C’est une petite tragédie vaudoise que nous vous invitons à découvrir dans ce numéro d’«Allez savoir!» La trajectoire d’un livre aussi influent que maudit, dont les rares éditions n’ont jamais connu le succès populaire qu’elles méritaient. Et le destin d’un chercheur qui fut exilé à Paris, en 1845, suite à la révolution radicale, avant de devenir un inconnu dans ce Pays de Vaud qu’il a pourtant (ré) inventé.
Dans le meilleur des cas, nous savons aujourd’hui que Juste Olivier a donné son nom à une avenue de Lausanne. Des promeneurs curieux et observateurs ont encore remarqué sa statue barbue, à l’entrée du parc de Milan, dans la capitale vaudoise. D’autres vous diront enfin que la commune de Gryon, où il est décédé en 1876, lui a élevé un monument.
C’est bien peu pour saluer la mémoire de l’historien de l’Académie (l’ancêtre de l’UNIL) qui, quelques décennies après le départ des Bernois, a mis toute son énergie pour arracher notre passé à l’oubli, pour révéler l’histoire vaudoise à ses compatriotes, pour offrir une place plus honorable au Major Davel, et, finalement, pour nous rendre nos racines.
Car, avant Juste Olivier, il n’y avait plus rien. «Le pays avait été vidé de ses croyances et de sa substance» par l’épisode bernois, rappelait Charles Ferdinand Ramuz dans l’hommage posthume qu’il a rendu à l’historien en 1938, avant de présenter son livre comme «un classique, notre seul classique vaudois».
Pourtant, malgré l’appel vibrant de Ramuz, paru dans la préface à la première réédition de l’ouvrage, «Le Canton de Vaud, sa vie et son histoire » n’a jamais été lu par le grand public. Mal accueilli dès sa sortie, entre 1837 et 1841, le livre de Juste Olivier s’est toujours transmis sous le manteau par de rares fidèles qui se le procuraient difficilement et se le prêtaient respectueusement. Et les rééditions de 1938 ou de 1978 n’ont pas modifié son statut de livre boudé par les Vaudois auxquels il était destiné.
Aujourd’hui encore, l’ouvrage prend la poussière dans toutes les bibliothèques du canton, et une longue quête n’est pas nécessaire pour en trouver un exemplaire chez un bouquiniste. Moyennant quelques dizaines de francs, on ressort de l’échoppe avec les deux tomes illustrés par autant de portraits de Juste Olivier réalisés par le peintre Charles Gleyre, son ami. 1200 pages qui valent autant pour leur contenu que pour la légende noire qui les accompagne.
Impossible de les feuilleter sans ressentir un sentiment d’injustice. Cet insuccès chronique du livre semble d’autant plus immérité au XXIe siècle que l’histoire n’a jamais été aussi populaire. Depuis quelques années, les ouvrages racontant les diverses facettes du passé suisse sortent les uns après les autres et deviennent invariablement des succès en librairie. Une reconnaissance du public que le pionnier lausannois n’a jamais connue. Reste à espérer que cette nouvelle mode sera la chance tardive de Juste Olivier d’être enfin dépoussiéré.
Jocelyn Rochat