Bousculer la langue

Jérôme Meizoz. Félix Imhof © UNIL
Jérôme Meizoz. Félix Imhof © UNIL

Jérôme Meizoz poursuit l’exploration littéraire et sociale qui l’anime au travers de Séismes, sa première œuvre de fiction qui vient de paraître.

Un petit village à l’ombre d’un flanc de montagne où la jeunesse se heurte aux traditions ancestrales. Des drames, des rires, des bêtises d’adolescents, des secrets et des anecdotes qui parlent à tout un chacun et en deviennent des mythologies sociales révélatrices de la vie. Jérôme Meizoz, maître d’enseignement et de recherche en Littérature française, est également un écrivain reconnu. Son dernier ouvrage, Séismes, offre un tableau impressionniste de son Valais natal.

Du décès de la mère du narrateur, encore petit garçon, au tir à balles réelles au service militaire qui fait du conteur un homme, vingt-quatre courts chapitres racontent ce traumatisme à la saveur aigre-douce qu’est l’adolescence. Ce séisme qui fait basculer l’enfant dans le monde des adultes, Jérôme Meizoz sait le raconter au travers de sa vision sensible, mais non dépourvue d’ironie. Ceux qui ont grandi dans les années 70 à la campagne reconnaîtront au premier coup d’œil les salles de classe aux bancs de bois, la messe du dimanche matin, les souvenirs de guerre des plus vieux racontés en patois, le camp scout, l’argent à économiser pour se payer une télévision qui trône fièrement dans le salon ou l’exploration de la grande ville et de ses libertés. Pour les autres, ces histoires dévoilent cette période de vie où tout est possible, ce sentiment d’invincibilité, la découverte de la sexualité, ce regard à la fois naïf et tellement juste sur un monde que les adultes ne semblent déjà plus partager. «Enfant, les choses sont ordonnées, car l’Univers est donné comme cohérent par les adultes. Mais à l’adolescence tout s’effrite et les réponses des grands se révèlent insuffisantes. Il faut découvrir la réalité dans la douleur.»

Le Valaisan de 46 ans tente ses premiers récits durant la rédaction de sa thèse, dans les années 90. Il ressent l’envie d’écrire de manière plus personnelle et d’explorer sa mémoire familiale. En naît le texte Morts ou vif (Zoé, 1999) qui est désigné «Livre de l’année de la Fondation Schiller» en 2000. «Ça m’a donné le goût de continuer et d’explorer plus à fond certaines questions.» Inspiré par des auteurs comme Annie Ernaux ou Pierre Bergounioux, Jérôme Meizoz s’inscrit dans leur lignée de questionnement sociologique sur la famille, les liens et le monde moderne. «Si je me suis mis à publier, c’est que je pense que la littérature a quelque chose à dire sur l’arrivée de cette modernité individualiste et sur le changement culturel des années 70-80.» Au contraire de ses premiers textes clairement autobiographiques, Séismes est une innovation puisque c’est une fiction. Un récit qui s’inspire tout de même de souvenirs et de situations vécues mais remodelées, recollées ou déformées. «La fiction permet des libertés avec ses propres souvenirs. Dans la vie, il y a certaines choses qui sont devenues des malheurs parce qu’on n’a pas su en parler. L’écriture, c’est aussi trouver les mots pour le dire.»

Si Jérôme Meizoz partage au travers de ses livres, il le fait également en face-à-face avec ses étudiants de français, grâce notamment à un atelier pratique d’écriture littéraire qu’il anime depuis deux ans. L’auteur les invite à ne pas se laisser intimider par la langue. «La littérature est un acte créatif, il faut oser s’en emparer pour exprimer des émotions. Il s’agit de bousculer la langue, de faire entendre le bruissement de la rue et pas seulement l’ordre impeccable de la grammaire.» Partant de ses carnets de notes pour aller vers de petits textes qui forment peu à peu une vaste fresque, l’enseignant griffonne en permanence. Mais il ne rédige vraiment que par périodes. «J’écris quand ça presse. Je prends des notes, j’ai des images en tête et tout à coup ça s’agrège.» Si les sphères académique et littéraire ont des liens pour Jérôme Meizoz, elles restent toutefois séparées. L’écriture académique est formatée par des règles précises tandis que l’écriture de fiction ne doit pas respecter un cadre ni une mission. «Ecrivain, ce n’est pas un métier pour moi. A l’adolescence, personne ne m’avait jamais dit qu’il était possible de devenir écrivain.»

Pour les lecteurs d’Allez savoir!, Jérôme Meizoz lit un extrait de Séismes.

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