka a réussi à reprogrammer le génome de cellules somatiques adultes pour en faire des cellules pluripotentes induites (CSPi) qui présentent les mêmes caractéristiques que les cellules souches d’embryon. Ces CSPi auraient également l’avantage de supprimer le problème du rejet puisqu’elles proviendraient du patient lui-même. Mais injecter des cellules souches pluripotentes dans un organe pour le réparer ne suffit pas: il faut encore s’assurer qu’elles fabriquent les bonnes cellules et donc maîtriser leur différenciation. «Si on veut utiliser des cellules souches en thérapie, on ne peut pas se permettre qu’elles créent un autre type cellulaire que celui que vous visez, relève Thierry Pedrazzini: c’est difficile d’imaginer du muscle dans le cerveau! Et si certaines cellules ne se différencient pas, des tératomes et des cancers pourraient se développer. Il faut donc instruire ces cellules pluripotentes pour qu’elles produisent ce qu’on veut. C’est extrêmement difficile: si vous voulez obtenir 100% de cardiomyocytes, la cellule musculaire du cœur, vous devez maîtriser chaque étape de la différenciation et orienter continuellement les cellules dans la bonne direction. Pour l’instant, nous n’y arrivons pas complètement.»

L’autre option est d’utiliser des cellules souches adultes déjà instruites à produire les cellules de l’organe dont elles sont issues – c’est typiquement ce que l’on fait chez les patients leucémiques avec la greffe de moelle osseuse. Le problème: elles sont rares dans le cœur ou le cerveau et ont très peu de capacité de prolifération, si bien qu’on ne peut pas facilement en produire des masses suffisantes pour les amener en thérapie. Par ailleurs, même dans un seul organe, on trouve plusieurs types cellulaires. Il faut donc également contrôler leur différenciation. Les cellules souches adultes isolées chez des patients cardiaques ont par exemple une capacité à produire des cellules musculaires lisses pour former des vaisseaux sanguins ou des cardiomyocytes. Les chercheurs tentent donc de trouver des moyens pour activer les cellules souches directement dans l’organe: «Nous essayons d’identifier les voies d’activation régénératrice, c’est-à-dire les signaux qui vont dire à la cellule souche de s’activer, de proliférer et de se différencier dans le bon type cellulaire, explique l’expert du CHUV. Si nous pouvons le faire directement dans l’organe, nous aurons gagné car nous n’aurons plus besoin d’isoler des cellules, de les faire proliférer in vitro et de les réimplanter chez le malade. Plusieurs études prometteuses sont menées dans ce sens, et c’est aussi l’une des approches de notre laboratoire: chez l’animal, nous avons obtenu des résultats concrets que nous espérons pouvoir transférer en clinique.»

Evaluation du potentiel des cellules souches pour réparer le cœur après un infarctus du myocarde, à l’Unité de Cardiologie Expérimentale. L’animal a été anesthésié pendant 15 minutes. Nicole Chuard © UNIL
Evaluation du potentiel des cellules souches pour réparer le cœur après un infarctus du myocarde, à l’Unité de Cardiologie Expérimentale. L’animal a été anesthésié pendant 15 minutes. Nicole Chuard © UNIL

Régénérer un organe sans cellules souches

Les cellules souches ne sont pas la seule voie explorée par la médecine régénérative. Le foie n’en contient pas et il dispose pourtant d’une bonne capacité de se régénérer grâce à la division de ses hépatocytes. Les chercheurs entendent donc instruire des cellules qui n’ont pas l’habitude de se diviser – comme un neurone ou un cardiomyocyte – pour qu’elles reprennent une capacité prolifératrice. «Dans le cœur, des essais assez concluants prouvent que l’on peut trouver des voies pour induire cette division, relève Thierry Pedrazzini, même si cela n’est pas assez puissant pour réparer complètement l’organe. On a donc encore pas mal de travail pour réussir à récupérer d’un infarctus: c’est des milliards de cellules à remplacer!»

A Lausanne, dans le cadre du Programme national de recherche PNR 63, Thierry Pedrazzini et son équipe étudient le poisson zèbre dont le cœur se régénère naturellement. «Si vous enlevez chirurgicalement 20% du cœur de ce petit poisson, il retrouvera un organe normal en un mois, relève le spécialiste. C’est très spectaculaire! Beaucoup d’études ont été faites pour comprendre ce qui se passe dans ce cœur. Dans notre laboratoire, nous nous intéressons à ce qu’on appelle les micro-ARN, c’est-à-dire des modulateurs de l’expression des gènes. Nous en avons trouvé une quarantaine qui, après une blessure au niveau du cœur, sont modulés différemment chez le poisson zèbre que chez la souris. Nous avons réussi à reproduire une réponse régénératrice de type poisson dans le cœur de la souris et à y faire proliférer des cardiomyocytes, ce qui a amélioré la fonction cardiaque. C’est modeste, mais ça marche!»

Une dernière approche est d’instruire des cellules différenciées à produire un autre type cellulaire: «C’est très intéressant dans le cœur, car après un infarctus une grosse cicatrice fibreuse se crée, explique le spécialiste lausannois. L’idée est de pousser les fibroblastes présents dans le cœur à perdre leur identité pour produire du muscle. Le concept est prouvé et ça marche chez l’animal: on injecte dans la cicatrice une instruction sous forme d’acide nucléique pour que les fibroblastes deviennent des cardiomyocytes. On est loin de redonner un cœur de bébé à une personne qui a eu un infarctus, mais si nous arrivons à améliorer la fonction et à ralentir le processus qui conduit à l’insuffisance cardiaque, nous aurons déjà fait beaucoup de choses!»

Jusqu’où irons-nous?

Thierry Pedrazzini est plutôt optimiste sur l’avenir de ces techniques. Il s’attend, dans les cinq prochaines années, à des études spectaculaires qui pourront déboucher sur des essais cliniques. C’est un grand espoir pour les victimes d’infarctus et de maladies neurodégénératives. Par contre, pour faire repousser un bras ou une jambe, il faudra encore attendre et certainement compter sur des interfaces entre biologie, bioengineering et sciences des matériaux.

Savoir réparer indéfiniment des organes déficients nous ouvrira-t-il les portes d’une vie quasi éternelle? «Prolonger la vie n’est pas un but en soi pour la médecine régénérative, conclut Thierry Pedrazzini. Ce que nous voulons, c’est offrir aux gens la capacité de mourir en bonne santé, c’est-à-dire de récupérer une qualité de vie après un accident. Tout le monde peut admettre de mourir après une vie heureuse, mais si on doit être grabataire, vivre jusqu’à un âge avancé ne veut plus dire grand-chose.»

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