Chez les fourmis, les plus conquérantes vivent dans des conditions proches de leur lieu de départ. Et les envahisseurs s’installent bien après les végétaux invasifs qu’ils affectionnent. Des pistes suivies de près à l’UNIL.
Les fourmis les plus envahissantes sont-elles capables de coloniser des régions où règnent des climats différents de ceux qu’elles connaissent dans leur lieu d’origine? Cette hypothèse a été heureusement invalidée dans un article paru récemment dans la revue Nature Communications et signé par Cleo Bertelsmeier, professeure associée au département d’écologie et évolution (DEE) de l’UNIL, et son ancienne doctorante Olivia Bates. «Nous avons été surprises de constater que c’est exactement le contraire qui se passe, signale Cleo Bertelsmeier. Les espèces les plus invasives tolèrent peu de changements entre leur aire de distribution native et l’aire où elles sont introduites.»
Les chercheuses ont étudié 82 espèces du monde entier pour en arriver à cette étonnante conclusion. Comment l’expliquer? «Ces fourmis très dominantes occupent tous les climats imaginables de leur aire d’origine. Elles sont donc déjà à leurs limites physiologiques, analyse la myrmécologue Cleo Bertelsmeier. Il leur est ainsi impossible de coloniser d’autres climats. Il s’agit d’une excellente nouvelle, car cela signifie que l’on peut prédire leur invasion en sachant où elles peuvent s’établir.» Néanmoins, il faut se méfier de celles qui semblent plus faibles sur leur territoire, telle la désormais fameuse Tapinoma magnum, une Méditerranéenne introduite en Suisse romande et découverte à Cully il y a quelques années, qui s’est bien installée dans la région lémanique. «Elle n’a pas l’opportunité de couvrir un large territoire chez elle, car elle est en compétition avec d’autres espèces avec qui elle a co-évolué. Elle serait donc plus capable physiologiquement de supporter des températures plus basses lorsqu’elle change de niche écologique et de l’envahir localement.»
La professeure s’intéresse depuis ses débuts à l’impact de la mondialisation sur la dispersion des espèces envahissantes et plus spécifiquement aux facteurs socio-économiques qui favorisent leur propagation. «Il faut transgresser les limites disciplinaires et travailler aussi bien avec des économistes que des mathématiciens pour modéliser nos recherches», souligne-t-elle. À l’aide de modèles statistiques, elle a par exemple pu démontrer avec son doctorant, Aymeric Bonnamour, que les invasions d’insectes suivent celles des plantes. «Avec un effet à retardement, précise la chercheuse. Les flux d’insectes non indigènes actuels s’expliquent mieux par les flux de plantes non indigènes qui remontent au début du XXe siècle que par des flux plus récents. Il semblerait aussi que les flux de plantes étrangères soient un meilleur indicateur de la propagation des insectes que les variables socio-économiques.» Cette étude, sortie dans PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences), a permis de pronostiquer une augmentation de 35% d’envahisseurs à six pattes à travers le monde dans un avenir proche. Un indicateur de poids pour aider à prévenir les invasions dans un futur plus lointain…
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