Comment les plantes se parlent du soleil et de leurs bobos

Une plante est capable de faire la distinction entre le passage d’un nuage et l’ombre qui lui vient d’une voisine. © Thinkstock
Une plante est capable de faire la distinction entre le passage d’un nuage et l’ombre qui lui vient d’une voisine.
©Thinkstock

Elles n’ont pas de cerveau, pas d’yeux. Elles ne crient pas et restent incapables de marcher. Pourtant, les plantes ont des facultés sophistiquées de défense contre les attaques d’herbivores et elles savent même détecter les voisines qui pourraient leur faire de l’ombre. Des chercheurs de l’UNIL étudient leurs étonnants modes de communication.

Les plantes ne peuvent pas se permettre qu’on leur fasse de l’ombre. Parce que le soleil, c’est leur survie. Elles doivent donc résister contre des ennemis végétaux tentés de voler leur lumière, qu’elles soient entourées de membres de la famille ou de fleurs étrangères. Mais aussi contre des intrus dentés, chenilles ou ongulés, qui, par la verdure alléchés, viennent mordiller leurs feuilles, autrement dit leurs panneaux solaires.

Au pays des plantes, on se bat donc contre des herbivores affamés et aussi contre des parasols intempestifs. Sans violence affichée, mais avec des procédés chimiques et électriques aussi raffinés que complexes. Bienvenue dans le monde fascinant de ces organismes qui, privés de système nerveux central, ont développé d’incroyables pouvoirs. De quoi cultiver la curiosité des biologistes de l’UNIL.

Plus près de toi mon soleil

«Une plante est capable de faire la distinction entre le passage d’un nuage et l’ombre qui vient d’une voisine», indique Christian Fankhauser, professeur ordinaire au Centre intégratif de génomique (CIG) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et spécialiste du développement des plantes. «Cette capacité formidable lui permet de ne pas s’exciter et ainsi d’éviter de pousser inutilement à la moindre baisse de lumière.»

Une plante éloignée de la lumière va chercher à tout prix à grandir en allongeant sa tige plutôt que de dépérir. Une technique d’«évitement de l’ombre» intelligente qui se réalise cependant au détriment de la croissance des feuilles et des organes de stockage, comme les racines, précise le biologiste. «Dans un environnement naturel, ça lui donne un avantage compétitif, mais dans un milieu agricole, il s’agit d’un problème. La tige est rarement ce qui intéresse le cultivateur qui se retrouve avec moins d’éléments à récolter.»

Christian fankhauser Professeur ordinaire au Centre intégratif de génomique (CIG) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL
Christian fankhauser
Professeur ordinaire au Centre intégratif de génomique (CIG) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.
Nicole Chuard © UNIL

La plante analyse les ondes qui l’entourent

Le professeur rappelle les premières recherches effectuées sur la perception de la lumière dans les années 20 aux Etats-Unis suite aux déconvenues de paysans. «Les agriculteurs ont remarqué que s’ils bougeaient d’est en ouest, ils pouvaient prendre leurs semences avec eux et les planter sans problème. Mais quand ils voulaient bouger du nord au sud, ça ne fonctionnait pas. On a donc financé des recherches pour comprendre d’où venait cette différence. Et on a découvert que le temps de floraison est contrôlé par la longueur des jours, qui fluctue de façon différente au long de l’année. La perception de la lumière passe avant les changements de température.»

Et comment la plante arrive-t-elle à savoir qui est responsable de son manque d’ensoleillement ? Grâce à sa savante sensibilité qui l’aide à analyser les ondes qui l’entourent. «Elle peut mesurer le rapport qu’il y a entre deux longueurs d’onde: le rouge – que l’être humain voit aussi et que la plante absorbe autant que le bleu, ce qui fait que les feuilles nous apparaissent vertes – et le rouge lointain, que notre œil détecte mal, et que la plante reflète. A l’ombre d’une congénère, la plante ne capte presque pas de rouge, car celui-ci est utilisé pour la photosynthèse de celle qui lui cache la lumière. Mais il lui reste alors beaucoup de rouge lointain, et elle va s’allonger.»

En d’autres termes, Madame la plante individualiste détecte le rouge lointain de ses voisines, s’insurge contre ses ennemies potentielles et déclenche alors tout un tas de réactions à l’interne afin de montrer sa supériorité.

Le langage corporel des plantes

Séverine Lorrain, docteur en Biologie qui a écrit sa thèse sur les mécanismes de défense des plantes à Toulouse, est venue à l’UNIL afin de réaliser un post-doc sur le sujet avec l’équipe de Christian Fankhauser. Les résultats de ses recherches, menées durant plus de trois ans avec un ingénieur, Micha Hersch, ont été publiés dans la revue PNAS. Car, pour comprendre la complexité du langage corporel de la jolie Arabette des dames, ou Arabidopsis thaliana, à savoir la «souris de laboratoire» d’un biologiste végétal, il a fallu jouer de pluridisciplinarité. «J’étais aux fourneaux et il écrivait les recettes, résume Séverine Lorrain. Nous sommes arrivés à la conclusion que les végétaux utilisent les mêmes principes d’ingénierie que ceux appliqués dans les systèmes de communication de l’être humain. En gros, la plante module sa capacité “d’écoute” en fonction de la force du signal produit: si le signal est fort, pas besoin de bien écouter. Mais si le signal généré est faible, elle va “tendre l’oreille”.» Dans ce cas précis, elle perçoit la présence d’autres plantes à travers le changement du rapport de la quantité de rouge sur le rouge lointain grâce à des photorécepteurs particuliers appelés phytochromes, explique la biologiste. «On pourrait comparer ces phytochromes avec des variateurs qui modulent la synthèse d’une hormone de croissance, l’auxine. Lorsqu’il y a plus de rouge que de rouge lointain, le variateur est à pleine puissance et freine la synthèse d’auxine. Une plante n’est pas très loin ? Le rapport rouge sur rouge lointain diminue et diminue le variateur. La conséquence ? Une synthèse importante d’auxine.»

Cette hormone va aider le végétal à rester compétitif par rapport à ses voisines. «En se déplaçant dans la plante, elle va inhiber la croissance des feuilles, mais favoriser celle des tiges, ajoute Séverine Lorrain. Plus fort que ça, une plante à l’ombre va produire plus d’auxines, mais également plus de transporteurs pour acheminer les hormones de croissance plus facilement aux endroits désirés.» Et non pas partout, car cela générerait des dépenses d’énergie inutiles. Pas folle la plante.

Séverine Lorrain Docteur en biologie. Nicole Chuard © UNIL
Séverine Lorrain
Docteur en biologie.
Nicole Chuard © UNIL

Le génie de la plante d’appartement

Les végétaux, décidément étonnants, ont plus d’un pétale à leur corolle pour parer aux tracas du quotidien. Du genre: comment arriver à avoir de la lumière quand il n’y en a presque pas. Par exemple lorsque l’on est une plante d’appartement. «On l’a tous expérimenté, rappelle Christian Fankhauser. Dans une pièce peu lumineuse, la plante penche ses feuilles vers la fenêtre. Il s’agit du phénomène de phototropisme: pousser de façon oblique pour attraper les rayons du soleil.»

Ici, les photorécepteurs sont des phototropines, que l’on trouve surtout dans la tige, et qui captent la lumière bleue utile à la croissance directionnelle. Ils permettent des réponses locales et à distance. «La partie de la tige qui est du côté de l’ombre va pousser plus vite, grâce à une accumulation d’auxines, que celle qui est exposée à la lumière, signale le professeur au CIG. Automatiquement, cela va réorienter la croissance de la tige et de la sorte permettre aux feuilles de se tourner vers le soleil.» Ingénieuse, la plante.

Pourquoi les plantes sont si difficiles à manger

Et comme si les soucis de lumière ne suffisaient pas, les végétaux ont aussi à faire face aux assauts de prédateurs voraces, parfois coriaces, contre lesquels ils ont développé des armes efficaces. Comme le remarque Edward Farmer, professeur ordinaire au Département de biologie moléculaire végétale (DBMV) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, «théoriquement, nous devrions pouvoir nous nourrir en broutant le gazon ou en mangeant des feuilles d’arbre. Mais les périodes de disette en Europe ont prouvé le contraire. Pourquoi les plantes sont-elles si difficiles à manger ?» Il ne faut jamais sous-estimer un végétal blessé.

Le professeur a d’abord découvert que lorsqu’une feuille d’Arabette des dames est attaquée par un insecte, la plante va augmenter sa production d’une toute petite phytohormone dénommée jasmonate. «Cette hormone déclenche une série d’évènements moléculaires invisibles à l’œil nu qui activent des mécanismes de défense dans les feuilles. C’est-à-dire qu’elle provoque une surexpression de deux types de gènes: les gènes de signalisation, importants pour le contrôle des mécanismes de défense, et les gènes de défense. Ces gènes sont contrôlés par ce que l’on nomme la voie du jasmonate.»

Détail notable: les mécanismes de défense activés par le jasmonate agissent principalement sur le système digestif des herbivores. Ils rendent, mélangés à des toxines et des protéines, la plante indigeste. Ce qui explique que nous, humains, soyons obligés de cuire des pommes de terre par exemple pour les assimiler. Simplement parce qu’elles contiennent des protéines antidigestives. «Une plante possède un niveau de défense de base et des défenses induites. La voie du jasmonate contrôle en large partie les deux», précise Edward Farmer.

Edward Farmer Professeur ordinaire au Département de biologie moléculaire végétale (DBMV) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Nicole Chuard © UNIL
Edward Farmer
Professeur ordinaire au Département de biologie moléculaire végétale (DBMV) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.
Nicole Chuard © UNIL

Comment la plante parle à ses feuilles

Si ce cocktail explosif ne tue pas l’assaillant, il lui complique sérieusement la vie. Un insecte non spécialisé goûte la plante, se dit «beurk», part chercher une autre victime et perd beaucoup de temps à trouver ce qui lui conviendra. Un herbivore spécialisé, c’est-à-dire habitué à avaler toujours la même espèce, va quant à lui investir un temps fou à la détoxification des molécules de défense. «Cela freine sa croissance et il devient à son tour une proie facile pour les oiseaux ou tout autre prédateur.»

Une question restait en suspens: comment la plante prévient-elle ses feuilles saines que l’une d’elles est accidentée ? Il y a peu, l’équipe du laboratoire d’Edward Farmer a mis au jour l’existence de signaux électriques qui font office de messagers grâce à l’utilisation de petites électrodes placées sur les feuilles, comparables à un électroencéphalogramme. «Il s’agissait de réaliser une cartographie de l’activité électrique de la plante à la suite d’une blessure, comme on peut en faire une de l’activité cérébrale sur le crâne humain.»

Les résultats de ces recherches sont sortis dans la revue Nature. «Les signaux électriques, les WASPs (wound-activated surface potentials), comme la guêpe en anglais, sont propagés à travers le système vasculaire dans certaines autres feuilles afin d’activer la synthèse du jasmonate qui ensuite active les gènes de défense, relate le biologiste. Seules certaines parties de la plante réagissent. Car si cela se propageait partout, elle devrait le payer cher. Comme la société civile paie pour les avions de l’armée suisse. C’est une dépense significative.»

Des découvertes intrigantes

Une étrange cellule, vide et morte, captive actuellement l’équipe du professeur en Biologie moléculaire végétale: le xylème, qui produit des conduites pour l’eau et les minéraux dans la plante. «La pression dans cette cellule est inférieure à notre pression atmosphérique. En revanche, quand un insecte attaque une feuille et qu’il casse une veine, la pression dans le xylème monte pour égaler celle de l’atmosphère dans laquelle nous sommes.» Ce changement est transmis rapidement à travers la plante. D’abord au niveau des feuilles et de la tige, puis dans les racines. Autour du xylème mort se trouvent d’autres petites cellules vivantes. «Ces cellules semblent être importantes dans la propagation de signaux et surtout être le tout premier site de production de l’acide jasmonique dans une feuille éloignée de la feuille blessée, c’est-à-dire à distance d’une blessure. Elles ont été très peu étudiées par les biologistes, n’ont même pas de rôle connu. Cela va nous occuper pour des années, je pense», s’enthousiasme Edward Farmer.

Autre découverte, «intrigante», selon le professeur au DBMV, certains gènes nécessaires à la transmission des signaux électriques, tels les GLR (Glutamate Receptor-Like), «ressemblent très fortement aux gènes qui agissent sur les synapses rapides du cerveau humain. On ne sait pas encore s’ils fonctionnent de la même manière. Les plantes sont très sophistiquées. On ne peut plus dire qu’elles sont primitives ou qu’elles réagissent lentement. En défendant ses feuilles, chaque plante défend la photosynthèse, c’est-à-dire les réactions biochimiques les plus primordiales pour la vie.»

De deux naturalistes genevois à une agriculture de pointe

Le docteur en biologie Edward Farmer, originaire du Pays de Galles et qui a étudié entre autres en Allemagne et aux Etats-Unis, s’est retrouvé par hasard en Suisse romande afin de faire des recherches sur les mécanismes de défense des plantes. Une aubaine, car ce sont deux physiologistes genevois du XVIIIe siècle qui ont influencé son travail. Charles Bonnet et son livre Recherches sur l’usage des feuilles dans les plantes (1754) et Jean Senebier, «qui a combiné la biologie végétale avec la chimie organique pour faire cette incroyable découverte: les plantes fixent le CO2».

Sans ces deux illustres genevois, les professeurs Edward Farmer et Christian Fankhauser n’auraient peut-être pas pu unir leurs forces autour d’une nouvelle recherche sur l’Arabette des dames. En effet, en collaboration avec un groupe de l’Université de Genève, ils viennent d’obtenir une bourse d’études afin d’analyser les effets de la lumière sur les signaux électriques longue distance et les mécanismes de défense. «Face à un terrible dilemme – entrer en compétition avec ses voisines pour accéder à la lumière ou se défendre contre un agent pathogène – une plante met en général la priorité sur la croissance, signale Christian Fankhauser. Du coup, elle se défend moins bien. Ce qui explique, peut-être, pourquoi on a besoin d’employer autant de pesticides dans les champs. Nous allons étudier les mécanismes qui font qu’elle pousse plutôt que de se protéger. Nos conclusions pourront potentiellement être utiles à l’agriculture.»

En outre, le laboratoire du prof. Fankhauser va travailler avec des membres de l’EPFL sur un projet de cellules photovoltaïques et de tomates sous serres. «Nous allons utiliser des cellules photovoltaïques transparentes de plusieurs couleurs afin de déterminer quelles longueurs d’onde permettent de faire pousser des plantes en parfaite santé qui donnent un bon rendement. Et qui permettent, en plus, à l’agriculteur de générer suffisamment d’électricité pour pouvoir alimenter sa ferme et éventuellement le réseau.»

Laisser un commentaire