A quoi peut bien servir un expert, s’il ne peut pas nous dire quelle race de chien est plus dangereuse qu’une autre? Voilà la question qui nous taraude, après des mois de polémiques sur les pitbulls et autres molosses. Un débat national où l’on a entendu la meute des vétérinaires, des éleveurs canins et des amis des molosses nous expliquer, j’exagère à peine, qu’un yorkshire agressif qui aboie dans un tea-room devrait nous inquiéter davantage qu’un rottweiler qui nous sourit de toutes ses dents.
Dans ce concert de mauvaise foi, qui vise surtout à empêcher la prise d’une quelconque décision politique contraignante, l’interview du professeur Martin Killias vient à point pour démuseler le débat. Vous y découvrirez comment un scientifique peut concrètement comparer la dangerosité d’un doberman avec celle d’un basset. C’est même son travail, rassure le professeur de l’UNIL.
Ne vous inquiétez pas pour autant: nous n’allons pas vous infliger une dizaine de pages remplies de formules mathématiques incompréhensibles pour le commun des mortels. Il arrive en effet que les experts, les vrais, réfléchissent comme vous et moi: en utilisant des critères qui tombent sous le sens commun, mais que l’on a curieusement perdus de vue dans le débat sur les pitbulls.
En l’occurrence, on peut notamment évaluer la dangerosité des chiens en comparant la gravité des blessures que provoquent les différentes races quand elles attaquent un être humain. Car une marque de dents sur un mollet reste sans comparaison avec le drame vécu par cette jeune femme de Villeneuve, qui a dû aller récupérer une partie de son cuir chevelu dans la bouche du molosse qui l’avait sauvagement attaquée.
Si de telles enquêtes sont si faciles à effectuer, comment se fait-il que nous ne les ayons pas déjà sous les yeux? Là encore, la réponse est tristement éclairante. Ce n’est pas parce que nous ne savons pas les faire, mais parce que nos responsables (ici, l’Office vétérinaire fédéral) n’ont pas jugé utile de financer ces recherches.
C’est d’autant plus dommageable que les rares chiffres permettant de comparer la dangerosité des races canines nous laissent entrevoir une situation nettement plus facile à maîtriser que prévu. Ces indices, qui nous viennent de Bâle, nous suggèrent en effet que seuls 2% des chiens seraient responsables de la moitié des accidents qui surviennent dans l’espace public.
Du coup, c’est fou ce que la menace semble facile à éloigner de tous les petits Suleyman qui auraient le droit de courir sur le chemin de l’école sans craindre de se faire déchiqueter par un pitbull.
Jocelyn Rochat