Charles Gleyre, le Vaudois sans qui l’impressionnisme ne serait peut-être pas né

CHARLES GLEYRE Autoportrait, huile sur toile. © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot
CHARLES GLEYRE
Autoportrait, huile sur toile.
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

Le Musée d’Orsay s’apprête à consacrer une exposition au peintre suisse, rappelant la place majeure qu’il a occupée dans l’histoire de l’art. Parallèlement, un séminaire, sous la direction de Valentine von Fellenberg, analyse l’atelier parisien de Charles Gleyre, d’où sont sortis nombre de grands noms, tels que Renoir, Monet ou encore Sisley… Redécouverte d’un artiste sous-estimé.

Les Suisses ont de quoi être fiers: le prestigieux Musée d’Orsay présentera, dès mai 2016, une exposition consacrée à l’un de leurs peintres: Charles Gleyre, né en 1806 dans la commune vaudoise de Chevilly. En Suisse, ce dernier est surtout connu pour sa peinture de l’exécution du major Davel ou encore son célèbre tableau Les Romains passant sous le joug et quelques autres toiles. Au-delà de ces exemples, il reste pour beaucoup un esthète sans grand intérêt, ou pour le dire plus clairement, un artiste purement académique, resté aveugle aux révolutions de son temps. Son œuvre personnelle – entre sujets mythologiques, facture raffinée et perfection glacée – ne l’avoue-t-elle pas clairement ?

Ce serait là pourtant ignorer tout un pan de la carrière de l’artiste vaudois, soit le rôle capital que joua l’atelier qu’il tint à Paris pendant plus de vingt ans, comme nous le rappelle le descriptif de l’exposition. Outre la relecture psychanalytique des œuvres de Gleyre, elle s’attellera justement à mettre en lumière la place majeure que l’Helvète occupa dans la peinture académique parisienne, à travers son atelier présenté comme «le plus libéral et fécond de Paris, où se rencontrèrent à la fois les jeunes artistes de la “nouvelle peinture” – Bazille, Monet, Sisley, Renoir – mais dont sortirent aussi les plus purs tenants de la peinture néo-grecque». Excusez du peu.

Valentine von Fellenberg. Première assistante en histoire de l’art. Nicole Chuard © UNIL
Valentine von Fellenberg.
Première assistante en histoire de l’art.
Nicole Chuard © UNIL

Rôle dans l’histoire de l’art

Valentine von Fellenberg, première assistante en histoire de l’art à l’UNIL, encadre un séminaire sur l’atelier de Charles Gleyre, mettant un accent particulier sur la recherche. Avec ses étudiants, elle s’est lancée comme défi de partir en quête des traces permettant de mieux comprendre le rôle de l’artiste vaudois dans l’histoire de la peinture à travers son atelier. Et peut-être aussi de réparer une certaine injustice…

«Si l’importance de Charles Gleyre est évidente dans le canton de Vaud, on ne réalise pas la portée considérable qu’il a eue dans l’histoire de l’art», signale Valentine von Fellenberg, en faisant remarquer que Gleyre «a été le maître de plusieurs centaines d’élèves, dont quelques grands noms de l’impressionnisme mais aussi d’autres courants artistiques». Comment la chercheuse comprend-elle justement la sous-estimation dont le peintre a longtemps pâti ? «Il y a une double méprise: en France, Charles Gleyre n’a jusqu’à présent été que peu étudié ?; il intéressait surtout pour avoir été le maître de peintres célèbres. En Suisse, nous avons le cas contraire: Gleyre est connu pour les toiles liées à l’histoire vaudoise mais il est souvent oublié en tant que maître de nombreux artistes de renom (lire également Allez savoir ! 42, septembre 2008). J’ai justement le projet de réunifier ces deux visions.»

Par la comparaison d’œuvres, mais aussi en croisant correspondance et autres témoignages écrits relatifs au maître et aux élèves, les étudiants du séminaire cherchent à «reconstruire la situation de cet atelier» et à rétablir les liens entre ce lieu d’enseignement et les talents qui éclateront par la suite. Car, comme nous le rappelle à juste titre Valentine von Fellenberg, «un artiste peut avoir différentes formes d’influence. Gleyre a moins marqué l’histoire de l’art par son œuvre personnelle que par son rôle considérable sur le plan sociologique, notamment en favorisant des réseaux et en soutenant des initiatives nouvelles.»

Les impressionnistes se rencontrent

Que sait-on justement de l’enseignement de Charles Gleyre ? «Nous avons des témoignages d’artistes quant à leurs relations durant leur fréquentation de ce lieu», relève la chercheuse. «Ceux-ci dépeignent un atelier qui a permis le développement de plusieurs noyaux. Différents phénomènes artistiques sont nés dans le contexte de cet atelier, notamment certaines techniques et coutumes telles que l’étude d’après nature fortement encouragée par Gleyre.» L’enseignante insiste en outre sur le fait que «c’est dans l’atelier de Gleyre que les peintres dits impressionnistes – Bazille, Renoir, Monet, Sisley – se sont rencontrés et ont échangé leurs premières convictions artistiques». Si Gleyre n’est pas à proprement parler à l’origine de ce mouvement, qui pourrait cependant affirmer aujourd’hui que l’impressionnisme aurait pu naître hors de ces conditions si favorables à son émergence ?

En effet, «Gleyre enseignait des principes précis, mais offrait une grande liberté artistique», poursuit la spécialiste. «Cette forme de tolérance est d’ailleurs ce que ses élèves appréciaient particulièrement. D’autres témoignages mettent cependant en avant sa sévérité, notamment la rigueur à avoir quant à l’étude. Au-delà de la précision et de la fidélité à ses principes, le maître permettait à chacun de développer son sujet et de le traiter à sa façon.» C’est ainsi qu’ont pu sortir de cet atelier des artistes aussi différents que Renoir, Anker, Gérôme ou encore Poynter. L’influence de Gleyre sur chacun d’entre eux ? Le projet de recherche espère justement pouvoir apporter des éclaircissements sur cette question, comme sur celles liées au fonctionnement de cet atelier et aux relations entre le maître et ses élèves. Le projet sera poursuivi et une publication pourrait même voir le jour… Avis aux curieux!

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