Candidats à un poste, nous sommes tous des caméléons

À une époque où les informations mensongères (fake news) semblent monnaie courante dans les médias,
Franciska Krings a découvert qu’une certaine imposture a également infiltré le domaine du recrutement
en entreprise.

Adaptation. Les candidats ajustent leurs réponses à ce que les recruteurs souhaitent entendre. © Jehan Khodl

Comme le saurien adapte la couleur de son épiderme à son environnement immédiat pour s’y fondre, le candidat à un poste de travail ajuste ses valeurs à celles de l’entreprise qui recrute pour augmenter ses chances d’être retenu. Une étude de Franciska Krings, professeure et directrice du Département de comportement organisationnel de la Faculté des hautes études commerciales de l’UNIL, spécialiste des ressources humaines, a démontré ce phénomène avec l’innovation et la compétitivité. Mais les postulants sont même prêts à se présenter sous un jour moins positif, en diminuant par exemple leur honnêteté, pour être engagés. 

Comment le soupçon que les candidates et les candidats pourraient jouer les caméléons pour décrocher un poste vous est-il venu ?

La question de la validité des outils de sélection utilisés par les recruteurs pour départager les candidats est un champ de recherche important dans le domaine des ressources humaines. Dans les entreprises, on tend à les utiliser comme un moyen de diagnostic, comme quelque chose de presque médical, pour identifier les meilleurs. Il existe schématiquement deux types de tests : ceux qui évaluent les capacités cognitives, un peu comme des tests de QI, et ceux qui évaluent la personnalité. L’idée étant qu’utiliser ces derniers pour cerner les traits de caractère d’un candidat évite des biais, comme la sympathie ou l’antipathie que la personne qui l’évalue pourrait éprouver pour le concurrent. Le test serait un moyen d’objectiver les choses et serait aussi plus équitable, donnant les mêmes chances à tous. D’où la création de ces outils diagnostics. Mais, évidemment, ils ne sont pas aussi neutres et dénués de biais qu’on aimerait le croire. La question est donc : quelle est la validité de ces tests quant au comportement d’un postulant ? Cette recherche essaie d’amener des réponses.

Mais finalement, pourquoi un employeur a-t-il besoin de connaître la personnalité de ses futurs employés ?

L’enjeu dans le processus de sélection est d’identifier le meilleur employé à un poste précis. La personnalité est un facteur important pour la performance ; évaluer la formation ou les compétences cognitives ne suffit pas à la prédire. L’adéquation entre les valeurs d’un candidat et celles de l’organisation est un élément important pour déterminer la façon dont il va performer – ou pas. D’où le besoin pour les recruteurs de trouver des moyens d’identifier les candidats qui correspondent à la culture et aux valeurs d’entreprise, via des tests qui ont un degré élevé de validité. Mais si les candidats ne répondent pas de façon honnête par exemple, la valeur du test comme outil diagnostic baisse notablement. 

Franciska Krings. Professeure et directrice du Département de comportement organisationnel (Faculté des hautes études commerciales). Nicole Chuard © UNIL

Et justement, ils trichent tous ?

Je dirais plutôt que les candidats ne sont pas naïfs. Ils se font une représentation mentale de ce que le recruteur veut entendre, et ils adaptent leurs réponses. C’est ce qu’on appelle le faking. Plus que de la triche, c’est un phénomène qui consiste à accentuer ou au contraire diminuer certains traits de caractère. On sait que dans le monde du travail, il faut être à la fois ambitieux mais capable de la jouer en équipe, compétitif mais sympa. Alors on coche des réponses qui correspondent à ces personnalités, perçues comme désirables. Des recherches précédentes ont déjà démontré ce phénomène de faking, pour apparaître comme une personne ayant des traits valorisés par la société en général. Notre but avec cette étude était de montrer que ce phénomène est à l’œuvre non seulement pour ces valeurs unanimement reconnues par la société, mais aussi pour des valeurs moins consensuelles, via des tests précis et ciblés.

Vos conclusions ?

Dans nos études, nous avons créé des entreprises avec une culture plus (versus moins) compétitive ou une culture plus (versus moins) innovatrice. Nous avons observé que les candidates et les candidats adaptent leurs réponses aux tests de personnalité à la culture d’entreprise : ils se présentent comme une personne cherchant la compétition dans une entreprise compétitive et comme une personne ouverte et curieuse dans une entreprise qui met l’accent sur l’innovation. Ce qui est remarquable ici est que nous pouvons observer que sous certaines conditions, les candidats se présentent même sous des traits moins séduisants par rapport aux normes sociales qu’ils ne le sont en réalité. Pour être embauchés par l’entreprise compétitive, les postulants se prétendaient aussi moins honnêtes qu’ils ne le sont en réalité, parce qu’ils supposent qu’apparaître comme trop honnête pourrait nuire à leur recrutement. On a ainsi pu prouver que les gens ne cherchent pas forcément à embellir leur personnalité, ils ne visent pas que la désirabilité sociale ; ils peuvent aussi se noircir. 

Cette capacité à jouer les caméléons ne peut-elle pas être vue comme un atout, une faculté d’adaptation utile sur la place de travail ?

Le faking a des points positifs et des points négatifs. D’abord, il faut préciser que beaucoup de personnes font ça, à des degrés divers. Ce n’est pas du tout le propre de certaines personnes malhonnêtes. Et cela démontre qu’un candidat a la sensibilité de comprendre ce qui est désirable dans une situation et la faculté de s’adapter pour se comporter de façon adéquate, ce qui peut être très positif au travail. Mais engager quelqu’un qui n’est pas vraiment tel qu’il se présente comporte aussi des risques. Par exemple parce qu’il peut penser à tort qu’une entreprise très compétitive accorde moins d’importance à l’honnêteté – il peut se livrer à des activités malhonnêtes ou illégales, pensant qu’ici la fin justifie les moyens, et mettre en péril son employeur sur le plan juridique, ou être à l’origine d’un scandale, donc d’un dégât d’image. Plus souvent, ce qui arrive, c’est qu’au fond, l’employé ne sera pas très heureux sur sa place de travail, parce que le poste ne lui correspond pas vraiment. Il va à terme sans doute chercher à changer de job. Et pour une organisation, un taux élevé de roulement du personnel est coûteux. On voit que si on engage une personne qui a joué les caméléons pour faire comme si elle correspondait aux valeurs de l’entreprise, alors que ce n’est pas vraiment le cas, le résultat à moyen terme n’est positif ni pour l’employé, ni pour l’employeur.

Se présenter sous son meilleur jour en accentuant certains traits de sa personnalité ou en en atténuant d’autres, n’est-ce pas finalement ce que nous faisons tous quotidiennement, dans des circonstances différentes, pour séduire quelqu’un, pour l’emporter dans une négociation, etc. ?

Oui bien sûr, ces comportements sont présents dans tous les rapports humains. C’est un comportement adaptatif que beaucoup utilisent. Nous avons vu en plus avec notre étude que c’est fait par petites touches, ce ne sont pas des grosses exagérations. Mais ces petites touches peuvent avoir de grandes conséquences : quand, à la fin des différents tests, un candidat a 1 ou 2 points de plus que le suivant, pas plus, c’est quand même lui qui a le plus de chances d’obtenir le job. En outre, dans le domaine du recrutement, il y a d’autres attentes, notamment sur ce que peuvent offrir les outils de sélection. Parfois, les recruteurs aimeraient avoir un moyen de voir derrière le masque de sociabilité quelle est la vraie personnalité du candidat. Et ils comptent entre autres sur les tests de personnalité pour y arriver. C’est évidemment très difficile de voir derrière la façade qu’affiche un être humain, de voir ce qu’il y a dans sa tête.

Est-ce qu’il y a un moyen pour un recruteur de détecter ce faking, de distinguer ce qui est dû à l’effet caméléon des vrais traits de personnalité d’un candidat ?

Il y a d’abord le réseau : demander aux collègues du candidat, à ses différents responsables précédents comment il se comporte au travail permet une vision plus objective, plus proche de la réalité. Ensuite, il y a bien sûr l’entretien. C’est l’outil le plus utilisé pour la sélection de candidat, et si on y consacre du temps, on peut mieux cerner une personnalité. Demander de raconter des situations ou de donner des exemples concrets qui illustrent un trait de personnalité que le candidat dit avoir permet en général de réduire le faking, parce que c’est plus difficile de se mettre en scène dans un récit si ce n’est pas vraiment du vécu. Donc, sans être 100 % garanti, cela a nettement plus de valeur qu’un simple questionnaire.

Vouloir que la personnalité d’un candidat, ses valeurs, correspondent vraiment à celles de l’organisation dans laquelle il postule, à la culture d’entreprise, en toute transparence et honnêteté, pour le bien des deux, n’est-ce pas un peu théorique ? Dans l’absolu, on voit bien l’intérêt, mais dans la vraie vie, on compose avec beaucoup de facteurs, comme l’état du marché du travail, les opportunités qui s’offrent à un temps T, ses disponibilités, les contraintes familiales, géographiques…

C’est vrai. On ne peut pas remplir toutes les cases pour être un match parfait. Mais travestir sa personnalité sera de toute façon une mauvaise idée. Pourquoi ne pas jouer la carte de l’authenticité ? Commencer par « je ne vais pas vous mentir », et dire qui on est vraiment. C’est mieux que de se présenter comme quelqu’un d’idéal pour le job si ce n’est pas le cas – et puis les gens trop beaux pour être vrais seront de toute façon perçus comme pas nets par le recruteur. Alors que l’authenticité, c’est apprécié, ça peut faire la différence. /

Référence de l’étude : Faking to fit in: Applicants’ response strategies to match organizational culture. Roulin, N., & Krings, F. (2020). Dans Journal of Applied Psychology, 105(2), 130–145. doi.org/10.1037/apl0000431

Cinq conseils de Franciska Krings

Directrice du Département de comportement organisationnel de la Faculté des hautes études commerciales, Franciska Krings propose cinq idées pour augmenter ses chances d’être recruté.

Rester authentique et fidèle à soi-même

C’est le meilleur moyen de ne pas déchanter à moyen terme, comme on vient de le voir. Dans le pire des cas, vous n’obtiendrez pas le poste qui aurait fait votre malheur, ou en tout cas vous aurait mis en porte-à-faux par rapport à vos valeurs. Dans le meilleur des cas, votre authenticité fait mouche et vous êtes engagé pour votre sincérité et votre droiture.

Mettre ses atouts en avant

C’est moins vrai pour les employés expérimentés, « mais les jeunes diplômés de l’université en recherche d’un premier emploi peinent à traduire leurs savoir-faire et leurs compétences en atouts professionnels », souligne Franciska Krings. Or, présenter un séminaire, c’est savoir exposer des enjeux de manière synthétique et savoir parler devant un public nombreux, avoir été président d’une association d’étudiants, c’est par exemple avoir assumé un rôle de leader ou savoir tenir un budget, etc. Vous savez faire cela, dites-le !

Être présent sur LinkedIn

Et aussi sur d’autres réseaux sociaux professionnels. C’est très utilisé par les recruteurs de talents pour repérer des candidats, donc c’est indispensable d’y être. Mais attention à ce qu’on y dévoile de soi – cela inclut les publications, les partages, les commentaires. Ce que montre la recherche et qu’on ignore souvent : plus le petit texte qui résume qui on est au début du profil est long, plus la probabilité d’être contacté augmente. À vos claviers…

Essayer les candidatures spontanées

Une entreprise vous plaît particulièrement et vous vous verriez bien travailler pour elle ? Envoyer une lettre (et votre CV) pour le lui faire savoir. « C’est toujours une bonne idée, souligne Franciska Krings. Ça ne donnera peut-être rien dans l’immédiat – il n’y a pas forcément un poste ouvert qui correspond à vos compétences. Mais vous pouvez tout-à-fait être contacté quelques mois plus tard. »

Soigner sa photo

«On peut trouver ça absurde, déplorer qu’on en soit toujours là, mais c’est un fait : la photo sur votre CV, comme sur votre profil LinkedIn d’ailleurs, joue un rôle prépondérant pour décrocher un entretien – elle est essentielle», relève la chercheuse. Vous avez beau avoir les meilleurs diplômes et des expériences professionnelles intéressantes, si vous avez les yeux du lapin pris dans les phares d’une voiture sur votre cliché, vous n’allez pas être invité à un entretien. Il faut donc soigner les apparences (vêtements, coupe de cheveux, sourire avenant sans être hilare) et la qualité technique de la photo, quitte à s’adjoindre les services d’un ami photographe, voire d’un professionnel.

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