En quelques décennies, les parcs animaliers ont beaucoup évolué. Leur gestion est devenue scientifique. Au point de convaincre des animaux sauvages d’y faire étape et d’inciter des écologistes militants d’y travailler. Retour sur cette révolution discrète avec Nathalie Rochat, une biologiste qui a été formée à l’UNIL.
Vue de Suisse romande, Nathalie Rochat est certainement l’une des attractions les plus exotiques du zoo de Bâle. Ancienne coordinatrice des campagnes nationales de l’association Pro Natura, cette biologiste formée à l’UNIL s’est fait connaître en défendant la cause des loups qui débarquaient en Suisse.
Ex-collaboratrice du KORA, qui surveille les grands carnivores dans ce pays, la jeune femme est également un défenseur enthousiaste de la présence du lynx dans nos forêts. Et la voilà qui travaille désormais comme… guide dans le célèbre parc animalier!
Une écologiste guide dans un zoo!
Une écologiste militante dans un zoo, ça ressemble à une tigresse en cage. La militante aurait-elle tourné sa veste? «Pas du tout», sourit-elle. D’abord, Nathalie Rochat n’oublie pas qu’un zoo comme celui de Bâle, avec ses 1,46 million d’entrées chaque année (dont de nombreux Romands), constitue un formidable moyen de sensibiliser les gens aux questions écologistes. «Les visiteurs viennent voir des animaux exotiques. Mais je profite toujours des visites que je conduis pour faire des parallèles entre des écosystèmes suisses et ceux d’Afrique qu’on leur montre ici.»
Notamment dans la maison à thème Etosha du zoo de Bâle qui traite de la loi de la nature «Manger et être mangé», où les visiteurs découvrent une chaîne alimentaire basique. «Je m’amuse toujours à rappeler à mon groupe qu’on aurait pu leur dire exactement la même chose en présentant une chaîne alimentaire qui irait des moineaux jusqu’aux lynx, plutôt qu’en montrant des animaux africains.»
Plus largement, Nathalie Rochat trouve encore «que les gestionnaires des grands zoos, comme celui de Bâle, ont énormément évolué dans leur réflexion ces dernières décennies. Le bien-être des animaux y est bien mieux pris en compte que par le passé.» Cette évolution des parcs animaliers constitue d’ailleurs la colonne vertébrale des visites qu’elle conduit. Nous suivons donc la guide qui nous entraîne vers les enclos des loutres et des ours.
Comment sont nés les zoos?
«Il faut se souvenir que les zoos actuels sont les très lointains descendants des ménageries où l’on montrait des animaux, il y a très longtemps, à des gens qui n’avaient ni télévision, ni radio, ni livres, ni images, raconte Nathalie Rochat. On y amenait une faune exotique, par exemple un rhinocéros, on lui donnait du pain sec pendant deux ou trois mois et il finissait par mourir, parce qu’il était mal nourri et que l’on n’était pas capable de s’en occuper. Comme c’étaient des gens richissimes qui organisaient ces spectacles, ce n’était pas grave. Ils avaient épaté la galerie et montré qu’ils pouvaient s’offrir un animal rare.»
Ces exhibitions cruelles ont progressivement pris de l’ampleur. Et la détention des animaux sauvages s’est professionnalisée. «On a commencé à collectionner ces animaux et on a imaginé ces ménageries, souvent en étoile, avec un petit pavillon et deux-trois petits parcs autour», ajoute la biologiste de l’UNIL.
«A Bâle, j’aime bien montrer cette évolution des zoos au travers des enclos, notamment ceux des loutres et des ours, qui furent l’une des premières révolutions des zoos, un enclos mettant l’animal en scène dans un décor qui ressemble à la nature où il évolue à l’état sauvage. Après la ménagerie, les zoos ont en effet développé les enclos maîtrisés. On y trouvait souvent des catelles et de gros barreaux. Les catelles parce qu’elles étaient faciles à nettoyer, et les gros barreaux, parce qu’ils permettaient d’obtenir un effet, du sensationnalisme. Ils devaient montrer aux visiteurs que l’animal est dangereux.»
L’abolition des barrières
Le hic, c’est que de tels décors ne conviennent pas à toutes les espèces présentées dans les zoos, notamment les ongulés. «Pendant des années, on n’a pas compris pourquoi ils mourraient les uns après les autres, alors que la nourriture était bonne. Jusqu’à ce que l’on découvre qu’ils souffraient de vers intestinaux, qui étaient éliminés avec le crottin, qui contaminaient l’enclos et qui infectaient les ongulés par leurs sabots. En bétonnant le sol de leur enclos, devenus alors lavables, beaucoup de zoos ont pu éviter ce problème.»
Les zoos ont encore évolué grâce à des changements de mentalité intervenus chez leurs visiteurs. «L’homme a commencé à se plaindre des barreaux et de la détention des animaux, et l’on a passé directement à l’étape que j’appelle la mise en scène. Avec des éléments complètement dominés par l’architecte, notamment du béton, on a cherché à reproduire le biotope de l’animal présenté. On a installé des mini falaises, des arbres pour reproduire une forme de milieu naturel très rudimentaire tout en maintenant un milieu contrôlable au niveau de l’hygiène.»
Une deuxième révolution se produit quasi simultanément, avec «l’abolition de la barrière qui séparait le visiteur de l’animal. Dans les zoos modernes, les enclos sont conçus de manière à ce que le spectateur ait un maximum de possibilités d’observation dès qu’il arrive près de l’enclos et qu’il oublie presque que l’animal est en captivité. Il n’y a donc plus de barrière entre le visiteur et l’animal», poursuit Nathalie Rochat.
Les maisons à thème
Le stade d’après, dans l’évolution des zoos, c’est le remplacement des enclos par une maison à thème : là, ce n’est plus seulement un animal qui est présenté aux visiteurs, mais un thème. Plusieurs espèces animales et végétales se côtoient donc dans ces nouveaux enclos. Actuellement à Bâle, ces nouvelles déclinaisons du parc animalier sont au nombre de trois. Etosha présente la chaîne alimentaire avec des guépards et des criquets en vedette. A Gamgoas, on découvre les effets de l’intervention humaine dans un écosystème, notamment sur les crocodiles et les lions. Et la nouvelle attraction, Australis, thématise la reproduction en montrant les cas souvent très particuliers, entre autres ceux des marsupiaux.
Cette gestion moderne des zoos, qui privilégie la qualité à la quantité, a encore des effets directs sur le nombre d’animaux présentés. «Nous avons dû écarter certaines espèces, explique Olivier Pagan, le directeur du zoo de Bâle. Nous avons notamment renoncé aux tigres et aux ours polaires, qui étaient des attractions très populaires. Mais notre mission n’est pas de présenter une collection d’animaux. Cela, c’est le rôle d’un musée d’histoire naturelle. Nous, nous devons nous concentrer sur le comportement des animaux, sur la biologie. Nous devons proposer au visiteur de prendre le temps de s’arrêter et de chercher ce qui se passe, notamment au travers de grandes baies vitrées qui lui donnent l’impression d’être dans l’intimité des animaux.»
Des criquets à la place des tigres
Ces nouvelles orientations donnent effectivement de bien meilleures garanties d’un point de vue écologique. Reste à savoir si les visiteurs suivent le mouvement. «Quand nous avons ouvert Etosha, où nous présentions des sauterelles à la place des tigres, nous avons effectivement eu un doute, reconnaît le directeur, mais il ne s’est pas concrétisé. Nos sondages ont montré que les criquets étaient l’attraction la plus populaire d’Etosha. Cela montre qu’un zoo ne doit pas forcément permettre à ses visiteurs d’aller le plus près possible de ce qu’il y a de plus rare ou de plus dangereux. Il peut aussi attirer les foules en montrant de la diversité biologique.»
Une conclusion qui ne fait que des heureux. «Tout le monde y trouve son compte, observe Nathalie Rochat : le visiteur qui a plus de choses à observer, les animaux entre eux, parce qu’ils bénéficient désormais d’interactions avec différentes espèces, comme ils les vivent dans leur milieu naturel, le zoo, les écologistes… Mais il a fallu un bon siècle de connaissances biologiques, d’expériences dans les parcs, de sensibilité humaine et d’éthologie pour aboutir à ce résultat intelligent.»
Jocelyn Rochat