Lors des Mystères de l’UNIL le 3 juin prochain, des Jeux olympiques à l’ancienne seront de nouveau organisés à Dorigny. C’est l’occasion de tester vos connaissances sur les vrais Jeux antiques. Et là, surprise, nous avons la tête remplie d’idées fausses.
Au secours, Zeus revient?! Tous les quatre ans, c’est inévitable. Lorsque les Jeux olympiques réapparais–sent au calendrier sportif international, la mythologie et l’histoire grecques sont convoquées pour donner un soupçon de lustre antique à des compétitions qui se dérouleront à Londres cet été.
L’origine des Jeux de l’Antiquité remonte très précisément à 776 av. J.-C., l’année des premières compétitions à Olympie, attestées par des listes de vainqueurs établies par Hippias d’Elis, environ trois cents ans plus tard. Les concours se perpétueront pendant des siècles, jusqu’en 393, l’année où ils sont supprimés par la volonté de l’empereur romain chrétien Théodose. Et après une longue interruption, c’est seulement en 1896 qu’ils sont en quelque sorte réinventés par le baron français Pierre de Coubertin, pour être célébrés régulièrement tous les quatre ans depuis lors.
C’est donc sur la base de cette chronologie difficilement contestable qu’est célébré l’héritage des Jeux antiques qui imprégnerait, via de Coubertin, les Jeux modernes. A y regarder de plus près, la parenté tient davantage du mythe que de la réalité des temps anciens. Vérification (partielle) avec Anne Bielman Sánchez qui, à l’Université de Lausanne, est professeure d’histoire ancienne et qui, en 1984, puis en 1987, organisa avec Laurent Flutsch les premiers «Jeux olympiques antiques» de l’UNIL.
Dogme N°?1
Dans l’Antiquité, «l’important n’était pas de gagner, mais de participer». Ce slogan favori du baron de Coubertin serait directement inspiré des Jeux antiques…
FAUX. A Olympie, l’un des quatre grands jeux panhelléniques avec Némée, Isthme de Corinthe et Delphes, seul le vainqueur est célébré, les autres ne laissent aucune trace dans les annales et les inscriptions. «Le podium est une invention moderne, souligne Anne Bielman Sánchez. Dans l’Antiquité, il n’y avait pas de deuxième, ni de troisième place.» Les athlètes venaient à Olympie uniquement pour la gloire qui devait retomber sur eux-mêmes, leur cité d’origine et leurs dieux en cas de victoire. Ce qui n’empêchait pas, semble-t-il, que les organisateurs de jeux de moyenne importance mettent de l’argent sur la table pour attirer des vedettes.
Dogme N°?2
A cause de la trêve sacrée, les conflits et les guerres s’interrompaient pendant les Jeux antiques. Ce qui devrait être un exemple pour les temps actuels.
FAUX. La célèbre trêve qui était décrétée à l’occasion des Jeux antiques n’a jamais empêché deux cités de se faire la guerre. «La trêve n’était qu’une façon de garantir la sécurité des athlètes sur le chemin des compétitions et pendant celles-ci, considérées comme des fêtes religieuses. Rien de plus», précise l’historienne de l’UNIL.
Dogme N°?3
Les athlètes antiques étaient des amateurs, ce qui explique que le CIO a longtemps interdit aux professionnels de participer aux JO de l’ère moderne.
FAUX. Cette exigence d’amateurisme est une invention du baron de Coubertin. «Il faut se souvenir que dans le monde grec ancien, il était mal vu de travailler, statut réservé aux esclaves et aux artisans, rapporte Anne Bielman Sánchez. Pour s’entraîner, il fallait donc en avoir les moyens; la pratique du sport s’en trouvait, de fait, réservée aux membres de familles aisées, voire aristocratiques pour certains sports comme les courses hippiques.»
Cela dit, l’entraînement était chose sérieuse. On sait par exemple que les enfants repérés pour leurs dons dans telle ou telle discipline étaient confiés, dès leur plus jeune âge, à des spécialistes. «On les appelait les pédotribes, littéralement, note l’historienne, ceux qui usent les enfants par l’exercice»… Les ancêtres des coaches, peut-être!
Dogme N°?4
La sportivité était la marque de fabrique des Jeux antiques.
FAUX. «C’est une image idyllique des Jeux antiques. L’Antiquité elle-même, dans son ensemble, souffre souvent d’images toutes faites, assez peu fidèles à la réalité», constate Anne Bielmann Sánchez. Les sources dont nous disposons ne fourmillent pas d’exemples de tricheries, mais l’existence de juges chargés de repérer les coups bas – et munis de bâtons pour frapper les récalcitrants – dit assez que les gestes antisportifs n’épargnaient pas les Jeux antiques, même s’ils étaient célébrés en l’honneur des dieux.
Dogme N°?5
La participation des femmes aux JO, en constante augmentation depuis 1900 (42% en 2008 à Pékin), rejoint la pratique des Anciens.
FAUX. «Il n’y avait pas de femmes aux Jeux panhelléniques, ni dans les gradins, ni dans les stades?!, assure Anne Bielman Sánchez. A une exception près, à Delphes, la présence d’une seule femme spectatrice, habillée tout en blanc, parmi la foule exclusivement masculine, la prêtresse de la déesse Déméter.»
Cela dit, on signale aussi, entre les courses, l’arrivée de femmes légèrement vêtues, pour faire prendre patience au public… les pom-pom girls ne sont pas loin?! Il existait pourtant des jeux mineurs, organisés pour les «femmes» (en réalité, des adolescentes de 12-16 ans non mariées) sous la protection d’Héra. Au programme, uniquement des courses. Au Ier siècle av. J.-C., des épreuves hippiques (courses de chars) mixtes sont attestées.
Dogme N°?6
Le nationalisme est une invention des Jeux modernes.
FAUX. «Les cités se livraient une concurrence féroce. Même si elles ne finançaient pas directement les athlètes, elles mettaient au moins des gymnases à leur disposition pour leur entraînement», rappelle l’historienne de l’UNIL. Au bout du compte, compter un vainqueur parmi ses ressortissants était un honneur suprême, ce qui explique leur rivalité.
Indice significatif: dans les listes des vainqueurs qui ont traversé les âges, le nom des cités d’origine est dûment mentionné.
Dogme N°?7
Les athlètes antiques ne se dopaient pas. Voilà pourquoi, entre autres, il faut combattre cette pratique aujourd’hui.
A MOITIE FAUX. Les Grecs n’avaient pas trouvé la formule de l’EPO. Mais rien ne dit qu’ils auraient renoncé à utiliser des produits permettant d’améliorer leurs performances. Ainsi, le lien entre l’alimentation et les performances sportives a été établi très tôt. Le premier régime strict date du VIIe siècle av. J.-C., il était dit «sec»?: l’athlète se nourrissait uniquement de figues sèches, additionnées éventuellement de fromage frais.
Puis, dès le Ve siècle est apparu un nouveau régime (peut-être préconisé par le philosophe Pythagore), à base de viande grillée, surtout du bœuf grillé… l’un de ses principaux adeptes était le fameux Milon de Crotone qui remporta rien moins que six victoires à Olympie, neuf aux Jeux Néméens, six à Delphes et dix aux Jeux Isthmiques. Autant de recettes que les visiteurs des prochains Mystères de l’UNIL pourront déguster.