Rencontre avec Jérôme Barral, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences du sport (ISSUL). Complément à l’article paru dans Allez savoir ! 60, mai 2015.
Dans le cadre d’un projet pilote, une petite équipe de chercheurs de l’UNIL s’intéresse à l’activité cérébrale chez les personnes lésées médullaires. Leurs travaux, qui recourent à l’électroencéphalographie (EEG), touchent plusieurs questions.
Nous apprenons, en grandissant, à décoordonner nos gestes. L’exercice typique consiste à se taper sur la tête et à se frotter le ventre en même temps, puis à inverser les mouvements. «Le passage d’une coordination stabilisée à une autre demande un effort. De manière générale, nous sommes plus à l’aise dans les mouvements symétriques», explique Jérôme Barral, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences du sport. De même, lorsque nous réalisons un geste identique avec chacune de nos mains, et que nous en interrompons un tout en maintenant l’autre, nous menons une inhibition sélective. Cela n’est pas toujours simple, surtout lorsqu’il faut agir vite.
«Le fait de décider de ne pas faire quelque chose fait partie la vie quotidienne. Cette capacité de se retenir n’est pas étudiée chez les personnes traumatisées médullaires, alors que leur cerveau s’est réorganisé suite à l’évènement», poursuit le chercheur. L’EEG, utilisé dans le cadre du Laboratoire de recherche expérimentale sur le comportement de la Faculté des sciences sociales et politiques, pourrait permettre de mieux comprendre les réarrangements cérébraux spontanés, ainsi que leur évolution.
Ces recherches, entamées par Etienne Sallard, sont aujourd’hui poursuivies par Marie Simonet, doctorante à l’ISSUL. Elles s’inscrivent, à long terme, dans la perspective d’améliorer la réadaptation des personnes concernées. «L’entraînement physique régulier est très important pour elles, souligne Jérôme Barral. Grâce à des exercices, il est possible d’améliorer leur coordination et leur motricité.» L’ISSUL forme des coaches APA (pour activités physiques adaptées), qui travaillent à domicile chez des traumatisés médullaires.
Il arrive parfois que le sport ne soit pas envisageable pour une certaine période, à cause d’une opération ou d’un traitement en cours. Il faut donc trouver des alternatives pour maintenir l’entraînement malgré tout. L’observation de vidéos qui présentent des mouvements permet de stimuler l’activité cérébrale, même si les personnes traumatisées médullaires ne peuvent pas les produire. «Quand je vois (ou quand j’entends) une action se dérouler, j’active non seulement les régions motrices, mais aussi les régions qui traiteraient les conséquences sensorielles du mouvement», précise Jérôme Barral. En neurosciences, on parle de neurones miroirs. «Mais pour que cela fonctionne, il faut que le mouvement tenté fasse partie de notre répertoire de gestes connus.»
Chez une personne non traumatisée, la tendance naturelle à imiter ce qui est vu à l’écran est inhibée par le cerveau. Dans le cas contraire, les salons des téléspectateurs des matchs de foot seraient bien plus animés. Or, des travaux récents ont montré que le cerveau lève en partie cette inhibition chez les traumatisés médullaires. Même si les programmes moteurs de ces derniers ne fonctionnent plus, notamment pour ce qui concerne le bas du corps, il en subsiste quelque chose dans leur mémoire. Mais comment caractériser ce «quelque chose» ? Quelles ressources et quels réseaux sont mobilisés ? Comment exploiter cette capacité pour créer des alternatives à l’entraînement physique ? C’est à ces questions que s’attaque le projet pilote mené par Jérôme Barral.