On parle toujours des espèces qui disparaissent. Mais savez-vous que, chaque année, les spécialistes du monde vivant découvrent plus de 18’000 espèces nouvelles sur la planète. A la veille de 2010, année de la biodiversité, « Allez Savoir! » est parti à la découverte de ces nouvelles venues, qui sont parfois des parenthèse, des éléphants et des baleines.
Biodiversité. Il suffit de prononcer ce terme pour que, aussitôt, l’on songe à toutes ces espèces en voie d’extinction. A juste titre, car la diversité du vivant s’appauvrit constamment et rapidement à la surface de la planète. Toutefois, dans le même temps, de nombreuses autres espèces sont sans cesse découvertes, étudiées et répertoriées, et elles viennent enrichir notre connaissance du monde vivant.
Il y aurait encore 4 à 5 millions d’espèces à découvrir
Les taxonomistes, ces spécialistes de la classification du vivant, ont inventorié sur Terre quelque 1,8 million d’espèces, tous règnes confondus – des animaux aux végétaux, en passant par les champignons et les micro-organismes. Mais il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg, puisque l’on estime qu’il y en aurait en fait encore «4 à 5 millions à découvrir», selon Daniel Cherix, professeur associé au Département d’écologie et d’évolution de l’UNIL. D’autres chiffres, beaucoup plus fous, circulent aussi, certains avançant «qu’il y en aurait jusqu’à 80 millions!», ajoute le chercheur qui est aussi conservateur au Musée cantonal de zoologie à Lausanne. Il est vrai que dans certains groupes peu explorés – ceux des bactéries, ou encore des algues, des mousses ou des lichens – il y a énormément de découvertes à faire.
Nouvelle panthère, nouvelle baleine… On découvre de nouveaux animaux de grande taille
Chaque année, les chercheurs découvrent des milliers de nouvelles espèces. Rien qu’en 2007, ils en ont trouvé et décrit plus de 18’500 «dont 75 % étaient des invertébrés et 11% des plantes», précise le zoologiste vaudois. Au palmarès de ces trouvailles, les insectes arrivent au premier rang. Cela s’explique aisément: omniprésents à la surface de la planète, ils sont aussi difficiles à repérer et à distinguer.
Il est plus surprenant de constater que l’on découvre aussi des mammifères, et même de très gros. Comme cette panthère nébuleuse – dont les taches ressemblent à des nuages – sortie du bois il y a deux ans en Indonésie. Ou ce nouveau cétacé, une baleine à fanons, décrite en 2003 par des chercheurs japonais, et qui avait été jusque-là probablement confondue avec le rorqual commun.
D’autres sont au contraire minuscules, à l’instar du serpent ou de l’hippocampe les plus petits du monde, qui figurent dans le «Top 10» des nouvelles espèces découvertes en 2009, un classement établi par l’Institut pour l’exploration des espèces de l’Université d’Etat d’Arizona (voir infographie).
Une nouvelle antilope au Vietnam, un nouveau cerf dans l’Himalaya
Certaines régions du monde sont particulièrement propices aux découvertes. C’est bien évidemment le cas des tropiques, zones très riches du point de vue de la biodiversité et qui abritent des forêts encore peu explorées. «Le Vietnam et le Laos offrent un potentiel hallucinant de découvertes, souligne Daniel Cherix. Ces dernières années, on y a mis au jour un bon nombre d’espèces, et pas seulement des petites.»
C’est ainsi que des chercheurs ont répertorié une nouvelle espèce d’antilopes, le fameux saola («Pseudoryx nghetinhensis») du Vietnam. Les populations locales «le connaissaient, puisqu’elles avaient donné un nom à cet animal qu’elles mangeaient. Mais les scientifiques ne l’avaient pas décrit jusqu’à ce que l’un d’eux, en constatant que ses cornes étaient particulières, s’intéresse à ce saola et l’étudie de plus près.»
Les régions himalayennes constituent une autre zone riche en promesses pour les spécialistes. Selon un rapport du WWF, 350 nouvelles espèces – surtout des plantes, mais aussi des reptiles, des poissons et des mammifères – y auraient été répertoriées au cours des dix dernières années. On y a par exemple «découvert une nouvelle espèce de muntjac, aussi appelé cerf aboyeur, qui vit en altitude de manière très discrète», explique le professeur de l’UNIL.
La nouvelle fourmi suisse fait sensation
Les découvertes sont plus rares dans l’hémisphère Nord, zone beaucoup mieux connue que les tropiques. La Suisse, notamment, «a une forte tradition naturaliste et beaucoup de personnes ont récolté et identifié des spécimens, souligne Daniel Cherix. Quand une nouvelle espèce est découverte, elle fait donc sensation.» Rien d’étonnant à ce que la nouvelle fourmi des bois, repérée récemment, ait fait des gros titres dans la presse; elle a d’autant plus surpris que le groupe des fourmis des bois est probablement le plus étudié en Europe par les myrmécologues (voir infographie).
Cette nouvelle venue a été repérée par un doctorant de l’UNIL dans le Parc national suisse. «Or, quelques années auparavant, une autre espèce de fourmis avait été découverte dans le Parc jurassien vaudois, apprécie Daniel Cherix. Cela laisse à penser que les zones protégées sont peut-être encore des endroits qui abritent des espèces à découvrir.»
Les Alpes sont aussi riches en promesses de trouvailles. D’abord parce qu’elles forment deux écosystèmes différents – l’un au nord, l’autre au sud – mais aussi parce qu’elles «abritent des espèces endémiques, c’est-à-dire qui ne vivent que dans une aire très limitée». C’est notamment le cas des insectes, dont certaines espèces ne vivent que dans une seule vallée. Pour les entomologistes helvétiques, cela représente de nombreuses niches à explorer.
Une promotion pour l’éléphant des forêts
Cela dit, en matière de biodiversité, l’expression «découverte d’espèces» recouvre des situations variées. Les espèces en question peuvent être réellement nouvelles, et être passées jusqu’alors inaperçues, en tout cas pour les scientifiques qui ne les avaient jamais étudiées et répertoriées. C’est dans cette catégorie que s’inscrit la fourmi des bois découverte par des chercheurs de l’UNIL.
Mais aussi la petite chauve-souris de cinq grammes que des chercheurs du Muséum de Genève associés à des scientifiques d’autres pays ont découverte dans l’archipel des Comores, en juin dernier.
Dans d’autres cas, ce que l’on avait longtemps considéré comme des sous-espèces apparaissent finalement comme des espèces à part entière. Les éléphants en fournissent un bon exemple. Jusqu’au début du XXIe siècle, les zoologistes considéraient qu’il n’existait que deux espèces de pachydermes, les éléphants d’Asie et ceux d’Afrique. Ils classaient d’ailleurs ces derniers en deux sous-espèces, «Loxodonta africana africana», peuplant la savane, et «Loxodonta africana cyclotis», vivant dans les forêts. Jusqu’à ce que des analyses génétiques viennent bouleverser la donne et «élèvent au rang d’espèce l’éléphant des forêts», explique Daniel Cherix.
Des surprises dans les musées
L’étude approfondie de spécimens conservés dans les musées et les collections révèle aussi, souvent, des surprises. Elle permet notamment de constater que des espèces qui avaient par le passé été confondues sont en fait différentes, ce qui conduit à modifier la classification établie par les anciennes générations de taxonomistes.
«Une grande partie de ce que l’on nomme les nouvelles espèces vient en fait de ces révisions», précise le zoologiste. Le rôle des musées dans la découverte de nouvelles espèces ne s’arrête d’ailleurs pas là. C’est dans leurs collections que sont conservés «les spécimens que l’on désigne sous le nom de type»; ils servent de références et permettent, quand une supposée nouvelle espèce est repérée, de savoir si elle est réellement différente de celles que l’on connaissait.
La preuve par l’ADN
Quoi qu’il en soit, le rythme auquel les chercheurs inscrivent de nouvelles venues à l’inventaire des espèces ne cesse de s’accélérer. Cela tient d’abord au regain d’intérêt de la communauté scientifique pour la biodiversité. Or «plus l’on cherche, plus on trouve», et cela d’autant plus que les chercheurs disposent depuis quelques décennies de nouveaux outils qui leur fournissent une aide non négligeable.
A commencer par l’analyse génétique qui a révolutionné la zoologie, tout comme la botanique. De nombreuses espèces ont été confondues pendant des siècles parce que leurs membres se ressemblent beaucoup, voire sont quasiment identiques, du point de vue morphologique. Seule l’analyse de leurs ADN permet aujourd’hui de les distinguer.
Une nouvelle espèce de mulot
En témoigne l’histoire du mulot alpestre, longtemps décrit comme appartenant à une sous-espèce alpine du mulot à collier, et qui avait été nommée «Apodemus flavicollis alpicola Heinrich». A la fin des années 80, deux chercheurs allemands ont observé dans une même forêt les deux sous-espèces et, sur la base de leurs mensurations corporelles, ont conclu qu’il s’agissait de deux véritables espèces qui ne se croisaient pas.
«Lorsqu’ils ont publié leurs résultats, indique Peter Vogel, ancien directeur de l’Institut d’écologie de l’UNIL, ils n’ont pas été pris au sérieux et beaucoup de leurs collègues n’y croyaient pas.» Peter Vogel et ses collègues ont depuis entrepris de tester cette hypothèse avec des méthodes génétiques, «et nous avons vu que leurs conclusions étaient justes». Le mulot alpestre a désormais acquis le statut d’espèce et il a été renommé «Apodemus alpicola Heinrich».
Le cri de la chauve-souris
A cela vient s’ajouter le développement de nouvelles technologies. Notamment dans le secteur de l’acoustique, où les appareils d’enregistrement et d’analyse des sons et des ultrasons se sont perfectionnés. C’est ainsi qu’en étudiant de près les cris des chauves-souris vivant devant les anciennes galeries d’une mine désaffectée à Baulmes, Olivier Glaizot, conservateur au Musée cantonal de zoologie, et Philippe Christe, chercheur au Département d’écologie et d’évolution de l’UNIL, ont retrouvé le grand rhinolophe, une chauve-souris que l’on croyait disparue de Suisse.
Dans un autre ordre d’idée, la mise au point de sous-marins télécommandés capables de descendre à 4000 mètres permet désormais d’explorer les fonds des océans jusqu’ici inaccessibles. Une vraie mine d’or pour tous ceux qui s’intéressent à la biodiversité marine.
L’apport des mathématiques
Toutes les informations recueillies par ces différentes méthodes d’investigation peuvent désormais être rassemblées grâce à «la taxonomie intégrative». Cette nouvelle approche prend en compte les données morphologiques, génétiques, biologiques (relatives notamment aux substances de communication que sont les phéromones) et comportementales de populations animales et les met en relation, à l’aide de modèles mathématiques.
«Ce système est très performant pour mettre en évidence de nouvelles espèces, souligne Daniel Cherix. Notamment en ce qui concerne les espèces cryptiques, c’est-à-dire très proches les unes des autres.»
Des bases de données sont développées
Décrire de nouvelles espèces est une chose, encore faut-il mettre à la disposition de la communauté scientifique les informations et les «faire circuler très rapidement». C’est dans ce but que, depuis une vingtaine d’années, des bases de données ont été développées.
La Suisse en compte plusieurs dont le Centre suisse de la cartographie de la faune, à Neuchâtel et le Centre suisse de floristique à Genève. «Ce sont des outils incroyables! Cela nous permet de connaître la situation dans n’importe quel endroit du pays», apprécie Daniel Cherix.
Des banques de ce type existent aussi au niveau européen où le réseau Edit (European distributed institute of taxonomy) a été créé en 2006 et, plus récemment, au niveau mondial avec la mise en place du GBIF (Global Biodiversity Information Facility). En septembre dernier, 299 fournisseurs de données étaient connectés à ce dernier réseau qui comptait plus de 180 millions de données concernant des spécimens de plantes, d’animaux ou d’organismes unicellulaires.
«Ce système va permettre à un pays de mettre l’ensemble des informations qu’il possède sur sa faune et sa flore à la disposition de tous sur la planète, explique le professeur associé de l’UNIL. Même les scientifiques des pays les plus défavorisés pourront avoir accès à ces données; il leur suffira pour cela d’avoir une connexion Internet.»
Protection des espèces
Pour les taxonomistes, la création de ces banques de données représente «un grand pas en avant», souligne Daniel Cherix. Ces bases apportent aussi une aide précieuse aux organisations, comme l’Union internationale pour la conservation des espèces (UICN), qui suivent la disparition des espèces et peuvent ainsi «bénéficier rapidement de données actualisées».
Car pour l’enseignant de l’UNIL, «la découverte de nouvelles espèces est aussi importante du point de vue de la conservation des espèces». Il s’en explique par un exemple: «Imaginez une espèce considérée comme abondante et qui se trouve finalement scindée en deux. Il est possible que l’une de ces espèces nouvellement découvertes soit déjà menacée d’extinction.» En fait, conclut le zoologiste, «notre objectif n’est pas d’augmenter le nombre d’espèces connues, mais plutôt, dès qu’une nouvelle espèce est découverte, de songer à sa protection». Une autre manière de préserver la biodiversité.
Elisabeth Gordon