L’Etivaz et Gruyère d’Alpage
Ces fromages d’exception sont au Gruyère ce qu’une grande année est à un grand crû. Un goût franc, presque fruité, avec un léger arôme de noisette, le goût varie selon les alpages. Fromage au lait cru à pâte pressée cuite, il est fabriqué au feu de bois dans des exploitations d’estivage des Préalpes vaudoises et fribourgeoises, mais aussi du Jura vaudois. Après un minimum de cinq mois d’affinage, les meilleures meules d’Etivaz sont sélectionnées et affinées pendant plusieurs mois supplémentaires, afin de donner un fromage à pâte extradure qui sera débité en «rebibes» (copeaux) pour la vente. La «grande histoire» du Gruyère révèle que ce fromage s’exporte dès le XVIe siècle. La guerre de Trente Ans (1618-1648) et la forte hausse de prix des denrées consécutives en Suisse et à l’étranger permettent alors à ce fromage, réputé pour sa conservation, de devenir un article d’exportation très recherché. Et il l’est toujours.
La Tête de choco
Apparue en Allemagne en 1899, cette mousse de meringue enrobée de chocolat était appelée «Mohrenkopf», littéralement «Tête de Maure», vu sa forme et sa couleur sombre, une fois déshabillée de son emballage en aluminium jaune que des générations d’enfants ont connu et découvrent encore. Cette sucrerie de 22 grammes fait son entrée en Suisse allemande en 1944, où elle est produite industriellement, ce qui fait sa spécificité suisse. Elle conquiert ainsi tout le pays. Arrivée en Suisse romande, elle change plusieurs fois de nom. La langue française contourne dans un premier temps l’homophonie avec «tête de mort» par une traduction malheureuse sans être forcément malintentionnée: «Tête de Nègre». L’évolution sociale a conduit les fabricants durant les années 2000 à en faire des «Têtes de choco». Il s’en vend une tonne par an.
Les Basler Läckerli
Proche du pain d’épice, à base de miel, de fruits confits et d’amandes, les Basler Läckerli sont des biscuits découpés en petits carrés, puis glacés. On les désigne en général d’après la ville dont ils sont originaires, et ceux de Bâle sont célèbres. Leur nom remonte au XIVe siècle, une époque où les boulangers spécialisés dans la confection de ces gâteaux étaient appelés Lebkücher, et étaient membres de la corporation zur Safran (marchands d’épice). On a dit qu’ils remontaient au Concile de Bâle (1431- 1449), mais l’Inventaire du patrimoine culinaire suisse a pu démonter la légende. Les premières recettes proches de ce que l’on connaît aujourd’hui remontent au XVIIe siècle seulement: avant, à Bâle, on n’avait tout simplement pas les bons ingrédients (citronat, orangeat, amandes). Les Läckerli du Concile de Bâle ont dû être de «simples» Lebkuchen à base de miel.
Le boutefas
Cette saucisse vaudoise et fribourgeoise à base de porc appartient à l’illustre famille des saucisses crues à maturation interrompue, aux côtés de la Longeole, de la saucisse d’Ajoie, des saucisses aux choux et au foie. Les Romands sont très attachés à ce type de saucisses fumées, «de garde», et qui sont consommées cuites et chaudes. On ne sait pas à quoi ressemblait le boutefas du XVIIe siècle (l’occurrence la plus ancienne du nom remonte à 1634) et l’étymologie n’est pas d’un grand secours. Le terme viendrait du bas latin: «buttis» (tonneau) et «fars» (le radical de farcir). Le boutefas accompagne des poireaux aux pommes de terre dans le plat vaudois, c’est le célèbre papet. A Fribourg, cette délicatesse s’impose à la fête de la Bénichon. Dans le canton de Vaud, c’était le saucisson de fête que l’on mangeait à Nouvel-An. Pour protéger ce pilier du patrimoine culinaire, une AOC est en préparation.
La viande des Grisons
Aujourd’hui produit de luxe, la viande séchée – non pas fumée – des Grisons était autrefois la viande du petit paysan de montagne qui, au fil du temps, a développé cet ingénieux moyen de conservation de la viande pour l’hiver. Elaborée à partir d’épaule de boeuf auquel on ajoute du sel, des herbes des Alpes et un savant mélange d’épices, cette viande passe par trois douzaines de phases de travail assez complexes et longues, qui lui font perdre plus de la moitié de son poids initial et lui confèrent son goût unique. Servie en fine tranche ou en petits cubes, elle s’exporte aujourd’hui dans le monde entier et bénéfice d’un label IGP (Indication géographique protégée), mais pas de l’AOC car aujourd’hui la seule viande des Grisons ne peut satisfaire la demande. Elle est donc le plus souvent importée, notamment d’Argentine.
Michel Beuret