Il n’a qu’une toute petite place dans les livres bibliques des Rois et des Chroniques. Et pourtant, le roi Josias (640-609 av. J.-C.) est à l’origine d’un projet politique et religieux qui a changé notre civilisation, et dont parle, entre les lignes, l’Ancien Testament. Deux experts liés à l’UNIL, un théologien et un archéologue, nous révèlent son destin incroyable.
Il était le petit roi d’un obscur royaume du Levant, mais ça ne l’empêchait pas de voir les choses en grand. Pour transmettre son rêve à son peuple, Josias avait fait rédiger un livre. Et ces parchemins ont traversé les siècles, puisque nous les parcourons encore aujourd’hui dans un best-seller planétaire qui s’appelle «l’Ancien Testament».
L’histoire de ce petit roi Josias s’est écrite plus de six siècles avant notre ère. Elle est largement méconnue – et c’est bien dommage – car elle constitue l’un des tournants religieux majeurs de notre civilisation. Une révolution que des archéologues, tels qu’Israël Finkelstein, fait récemment Dr honoris causa de l’Université de Lausanne (UNIL), et des biblistes comme Thomas Römer, professeur à l’UNIL, travaillent à reconstituer.
A 8 ans, il monte sur le trône
Mais commençons par le commencement. Au début était un enfant nommé Josias, qui naît vers 640 avant J.-C. à Jérusalem, où il grandit auprès de son père, le roi Amôn. Ce souverain ne faisait pas l’unanimité, nous dit la Bible, parce qu’il avait fait «tout ce qui est mal, aux yeux de Yahvé, comme Manassé, son père». Des critiques à la conspiration, il n’y a qu’un pas, vite franchi par les serviteurs d’Amôn, qui assassinent le père pour le remplacer par son fils. Josias se retrouve ainsi, à 8 ans, sur le trône du royaume de Juda. Le voilà à la tête d’un micro-Etat, un petit territoire qui était adossé au rivage de la mer Morte, et qui allait jusqu’à la capitale Jérusalem, mais sans atteindre les rives de la Méditerranée.
Le règne de Josias est brossé à grands traits dans la Bible, en deux-trois pages du «Livre des Rois» (2 Rois, 21-23) et dans le livre des «Chroniques» (2 Chroniques, 34-35). On apprend dans la version des Rois que, l’année de ses 26 ans, le jeune souverain a investi une somme importante dans la restauration du temple de Yahvé, à Jérusalem. C’est durant ces travaux que le grand prêtre Hilqiyahou aurait retrouvé «un «Livre de la Loi» dans la Maison du Seigneur».
Sus aux dieux étrangers!
Après avoir entendu son secrétaire lui faire la lecture de ce texte, le roi Josias aurait eu une révélation. Comprenant que Yahvé est très mécontent de la manière dont il est vénéré dans le royaume, Josias aurait déchiré ses vêtements, et il aurait décidé de tout faire pour apaiser la fureur divine. «Se fondant sur ce fameux «Livre de la loi», «miraculeusement » découvert à Jérusalem, le roi s’est lancé dans une terrible campagne d’éradication visant toute trace de culte étranger sur ses terres, y compris dans les hauts lieux ancestraux des campagnes», explique Israël Finkelstein.
Après avoir installé Yahvé – et lui tout seul – dans le temple de Jérusalem, Josias a poursuivi sa révolution dans le reste du royaume. Il a interdit de brûler de l’encens pour Baal et de sacrifier des enfants au dieu Molek (qui n’était peutêtre rien d’autre qu’une manifestation du dieu d’Israël auquel furent offerts des sacrifices humains). Il a fait couper les poteaux sacrés, symboles de la déesse Ashéra (une divinité féminine qui était fréquemment associée à Yahvé). Il a fait immoler les prêtres des «faux dieux» étrangers sur leurs autels, avant de souiller les lieux consacrés à Astarté (une déesse phénicienne qui allait à cheval, et protégeait le souverain).
Josias invente la fête de Pâques
«Josias ne limite pas son épuration religieuse aux frontières traditionnelles de son royaume: il l’étend vers le Nord, jusqu’à Béthel, où le très détesté roi Jéroboam Ier avait bâti un temple devenu le rival de celui de Jérusalem», précise le Dr honoris causa de l’UNIL. Un édifice que Josias réduit en cendres.
Sur ces ruines fumantes, – après avoir, en quelque sorte, brûlé le veau d’or de son époque –, Josias «révolutionne le rituel, poursuit Israël Finkelstein. Il pose les principes fondamentaux du monothéisme biblique, qui se résument au culte exclusif d’un seul Dieu en un seul lieu (celui de Yahvé à Jérusalem), à l’observance nationale des fêtes principales de l’année juive (comme la Pâque et les Tabernacles), et il y ajoute enfin une série de réglementations diverses.» Ainsi, si nous célébrons encore aujourd’hui la fête de Pâques, c’est autant à Moïse (si tant est que ce personnage ait bien existé) qu’à Josias (dont l’existence historique n’est pas contestée) que nous le devons.
Voilà pourquoi l’archéologue Israël Finkelstein considère «le règne de Josias comme un moment métaphysiquement à peine moins important que l’alliance entre Dieu et Abraham, l’Exode, ou la promesse divine faite au roi David».
Qu’y avait-il dans le livre mystérieusement retrouvé
Vu l’importance de la révolution religieuse qui s’esquisse, le rôle et le contenu du fameux «livre» suscite bien des spéculations. Saurons-nous un jour ce que contenait cet ouvrage? Sourires entendus d’Israël Finkelstein et de Thomas Römer. Car ce livre, nous l’avons sous les yeux depuis plus de deux mille ans. «Il s’agit clairement du «Deutéronome» (soit le cinquième livre de «l’Ancien Testament », et le dernier de la «Torah», ndlr.), répond Thomas Römer. Enfin, le livre retrouvé dans le temple n’était pas la version que nous lisons aujourd’hui dans la Bible, mais c’était une première mouture de ce texte.»
De nombreux indices montrent en effet qu’une ébauche de cet important texte de la Bible est apparue à Jérusalem au moment où Josias allait réformer son royaume. «La loi du «Deutéronome» dit par exemple, au chapitre 12, que Yahvé va choisir un seul et unique endroit où ses fidèles pourront l’adorer et lui faire des sacrifices. Or c’est exactement ce que Josias et ses proches tentent d’imposer avec le culte exclusif de Yahvé à Jérusalem», souligne le théologien de l’UNIL.
Mais le «Deutéronome» ne fut pas le premier livre qui a été rédigé sous le règne de Josias. Que trouvait-on dans la bibliothèque du palais de Josias? «Sans doute des textes comme la première histoire de Moïse, une version de «L’Exode», et certainement «Le Livre de Josué», qui raconte la conquête du pays de Canaan, estime Thomas Römer. Et peut-être aussi une première édition du «Livre des Rois» allant jusqu’au règne de Josias.
La métamorphose du royaume de Juda
L’archéologue Israël Finkelstein abonde dans son sens. Il n’a pas manqué d’observer que le «vieux» livre, prétendument «oublié» dans le temple de Jérusalem, (ré)apparaît au moment exact où l’écriture se généralise dans le royaume de Josias. «Jusqu’en 700 avant J.-C., il n’y a quasiment aucune trace d’activité de scribe dans la région. Ce n’est qu’au VIIe siècle que l’écriture se répand rapidement dans tout le pays.»
Le royaume de Juda connaît alors un «grand boom», dont témoigne le développement de l’écriture, mais pas seulement. La révolution est d’abord démographique. «Vers 720-700, la population du royaume de Juda a explosé», explique Israël Finkelstein. Cet afflux de population (des migrants? des réfugiés?) va modifier le royaume en profondeur, et les rois davidiques (Josias comme son père Amôn descendaient du roi David, ndlr.) ont dû faire face à cette évolution. Ils ont visiblement renforcé leur pouvoir, en commençant par étendre leur contrôle sur les cultes. L’administration de l’Etat s’est également étoffée, et, avec elle, l’écriture s’est imposée jusque dans les campagnes.
Pour Israël Finkelstein, il est «impossible de comprendre Josias sans prendre en compte ces changements», qu’il attribue sans hésiter à l’influence des Assyriens: les conquérants ont en effet contrôlé la région dans les décennies qui précèdent l’avènement du roi Josias. «Le siècle assyrien est le véritable point de départ des réformes. Et Josias n’est que la deuxième étape du processus, même si c’est la plus remplie de sens.»
Le grand rêve du roi Josias
S’ils ont conquis un empire qui s’étendait de l’actuel Iran à l’Egypte, les Assyriens ne sont pas pour autant invulnérables. A l’époque du roi Josias, justement, l’empire se retrouve affaibli. «Leur retrait de la région a dû créer, aux yeux des Judéens, une situation qui ressemblait à un miracle longtemps attendu », analyse Israël Finkelstein. Un siècle de domination étrangère prenait fin, et l’Egypte, l’autre superpuissance de la région, semblait surtout se préoccuper de la zone littorale, épargnant du coup le petit royaume montagneux de Juda.
Cette évolution géostratégique a dû réveiller les ambitions du roi Josias. «C’est probablement à ce moment que s’esquisse, pour la première fois, le rêve d’un grand Israël dans les têtes du roi et de son entourage, qui entrevoient soudain la possibilité d’étendre leur territoire », estime Israël Finkelstein.
Une terre, un peuple, mais deux royaumes
Au nord du royaume de Josias se trouvent en effet des terres «cousines». Quelques décennies plus tôt, cette région appelée «le territoire de Benjamin» appartenait au royaume d’Israël. Selon le récit biblique, Israël et Juda se seraient séparés après la mort de Salomon, peutêtre vers 933. Ont suivi deux siècles de développement indépendant et très inégal des deux royaumes, jusqu’à ce qu’Israël soit envahi par les Assyriens entre 732 et 722 avant J.-C., alors que son arrière-pays, plus pauvre et moins peuplé, le royaume de Juda, échappe à cette catastrophe.
Heureusement pour les Judéens, la roue tourne. Tellement qu’un siècle plus tard, le roi Josias peut songer à (re)conquérir les territoires israéliens perdus à partir de 732. «La mise en oeuvre d’un plan aussi ambitieux a dû nécessiter une propagande énergique et convaincante. Il fallait préparer le peuple au grand combat qui l’attendait», estime Israël Finkelstein. Le résultat de cette opération de communication serait le fameux livre retrouvé dans le temple de Jérusalem.
La réécriture de la saga d’Abraham
Ce premier «Deutéronome» avec le livre de Josué devait jouer le rôle d’une «saga épique capable d’exprimer la passion des rêves renaissants de Juda», estime Israël Finkelstein. Ses auteurs ont donc rassemblé et refondu certaines «des traditions les plus précieuses d’Israël. Ils ont combiné les récits des patriarches Abraham, Isaac et Jacob, en les situant dans un contexte ressemblant à celui du VIIe siècle» (ils ont, par exemple, fait apparaître des chameaux, un anachronisme qui les trahit, ndlr.). Et ils ont mis l’accent sur Moïse qui résiste à «un pharaon autoritaire dont l’empire ressemblait comme deux gouttes d’eau, dans ses détails géographiques, à celui de Psammétique Ier, le souverain menaçant qui règne sur l’Egypte à l’époque du roi Josias.»
Compilateurs d’anciennes traditions, les auteurs de ce premier «Deutéronome» ont aussi ajouté un nouveau chapitre à la saga, un épisode qu’ils ont inventé de toutes pièces. C’est «Le Livre de Josué», qui raconte la conquête militaire de Canaan, et la bataille de Jéricho, où le peuple d’Israël fait sept fois le tour de la ville assiégée en portant l’Arche d’alliance, en attendant que Dieu foudroie les murailles ennemies.
Il faut relire la Bible autrement
Après avoir longtemps cherché – mais en vain – des traces archéologiques de ce conflit légendaire, Israël Finkelstein a fini par comprendre qu’il devait relire autrement cet épisode de la Bible. «Le Livre de Josué» n’est pas un texte historique narrant une bataille qui a eu lieu dans le passé. Il raconte une conquête à venir; il présente une opération militaire imaginée par Josias et son entourage.» Ce texte nous laisserait donc entrevoir le grand rêve du petit roi oublié.
«Ce «Livre de Josué» est très atypique, ajoute Thomas Römer, qui partage l’analyse d’Israël Finkelstein. D’abord parce qu’il est l’un des seuls textes bibliques à prétendre que le peuple d’Israël a pris possession du pays «manu militari ». Ailleurs dans la Bible, on raconte plus simplement que Yahvé a trouvé le peuple dans le désert, et qu’il l’a conduit sur ces terres, sans combattre les autochtones. »
Le professeur de l’UNIL, comme d’autres exégètes, observe encore des ressemblances troublantes entre «Le Livre de Josué» et d’autres écrits contemporains. «Ce dieu militariste qui accompagne son peuple dans les conflits, et qui s’introduit miraculeusement dans le camp adverse pour y tuer des ennemis, ressemble beaucoup à une tentative de transposer au peuple d’Israël les figures divines impressionnantes qui sont traditionnellement véhiculées par l’idéologie et l’iconographie assyriennes.»
Josué, c’est Josias à peine déguisé?
Il y a enfin ce héros qui fait entrer le peuple dans le pays de Canaan, et «dont on ne sait rien, hors du récit biblique», poursuit Thomas Römer. La quasi-homonymie entre les noms de Josias et de Josué a alerté les lecteurs attentifs de la Bible. Tout comme la description du territoire à conquérir, qui est justement celui visé par le roi de Juda. «Certains exégètes voient Josué comme un Josias à peine déguisé. Il pourrait être une figure non pas historique, mais littéraire, qui servirait de miroir au roi. Et qui aurait été placée là pour montrer au peuple que ce qui a été accompli par le passé peut être réalisé à nouveau», souligne le bibliste de l’UNIL.
Au final, ce petit roi oublié se révèle comme la personne par qui la Bible nous a été transmise, mais encore comme l’inspirateur de certains chapitres totalement inventés! «Prétendre qu’il a fait écrire la Bible, ce serait exagéré, précise Thomas Römer, mais on peut effectivement dire qu’il est un peu à l’origine du projet. C’est grâce à lui que nous avons le «Deutéronome », même si le texte que nous lisons aujourd’hui est différent de celui qui devait circuler à son époque.»
Fini de rêver, le pharaon débarque
Si Josias a vu très grand quand il a demandé à ses scribes de lui écrire une légende dorée, le petit roi a vite été rattrapé par la réalité. Lui qui rêvait de conquérir les terres du Nord a eu la mauvaise surprise de voir arriver, du Sud, le pharaon Nékao II (le successeur de Psammétique) qui longeait le bord de mer avec son armée. Au terme d’un épisode très confus (Josias a-t-il cherché à s’interposer entre l’Egypte et la Mésopotamie? Ses ambitions ont-elles provoqué l’ire du pharaon?), le roi succombe, probablement touché par une flèche égyptienne. Il meurt à Megiddo, en 609, sur cette colline qui sera désignée, quelques siècles plus tard, comme le décor de la bataille finale de l’Apocalypse, selon la prophétie de Jean de Patmos.
La mort de Josias laisse ses contemporains en plein désarroi. Et pourtant, après quelques décennies de flottement, les auteurs de la Bible trouveront une explication à son destin tragique. Si Yahvé a rappelé à ses côtés le petit roi qui croyait tellement fort en Lui, c’était pour lui éviter la douleur de voir son royaume mis à feu et à sang par les armées de Nabuchodonosor, qui vont intervenir à Jérusalem à trois reprises, entre 597 et 586 avant J.-C., allant jusqu’à déporter la famille royale et une large partie de la population.
De l’oubli à la légende
Politiquement, la vie du petit roi se solde donc par un échec cuisant. Pourtant, la postérité sera plus clémente avec lui. «Josias a préparé l’idée d’un dieu unique, même si ce n’était pas encore le monothéisme que nous connaissons, et il a mis en place les fondements de ce qui deviendra le judaïsme, puis le christianisme », apprécie Thomas Römer.
Le succès du mouvement religieux qu’il a largement contribué à lancer n’empêche pas Josias de tomber très vite dans l’oubli. Pourtant, sa vision lui a survécu et elle jouit aujourd’hui d’une influence quasi planétaire. Un succès que ce petit roi d’un obscur Etat du Levant n’aurait jamais pu imaginer. Même dans ses rêves les plus fous.
Jocelyn Rochat
Francine agit typiquement comme si l’on ne pouvait appliquer aux textes bibliques les mêmes techniques que pour les autres textes de type mythographiques. Donc, on peut douter de la véracité des textes fondateurs égyptiens ou babyloniens, grecs ou romains, mais pas de la Bible?
Francine, il faut que vous sachiez que la plupart des hommes sur Terre ne croient pas que Moïse aient existé… Pour les uns, ils n’en ont même pas l’occasion parce qu’ils ne connaissent pas la Bible; pour d’autres, ils en ont entendu parler, mais ne le considèrent guère que comme un conte comme d’autres; d’autres encore ont compris que l’histoire est plus importante que la Bible. Je vous accorde que ces derniers ne sont (malheureusement) pas les plus nombreux.
Bonjour,
J’ai lu cet article avec beaucoup d’intérêt.
Comment M. Römer, professeur de théologie à l’UNIL, peut-il dire: « Ainsi, si nous célébrons encore aujourd’hui la fête de Pâques et les tabernacles, c’est autant à Moïse (si tant est que ce personnage ait bien existé)… »
Si l’on est chrétien la bible (parole de Dieu) est vraie et tout ce qu’elle nous révèle, que ce soit l’histoire du peuple de Dieu ou les paroles de Jésus et des apôtres est authentique.
Comment douter de la vie de Moïse ? Dieu nous en parle dans l’Ancien Testament et le rappelle dans le Nouveau. Ils forment un tout: Matt. 8/4 Luc 16/31 Jean 1/17 Actes 6/14 Actes 7/20 Actes 7/22 ont parlé de Moïse.
Dieu est toujours le même. Ce qu’il a dit ne change pas.
Je me réjouis d’avoir une réponse de la part de M. Römer et vous remercie pour votre journal intéressant par ces articles si divers.