Entretien avec Antonio Abellan, post-doctorant au Risk Analysis Group, et Patrick Huber. En complément de l’article paru dans Allez savoir ! 62, janvier 2016.
Antonio Abellan, post-doctorant au Risk Analysis Group, travaille sur les risques de chutes de pierres et de glissements de terrain. L’activité du groupe, mené par Michel Jaboyedoff (Institut des sciences de la Terre) se déroule dans les Alpes, mais également en Norvège, en Espagne, aux Etats-Unis ou Canada par exemple.
Le principe ? Modéliser l’évolution des falaises – ou toute autre structure susceptible de s’effondrer – et mieux comprendre son comportement futur. Pour y parvenir, les scientifiques utilisent en parallèle la photogrammétrie en haute résolution, des senseurs pour mesurer les déformations du terrain et le Lidar. Grâce à un faisceau laser, ce dernier mesure la distance qui le sépare d’un objet, en se basant sur la durée infime que met la lumière à atteindre l’obstacle visé et à revenir.
Les données collectées sont ensuite assemblées pour réaliser des images qui présentent l’objet surveillé en 3 dimensions, à un moment précis. Il faut ensuite comparer ces représentations les unes aux autres, grâce à des outils informatiques développés au sein de leur institut, le Risk Analysis Group. Les variations observées au fil du temps, d’une modélisation à l’autre, donnent des indices sur les risques de chutes de blocs.
Les glaciers sont rapides
Le problème lié à leur recherche réside dans la lenteur des processus à l’échelle géologique. «Même avec le Lidar, nous n’arrivons pas forcément à détecter les déformations les plus petites, qui peuvent pourtant annoncer une chute de bloc», explique Antonio Abellan. Les chercheurs ne peuvent pas non plus rester en permanence installés face à une falaise, afin de ne manquer aucun évènement. Afin d’affiner leur méthode de travail et leurs modèles, par analogie, « nous avons décidé de travailler sur les fronts glaciaires, qui évoluent bien plus rapidement », ajoute le chercheur.
C’est ainsi que, en collaboration avec l’Université de Svalbard et avec l’aide d’un glaciologue reconnu internationalement, Douglas Benn, trois scientifiques de l’UNIL (Antonio Abellan, Antoine Guérin et Patrick Huber) se sont rendus au Spitzberg, du 10 au 14 août dernier. Un lieu intéressant pour la recherche, puisque le front du glacier Tunabreen s’y effondre dans le Tempelfjorden. Au niveau de la logistique, l’infrastructure a été assez lourde. On ne se déplace pas au Spitzberg, gelé et peuplé d’ours, comme dans les Alpes.
En bateau
Pour recueillir les données, les chercheurs se sont installés dans un bateau scientifique, le Viking Explorer, qui avançait lentement le long des 2600 mètres du front glaciaire. Toutes les 6 secondes, deux appareils photo prenaient des images, en alternance. En parallèle, un Lidar installé sur le pont récoltait, en permanence et par milliers, les coordonnées du front glaciaire, dans les trois dimensions X, Y et Z. Le mouvement du navire a compliqué les opérations.
Ce voyage d’une trentaine de minutes a été réalisé 6 à 7 fois par jour, afin de pouvoir obtenir des instantanés de la situation d’une heure à l’autre. «La position du front du glacier est un système très dynamique : il avance en moyenne de plusieurs mètres par jour – certaines parties bougent plus vite, et d’autres moins – et en même temps il y a des processus de changement soudains comme le vêlage qui sont très difficiles à modéliser actuellement», note Antonio Abellan.
Traitement informatique
Une fois les données recueillies sous le soleil permanent du Grand Nord, les scientifiques se consacrent, à l’UNIL, au patient travail d’analyse, donc de repérage des déformations, des fissures et des chutes de blocs. Installé dans son bureau du bâtiment Géopolis, Antonio Abellan montre, à l’écran, les montagnes d’informations disponibles. Tout l’hiver, ces dernières seront traitées et analysées. Il s’agit littéralement de la face cachée de l’iceberg, certes peu spectaculaire, mais essentielle.