«En proie à la flamme et au fer destructeur, bientôt vous tomberez sans nom, et vous couvrirez la terre de vos ruines : la poussière s’élevant dans les airs comme un tourbillon de fumée sur l’aile des vents m’empêche de reconnaître la maison que j’habitais, le nom même de cet empire disparaîtra : chacune de nous perd tour à tour ce qui lui fut cher, et déjà l’infortunée Troie n’est plus.»
Cette image saisissante de l’incendie de la cité de Priam, conquise par les Grecs, est tirée des Troyennes d’Euripide. La tragédie, présentée pour la première fois en 415 av. J.-C., raconte la fin d’une guerre qui s’est déroulée près de huit siècles plus tôt. Dès le début du texte, un monologue de Poséidon, rien n’est caché des horreurs commises, dont le sort des femmes emmenées en esclavage par les vainqueurs. Cette pièce répond à une crainte bien réelle et répandue dans l’Antiquité. Ainsi, plus de 100 sièges sont mentionnés dans les sources pour la seule Guerre du Péloponnèse (entre 431 et 404 av. J.-C.), soit à l’époque d’Euripide. Il n’est donc pas étonnant que les cités et leurs territoires, au fil des siècles, bâtissent à grand frais forteresses et murailles, des ouvrages dont on peut encore voir les restes de nos jours.
Pourtant, un anéantissement complet, comme celui subi par Troie, fait plutôt figure d’exception. La majorité des villes antiques grecques conquises par les armes se relèvent, parfois rapidement, une fois l’ennemi parti. C’est l’une des conclusions d’un ouvrage récent, The Destruction of Cities in the Ancient Greek World, codirigé par Sylvian Fachard, professeur à l’Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité de l’UNIL et directeur de l’École suisse d’archéologie en Grèce.
Les mentions de ravages sont nombreuses sous la plume des auteurs antiques. Parfois, les archéologues confirment ces récits, et d’autres fois, cela n’est pas possible, ou demeure très ambigu. Ce dialogue entre les textes et le terrain constitue l’un des points forts de l’ouvrage proposé par Sylvian Fachard. Un aspect passionnant réside dans les signes de renaissance des villes. Là, les habitants reconstruisent des ateliers. Ailleurs, de la monnaie est frappée – l’étude comporte un important volet économique –, la cité exporte des biens ou elle peut fournir, quelques années après un siège, des rameurs et des fantassins pour une autre guerre, comme dans le cas d’Érétrie.
Intéressé à établir des parallèles avec notre époque, Sylvian Fachard n’hésite pas à comparer le renouveau de cités antiques envahies avec le sort des villes lors des conflits modernes. Que ce soit à Athènes après l’invasion perse de 480 av. J.-C., ou dans la Grèce ravagée par la Seconde Guerre mondiale puis par la guerre civile de 1946 à 1949, le courage et l’inventivité des habitants, la solidité des institutions, ainsi que la capacité des dirigeants à faire les bons choix produisent parfois des résultats impressionnants.