Créé il y a 50 ans, le campus de l’Université de Lausanne s’apprête à vivre une nouvelle mue. La présence de l’institution en ville, sur le site du CHUV ainsi qu’au Biopôle d’Epalinges, se renforce. Visite guidée.
Un chantier qui s’achève. D’autres qui commencent. Le campus de l’Université de Lausanne à Dorigny est en pleine mue. A l’horizon 2023, il ne comptera pas moins de quatre nouveaux bâtiments : l’annexe de la Ferme de la Mouline et le Synathlon destiné aux sports, le Vortex et ses logements pour 1200 résidents ainsi que le bâtiment des sciences de la vie. Parallèlement, l’Amphipôle et l’Unithèque (dite aussi la Banane), deux stars historiques de l’Alma Mater construites par l’architecte Guido Cocchi, vont être transformés. Un vrai travail d’équilibriste pour que tout s’imbrique et se coordonne afin que personne ne se retrouve momentanément à la rue.
La situation est d’autant plus délicate que d’autres acteurs vont s’implanter à proximité. Le nouveau Campus santé – qui réunit la Haute Ecole de Santé Vaud (HESAV), le Centre coordonné de compétences cliniques (C4) et 500 logements – verra le jour non loin de là sur les Côtes de la Bourdonnette (lire l’article). Il sera même relié au campus par une passerelle. A l’ouest, c’est la RTS qui va s’offrir de nouveaux locaux sur le site de l’EPFL, tout près du Learning Center. Enfin, sur et à la périphérie du campus de l’UNIL, d’autres réaménagements sont encore au programme, notamment l’extension du bâtiment Internef. La métamorphose ne fait que commencer.
Le site de Dorigny se densifie
Révolue la vision longtemps défendue d’un campus bucolique composé d’une série de bâtiments posés comme des objets dans un parc ? Enterrée «l’Université aux champs» avec ses moutons promus au rang de tondeuses écologiques ?
«La ville approche, elle arrive. Et ce n’est pas une métaphore, c’est très concret, reconnaît Benoît Frund, vice-recteur en charge de la politique de durabilité, de la gestion et du développement du campus. Certes, le site de Dorigny ne va pas changer radicalement, mais il va se densifier. Avec le projet Vortex, il accueillera en outre pour la première fois un grand nombre d’habitants. Ces derniers auront d’autres besoins que ceux qui arrivent le matin et repartent le soir. Il va falloir repenser un certain nombre de services.»
Si le campus change à grande vitesse, il ne renie pas pour autant ses principes. Et notamment ce dialogue avec la nature et cette complicité entre permanence et changement qui reviennent comme un fil rouge dans son histoire. L’histoire d’une université qui, pour faire face à un nombre sans cesse croissant d’étudiants, s’est un jour vue contrainte de quitter le centre ville et de s’exiler en périphérie. Certains en furent soulagés. Sortir les étudiants de la cité pouvait sembler un bon choix dans le contexte agité de Mai 68. Mais pas question de créer un ghetto où fermentent librement révoltes et revendications. Les communes qui accueillaient le futur campus avaient spécifiquement exigé que l’on interdise toute construction de résidences estudiantines sur leurs terrains.
Tout a commencé, en 1963, avec l’achat, par le Canton, de la propriété de l’hoirie Hoyos de Loys, situé à quelques encablures à l’ouest du chantier de l’Expo 64. A cheval sur les communes d’Ecublens et de Chavannes-près-Renens, ce terrain de 270’000 m2, dont 58’000 de forêts, se répartit sur les deux rives de la Chamberonne. De son passé campagnard et maraîcher, il a hérité de deux fermes, une grange et un château qui existent encore aujourd’hui. Après un premier plan directeur jugé insuffisant car ne prenant pas suffisamment en compte la topographie, le Conseil d’Etat confie le travail au BUD (le Bureau de construction de l’Université de Lausanne-Dorigny). Cette task force, qui rapporte directement au politique, sera dirigée pendant plus de trente ans par l’architecte Guido Cocchi (1928-2010), un Tessinois d’origine formé à Zurich et à Lausanne, et qui avait été l’adjoint de l’architecte en chef Alberto Camenzind à l’Expo 64.
Charismatique Guido Cocchi
Personnalité forte et charismatique, Cocchi va imprimer à Dorigny une vision très différente de celle de l’EPFL – fédéralisée en 1969. Un programme qui semble inventé à partir du site. «J’ai compris ce terrain avec mes pieds, j’ai commencé par marcher, puis j’ai dessiné», confiait-il à Nadja Maillard dans l’ouvrage L’Université de Lausanne à Dorigny (Infolio). Le nouveau plan directeur «propose une dissémination des bâtiments universitaires dans le parc paysager, tels des pavillons éparpillés dans une nature préservée», écrit Maya Birke von Graevenitz dans l’ouvrage collectif De la cité au campus. 40 ans de l’UNIL à Dorigny (Editions Peter Lang). La distribution des constructions se base sur le principe du zoning. Les locaux communs (bibliothèque, restaurant, locaux de l’administration) sont prévus au centre, le quartier des Sciences humaines est placé à l’est et celui des Sciences exactes à l’ouest. Les différentes zones sont reliées par des chemins piétonniers.
Les bâtiments sont confiés à diverses équipes vaudoises qui toutes associent un jeune architecte et un bureau confirmé. Elles ont un cahier des charges précis qui impose, rappelle Maya Birke von Graevenitz, «un éclairage et une ventilation naturelle des locaux, une hauteur normée des étages, une hauteur des édifices déterminée en fonction de la silhouette générale du site et une trame de 1,2 mètres pour les dimensions des constructions. (…) Il exige également que les façades reçoivent de l’ombre grâce à l’utilisation de galeries extérieures et qu’elles soient en verre ou en aluminium éloxé naturel, de teintes beiges à brunes.» La réalisation de cette première phase s’étendra sur quarante ans. Elle sera marquée par quelques péripéties particulièrement amusantes comme l’interdiction faite à l’architecte en chef de planter des pommiers : leurs fruits pouvaient servir de projectiles aux étudiants.
Inauguré en automne 1970, le premier bâtiment, le Collège propédeutique 1 (aujourd’hui l’Amphipôle), est signé par Guido Cocchi. De structure complexe, «vraiment moulé sur la topographie», il associe deux ailes de laboratoires en dalles de béton et une construction plus légère au sud, surnommée la galette, qui telle un grand parapluie abrite quatre auditoires, la cafétéria, l’administration et les circulations. «Je peux vous dire qu’il a fallu batailler pour faire passer cette architecture fonctionnelle devant le Rectorat de l’Université qui n’était pas emballé du tout, pour qui un bâtiment universitaire représentatif d’une institution de savoir et de recherche devait avoir quelque chose de monumental ou de plus prestigieux», se souvenait Guido Cocchi des années plus tard.
Ces réticences vont s’estomper au fur et à mesure que le campus grandit. Et treize ans après, c’est un autre bâtiment signé par l’architecte en chef, l’Unithèque (ex-Bâtiment central, dit aussi la Banane) qui entre en fonction. Adossé à la colline de Dorigny, parfaitement intégré dans l’amphithéâtre du site, cet édifice en béton armé et bois deviendra l’un des emblèmes du campus. La même année, sont inaugurés l’Unicentre et le Biophore. Viendront ensuite l’Anthropole (1987), le Batochime (1995), l’Amphimax (2004) et Géopolis (2013). (Pour se repérer, on peut consulter le plan dans le portfolio illustré)
L’achèvement de ce dernier bâtiment marque un tournant dans l’histoire architecturale du campus. Le mandat du comité directeur du BUD se termine. Une autre organisation, le COPIL des constructions universitaires, prend le relais. Elle donne une plus large place à la direction de l’Université dans le développement immobilier du Campus. Intitulé Lignes directrices pour l’aménagement du site de l’UNIL à Dorigny, un nouveau document sert de guide et de référence pour les travaux actuels et futurs.
Visite guidée
Commençons par le plus avancé : la construction de l’annexe de la Ferme de la Mouline et la déviation de la rue de la Mouline, qui permettra de respecter la distance nécessaire entre l’angle du Géopolis et l’axe de la route tout en libérant un espace pour créer un trottoir. Ces travaux devaient être réalisés dans le prolongement du chantier du Géopolis. La faillite de l’entreprise générale a contraint le maître d’ouvrage à reporter sa réalisation. En bois et béton, l’annexe abritera les bureaux et les locaux fonctionnels du groupe «Parcs et jardins» du service UNIBAT qui s’occupe de l’entretien des espaces verts à Dorigny, ainsi que les bureaux du service UniSEP, en charge de la sécurité. Coût selon crédit d’ouvrage octroyé: 1,260 million pour la route et 4,563 millions pour l’annexe qui entrera en service en juin 2017.
L’étape suivante concerne, à double titre, le sport. Il s’agit d’une part de la rénovation et remise en état de plusieurs équipements du Centre sportif universitaire de Dorigny, situé dans le quartier Lac du site (coût environ 6 millions, début des travaux au printemps 2017) et d’autre part de la construction du Synathlon dont la mise en service est agendée pour fin 2017. Initié par le Canton de Vaud, et non par l’Université, ce projet doit permettre d’abriter sous un même toit l’organisation, la formation et les Sciences du sport, soit le nouveau réseau d’innovation ThinkSport, l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne (ISSUL) actuellement en fort développement, la Fédération internationale du sport universitaire (FISU), et l’Académie internationale des sciences et techniques du sport (AISTS). Conçue par le bureau zurichois Karamuk*Kuo, cette «ruche» vitrée a séduit le jury du concours par la clarté des lignes des façades qui s’intègrent parfaitement dans le site et la qualité spatiale du concept, des espaces de travail – bureaux et salles de réunion – organisés en une couronne périphérique autour d’un cœur central d’espaces collectifs ouverts les uns sur les autres. Coût selon crédit d’ouvrage octroyé: 26,690 millions.
Unithèque agrandie
Après le sport, les livres et l’étude. Achevée en 1983, située dans la partie centrale du campus, l’Unithèque – qui réunit la Bibliothèque cantonale et le restaurant universitaires – offrira, en 2019/2020, 11’000 m2 et près de 1200 places de travail supplémentaires. Et cela sans perdre sa silhouette si caractéristique et son identité. Située à l’arrière de ce bâtiment iconique, l’extension conçue par le bureau lausannois Fruehauf, Henry & Viladoms ne dépasse en effet que de quelques mètres son gabarit et prolonge le principe des terrasses. Elle exprime toutefois son existence par le biais d’une tourelle périscopique qui éclaire et signale la nouvelle entrée principale, déplacée et redimensionnée. A l’intérieur, l’extension offre un généreux espace de lecture couvert par une toiture qui le franchit d’une seule portée et laisse passer une lumière naturelle diffuse. Une fois les travaux terminés, le nouveau et l’ancien ne formeront plus qu’un seul bâtiment. Coût estimé selon l’Exposé de motif et projet de décret (EMPD) : 73,3 millions.
Quittons le site de l’Unithèque et sa somptueuse vue sur le lac pour le terrain de la Pala, aujourd’hui séparé du quartier des hautes écoles par la ligne du M1 et la rivière de la Sorge. Une passerelle, actuellement en cours de réalisation, le reliera bientôt au campus. Dans un premier temps, elle permettra la construction du projet Vortex, un ambitieux bâtiment circulaire de logements pour 1200 résidents qui comprendra également 75 logements de fonction pour les hôtes académiques et le personnel technique de l’Université. Piloté par le Service Immeubles, Patrimoine et Logistique de l’Etat de Vaud (SIPal), il sera exploité par la Fondation Maison pour Etudiants Lausanne (FMEL).
Imaginé par le bureau zurichois Dürig AG, le projet Vortex relève d’un geste architectural fort et audacieux. Il se compose en effet d’un immense cylindre réalisé à partir d’une dalle de béton unique de 3,8 km, avec une pente de 1%. Cette rampe, qui constitue tous les étages, permet d’associer la circulation intérieure vers les logements avec des surfaces couvertes, communes sur la cour, privatives vers l’extérieur. Terminé fin 2019, le bâtiment hébergera les athlètes des Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) en janvier 2020 puis sera réaménagé afin d’accueillir les étudiants à la rentrée universitaire.
Reprenons la passerelle – en imagination – et dirigeons-nous vers l’Amphipôle, l’ancien Collège propédeutique et tout premier bâtiment du campus, réalisé par Guido Cocchi. Le passage des ans l’a laissé pareil à lui-même, avec toutefois quelques rides et de graves manquements par rapport aux normes énergétiques actuelles. Une intervention s’imposait. Mais laquelle ? Dans un premier temps, une étude a été confiée au Laboratoire des Techniques et de la Sauvegarde de l’Architecture Moderne (TSAM) de l’EPFL. Elle a relevé l’importance du bâtiment dans l’histoire locale ainsi que ses indéniables qualités constructives et d’implantation. Un concours a ensuite été organisé, portant sur la rénovation et réaffectation des deux ailes de l’Amphipôle. Il a été remporté par le bureau Aeby Perneger & Associés SA de Genève.
«Cette intervention s’inscrit dans le cadre plus général, et passionnant, de la revalorisation du patrimoine bâti du XXe siècle», s’enthousiasme Rubén Merino, responsable du domaine planification et projets d’Unibat, le service des bâtiments et travaux de l’UNIL. Les lauréats du concours ont choisi de maintenir les principes de composition des façades, en leur apportant quelques inflexions. Les stores notamment seront abaissés pour permettre une meilleure gestion des apports de lumière naturelle et de la protection solaire. La main courante sera déplacée vers le haut pour respecter les normes en vigueur. Un complément de garde-corps en filet de câbles d’acier sera ajouté. Au niveau de la façade, les verres actuels seront remplacés par des doubles vitrages très performants qui permettront de conserver les menuiseries en aluminium d’origine. A l’intérieur, les architectes ont proposé de remplacer ponctuellement les circulations existantes par de nouveaux espaces. Et d’adapter la profondeur des anciens locaux (des salles de travaux pratiques) à un programme de bureaux nécessitant moins de profondeur et plus adaptés aux futurs utilisateurs de l’Amphipôle : l’Ecole des sciences criminelles (ESC) de la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique et la bioinformatique et biologie computationnelle de la Faculté de biologie et médecine et de l’Institut suisse de bioinformatique (SIB). Coût estimé selon l’EMPD: 43,9 millions.
Les travaux dans l’Amphipôle seront réalisés en deux phases (mise en service de l’aile Ouest en 2019, et de l’aile Est en 2022) afin de profiter de l’avancement du chantier voisin du futur Bâtiment des sciences de la vie. C’est en effet dans ce bâtiment que devraient emménager, dès 2021, les travaux pratiques en chimie et biologie de l’UNIL et de l’EPFL, libérant ainsi la deuxième aile. Ils seront rejoints, en 2023, par la recherche qui constitue l’autre pôle des sciences de la vie.
Prendre le métro
Voilà pour la recherche de base et la recherche fondamentale. Si vous vous intéressez à la recherche translationnelle sur le cancer – une démarche d’action intégrée et transversale face à la maladie – il vous faut quitter le campus de Dorigny, prendre le métro direction centre ville, changer au Flon pour le M2 et vous arrêter au CHUV. En face du Musée de la main, à la rue du Bugnon 25A, vous apercevez un grand chantier comme enclavé entre des bâtiments existants. Vous avez devant vous le futur AGORA – Centre du cancer. Construit par la Fondation ISREC sur un terrain cédé sous forme d’un droit de superficie par l’Etat de Vaud, ce nouvel édifice sera utilisé conjointement par le CHUV, l’UNIL et l’EPFL. Son coût de construction: 80 millions financés par la Fondation ISREC. Son but: encourager et développer jusque dans son architecture une culture d’échange et de collaboration dans le domaine de la recherche contre le cancer. «On veut que les gens se mélangent, insiste Francis-Luc Perret, le directeur de la Fondation ISREC. Une maladie ne peut se traiter par une approche unilatérale. Et on doit anticiper le coup suivant, comme aux échecs.»
Pour promouvoir cette idée, il fallait un bâtiment fort et symbolique. Lauréat du concours, le bureau Behnisch Architekten de Stuttgart a imaginé un volume vitré taillé en facettes et recouvert par une élégante résille en aluminium. Conçu sur sept niveaux, l’AGORA offre trois étages de laboratoires décloisonnés où travailleront 300 chercheurs et cliniciens. Il est relié à l’Institut universitaire de pathologie voisin par un Atrium vitré qui sert aussi d’entrée. Ce sas largement éclairé conduit à l’espace public, ouvert à tous, où l’on trouvera un restaurant, des salles de cours, des espaces d’échange et un grand auditoire. L’inauguration est prévue au printemps 2018.
Et le voyage en métro continue. Direction le Biopôle d’Epalinges. Les chercheurs de l’UNIL y interviendront notamment, dès 2020, dans le cadre d’un futur centre destiné à l’ingénierie immunitaire en oncologie et dédié aux activités de recherche soutenues par l’Institut Ludwig. Inutile toutefois de vous précipiter pour découvrir le chantier: l’appel d’offres pour la construction sera lancé au printemps 2017. Un autre bâtiment destiné à la médecine personnalisée est à l’étude sur le même site. On voit donc se dessiner clairement une nouvelle géographie de la recherche qui suit les lignes du métro et relie Dorigny à Epalinges en passant par le CHUV. Oui, pas de doute. Non seulement, le campus de l’UNIL est rattrapé par la ville, mais il essaime joyeusement hors les murs.