Comme l’affirment la plupart des chercheurs, la rigueur scientifique passe par l’élaboration d’une méthodologie solide, mais aussi humble. Un fait qui n’échappe pas aux Sciences humaines, dont les chercheurs qui se réclament du courant comparatiste n’hésitent pas à mettre à mal certaines façons d’agir dans le monde académique.
Dans les Sciences humaines et sociales notamment, mais dans les sciences en général, de nombreuses disciplines se réclament de la pensée comparatiste. Pour preuve, il n’est pas rare de rencontrer bien des domaines ayant choisi d’adjoindre l’adjectif à leur nomenclature, comme l’Histoire comparée, le Droit comparé ou la Littérature comparée. Reste que les termes choisis, quels qu’ils soient, ne révèlent pas au grand public les problèmes liés à la nécessité et à la difficulté de définir la méthode.
«Ce que nous faisons se définit par l’acte de comparer», explique Ute Heidmann, professeure de Littérature comparée à l’Université de Lausanne et directrice du Centre de recherche en Langues et Littératures européennes comparées (CLE). Un exemple ? Le conte, un terme très souvent utilisé pour englober aussi bien des contes de fées que des mythes ou des fables. Des formes génériques qui se différencient pourtant d’une époque, d’une langue et d’une culture à l’autre. La démarche comparatiste cherche précisément à mettre en lumière les différences des genres, souligner l’impact des langues sur les objets littéraires et montrer comment ils évoluent dans le temps et dans l’espace, parfois en réponse ou en contradiction avec d’autres écrits.
Le tout, pour avoir une vision de ce qu’est le comparatisme, est de s’intéresser aux nuances. A commencer par la dénomination même de la discipline, puisque la chercheuse préfère parler de littératures comparées au pluriel, bien plus qu’au singulier.
Question de méthode
La méthode comparatiste se distingue par sa visée, qui tend à rapprocher les objets sans les classer selon l’importance donnée à une langue, ainsi qu’à dégager des rapports de ressemblance ou dissemblance. En somme, il s’agit de regarder à la loupe de quoi sont construits des éléments, deux textes par exemple, sans chercher à n’en tirer que des caractéristiques communes. «Elles sont le plus souvent des constructions dont peu de personnes remettent en question la teneur idéologique. Je pense que l’adhésion non critique à de tels universaux démontre une forme de paresse scientifique », déplore Ute Heidmann.
Du côté de la méthode donc, le fondement de la réflexion comparatiste consiste à être critique et explicite envers l’exigence scientifique et la construction des objets de recherche. « Expliciter ses présupposés, dire ce que l’on veut faire, pour quelles raisons et dans quel courant ou paradigme un chercheur s’inscrit est très important. C’est la condition de base pour permettre le débat et tendre à la rigueur scientifique. C’est un exercice salutaire pour les Sciences humaines. D’une certaine manière, c’est aussi reconnaître ses limites», affirme Ute Heidmann.
Eviter les étiquettes
«Comparer, c’est être dans la nuance.» C’est ainsi que le professeur de Littérature française à l’Université de Fribourg Thomas Hunkeler concluait sa présentation lors du colloque international sur le comparatisme organisé en novembre dernier à Lausanne. Etre dans la nuance, c’est éviter de ranger les objets dans des catégories d’analyse trop larges pour les chercheurs qui se réclament de la pensée comparatiste. Mais c’est aussi aborder des objets pour lesquels les scientifiques disposent de plusieurs compétences. Comparer un texte germanophone avec un francophone, oui, mais seulement si les scientifiques maîtrisent les deux langues, afin de mener à bien une analyse rigoureuse. «Les personnes qui enseignent aujourd’hui la littérature mondiale sous l’étiquette de la littérature comparée peuvent surprendre. Car qui a les compétences nécessaires pour traiter un corpus aussi immense et complexe» conclut Ute Heidmann.