Attention aux faux amis

Les nouveaux animaux de compagnie, des fourmis venimeuses, des lézards d’appartement et autres escargots géants, sont en vente sur Internet et colonisent la planète. Certains sont invasifs, d’autres transmettent des maladies, comme l’expliquent des chercheurs de l’UNIL.

Raton laveur. Originaire d’Amérique du Nord, ce mammifère invasif se propage aujourd’hui rapidement en Europe. Il a été observé dans le canton de Bâle-Campagne. © David & Micha Sheldon / Keystone / Mauritius Images

Toujours plus exotiques et toujours plus «instagrammables», les NAC (Nouveaux Animaux de Compagnie) ont le vent en poupe. Et toutes les espèces sont permises: fourmi australienne, écureuil asiatique, escargot africain, écrevisse ou encore tortue américaine, on en trouve pour tous les goûts, toutes les bourses et en toute légalité. «La plupart des régulations se concentrent sur le risque de surexploitation des populations naturelles et donc le risque d’extinction. Seuls les animaux protégés sont soumis à une véritable législation», explique Jérôme Gippet, biologiste qui a travaillé sur le sujet durant son postdoctorat effectué au Département d’écologie et évolution (DEE) de l’UNIL dans l’équipe de Cleo Bertelsmeier. «Il y a ainsi très peu de régulations qui se concentrent sur les invasions biologiques.» En effet, les nouveaux habitants de nos logis peuvent envahir de plus grands territoires s’ils s’échappent ou si on les relâche dans la nature, au détriment de la biodiversité locale et avec un impact certain sur l’économie. Sans compter les menaces sanitaires que leur proximité engendre. Entrée dans un univers insoupçonné pris très au sérieux à l’UNIL.

Des fourmis sur les réseaux sociaux

«C’est en étudiant les fourmis et leur dispersion involontaire à travers le monde, liée aux activités humaines, que j’ai commencé à m’intéresser à leur commerce en tant qu’animal de compagnie, raconte le myrmécologue, actuellement chercheur au Département de biologie de l’Université de Fribourg. Jusque-là, le commerce global d’espèces était surtout analysé chez les plantes et les vertébrés.» Sur 15000 espèces de fourmis recensées sur Terre, 630 étaient proposées à la vente en ligne en 2020, soit une augmentation de 20%, comparé à 2017 (520 espèces). Avec, à chaque fois, une surreprésentation d’envahisseuses proposées sur les boutiques en ligne.

Des fourmis, l’étude s’est étendue à tous les NAC dans un article publié dans la revue américaine PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences). «En utilisant les fourmis comme modèle d’étude, nous avons découvert que les espèces invasives ont plus de chances d’être commercialisées en tant que NAC. Alors qu’auparavant, on considérait seulement que le commerce était un moteur d’invasion. Être capable de coloniser divers habitats et avoir de grandes aires de distribution augmente les chances d’être récoltées et de finir sur le marché international. On est donc dans un cercle vicieux qui risque d’accélérer les invasions biologiques liées au commerce de NAC dans le futur.»

De longues heures passées sur Instagram, «pour des raisons professionnelles», ont permis au biologiste de vérifier que les insectes attiraient de nombreux amateurs sur tous les continents. Le réseau social, «l’un de ceux où les gens parlent le plus de leurs animaux de compagnie exotiques, en postant des photos avec des hashtags assez précis et informatifs», est ainsi devenu une aide à la recherche. «À l’UNIL, nous avons pu réaliser une des premières recherches d’ampleur – avec une collecte de données automatisée grâce à des bots* – qui montre qu’on peut utiliser les réseaux sociaux pour analyser ce genre de commerce», se réjouit le chercheur.

Jérôme Gippet. Biologiste, aujourd’hui à l’Université de Fribourg. Il a mené son postdoctorat au Département d’écologie et évolution (Faculté de biologie et de médecine). Nicole Chuard © UNIL

Une liste européenne en expansion

En 2016, l’Union européenne a créé la première liste visant à empêcher la détention, l’import et l’export d’espèces qui pourraient causer des invasions, la List of invasive alien species of Union concern. «37 espèces y figuraient alors, souligne Jérôme Gippet. En 2019, leur nombre est passé à 88 et il ne cesserait de croître.» Qui trouve-t-on sur cette liste? Des invertébrés, dont six espèces d’écrevisses. Pour rappel, notre écrevisse à pattes blanches disparaît peu à peu de nos cours d’eau au profit de trois Nord-Américaines introduites dans les années septante. Mais aussi des poissons, tels les poissons-chats ou la perche-soleil, des Américains qui prospèrent déjà dans nos lacs ou des reptiles comme la tortue de Floride – interdite en Suisse en tant qu’animal de compagnie depuis 2008, mais que l’on retrouve régulièrement dans les médias à la suite d’abandons dans la nature –, des oiseaux et des mammifères, parmi lesquels cinq espèces d’écureuils importées d’Asie ou d’Amérique.

Le spécialiste en biologie invasive cite l’exemple le plus frappant d’une créature très mignonne, responsable de terribles dégâts, qui figure sur cette liste: le fameux raton laveur. Un États-Unien venu en Allemagne où l’on a commercialisé sa fourrure, relâché dans la nature après la Seconde Guerre mondiale et qui a fini par rencontrer ses pairs en Belgique et au Luxembourg, des «mascottes» apportées, puis laissées par des soldats américains après la même guerre. «Hyper-invasif, il n’est pas très stressé par notre présence, il se reproduit bien en milieu urbain et en captivité. Il est donc en train de se propager rapidement en Europe.»

De potentiels envahisseurs partout

Selon le chercheur, «la faculté d’une espèce à s’épanouir près des êtres humains augmente ses chances d’être introduite en dehors de son aire naturelle. Plus un animal sauvage aime l’Homme en quelque sorte, plus il peut devenir invasif. Cela va avoir des conséquences sur la biodiversité locale et augmenter les risques de transmission de pathogènes à la faune native, mais aussi aux êtres humains. La présence du raton laveur peut par exemple devenir un problème sanitaire, car il est porteur de nématodes, des vers ronds, potentiellement transmissibles à l’être humain.» Pareil pour un NAC hors du commun qui a un succès fou en Europe, l’escargot terrestre géant (Lissachatina fulica). Jérôme Gippet l’a découvert lors de ses recherches sur Instagram et son étude est parue dans le journal Parasites & Vectors. «Cet escargot est problématique, car il est connu pour transmettre de nombreuses maladies, dont le nématode pulmonaire du rat qui, chez l’Homme, peut provoquer une méningite à éosinophiles. Elle est rarement mortelle, mais peut entraîner divers symptômes, dont des troubles neurologiques graves.»

La prolifération de photos mettant en scène des détenteurs du gastéropode, notamment des enfants qui le posent sur leur visage, est inquiétante d’après le biologiste, d’autant qu’on n’a aucune idée de la prévalence de pathogènes au sein des élevages européens. En Suisse, l’énorme hermaphrodite commence à faire parler de lui. En septembre 2022, à Saxon (VS), sept escargots géants ont ainsi été retrouvés à proximité d’un parcours de sport. Sans doute un abandon, illégal, mais très dangereux pour la biodiversité et les cultures, car Lissachatina fulica a tendance à pulluler et possède un gros appétit. «Ces individus n’auraient sûrement pas passé l’hiver, rassure toutefois le spécialiste, car l’espèce est adaptée aux climats tropicaux. Ailleurs dans le monde, cet escargot peut être beaucoup plus dévastateur.»

Cleo Bertelsmeier. Professeure associée au Département d’écologie et évolution (Faculté de biologie et de médecine). Nicole Chuard © UNIL

Des invasions qui coûtent cher

Chez nous, la moule quagga (Dreissena rostriformis), originaire de la mer Noire et sûrement acheminée par des bateaux, s’est répandue à grande vitesse dans plusieurs de nos lacs, dont le Léman, depuis sa découverte dans le Rhin à Bâle en 2014. S’en débarrasser coûte extrêmement cher et l’UNIL l’a appris à ses dépens. L’eau du lac est en effet utilisée pour refroidir les bâtiments du campus de manière écologique, grâce à des installations de pompage. Les larves de ces moules s’y infiltrent. Une fois adultes, les mollusques s’amassent dans les conduites et les bouchent. Des millions de francs seraient maintenant nécessaires pour lutter contre ces envahisseuses et tenter de s’en débarrasser.

Le CNRS a publié une estimation de l’impact économique des espèces non indigènes en 2021. Ces quarante dernières années, l’humanité a dépensé 1300 milliards de dollars à cause d’elles, 167 milliards uniquement pour 2017. «Certainement une sous-estimation, juge le docteur en biologie. Il s’agit d’un mélange de pertes, de récoltes par exemple, de frais d’entretien, de contrôle, de lutte, de santé et de recherche de nouveaux traitements. Aux États-Unis, les coûts liés aux piqûres de Solenopsis invicta, une fourmi de feu native du Brésil, représentent plusieurs centaines de milliers de dollars par an. À noter qu’une première population de cette espèce a été observée en Europe dernièrement, en Sicile.»

Interdire ou contrôler?

Encore aux États-Unis, une épidémie de salmonellose s’est déclarée dans vingt États entre 2022 et 2023. La cause? L’élevage de dragons barbus, des lézards australiens. «La plupart des personnes infectées ont été en contact avec ces reptiles, indique le biologiste. On imagine souvent que les animaux de compagnie élevés depuis plusieurs générations en captivité, que ce soit localement ou en dehors de leur environnement naturel, sont sans danger. Cela se révèle totalement faux. La question reste complexe. Comme nous, ils peuvent posséder des souches de parasites et de pathogènes capables d’évoluer et de se transmettre. Ces élevages mériteraient un encadrement et des contrôles vétérinaires réguliers afin d’identifier et de limiter les risques. Chats et chiens sont régulièrement soumis à un contrôle vétérinaire. Pourquoi ne devrait-il pas en être de même pour les animaux exotiques?» 

L’idéal serait de mieux encadrer la possession de NAC, en particulier d’invertébrés, «notamment en informant les potentiels intéressés des dangers et responsabilités qui accompagnent la détention de ces espèces», suggère Jérôme Gippet. Interdire serait contre-productif, puisqu’il suffit «d’un petit coton humide placé dans un tube pour envoyer par la poste des fourmis, des araignées ou des phasmes, même lorsque c’est interdit, ce qui est rarement le cas. Ils survivent très bien plusieurs jours dans ces conditions. Le commerce des invertébrés s’est généralisé en même temps que l’utilisation d’Internet dans les années 2000. Et il est toujours difficile à détecter par les douanes.»

De nouveaux pays demandeurs

Tandis qu’elles ont subi de terribles invasions par le passé, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont réussi à limiter les dégâts en soumettant les arrivées sur leur sol à des contrôles drastiques. «Comme dit l’adage, mieux vaut prévenir que guérir. Et la meilleure façon de ne pas avoir d’invasion, c’est de l’empêcher de débuter.» Le spécialiste voit aussi venir de nouveaux défis qu’il va falloir gérer. À commencer par un changement des protagonistes. «Les pays développés et riches étaient jusqu’à maintenant des consommateurs, tandis que les pays tropicaux étaient des producteurs. Avec le développement socio-économique de certaines régions d’Asie du Sud-Est, d’Amérique latine ou de la Chine, la structure des réseaux de commerce va changer. Des espèces européennes vont se diffuser sur d’autres continents.» La fourmi méditerranéenne Messor barbarus, simple à élever et à nourrir, très populaire en Europe, commence ainsi à avoir du succès en Chine. 

«Au cours des décennies à venir, les règles en termes d’origine et de destination d’espèces commercialisées en tant que NAC vont être bouleversées. Par ailleurs, les influenceurs, qui ont un effet retentissant sur les choix des consommateurs et les modes de consommation, risquent aussi de peser sur l’avenir. Il y a certaines invasions en préparation. On ne les a pas encore détectées, mais elles vont arriver.» Le chercheur n’en est pas moins optimiste quant à nos moyens de défense. Il se souvient en souriant du cas de la fourmi Lasius neglectus, originaire des steppes d’Asie, qu’il a étudiée durant son doctorat à Lyon (F) et qui se propageait sur son campus. «Dès que l’université a changé sa gestion des espaces verts, en arrêtant de tondre pour favoriser la biodiversité, la colonie s’est réduite et est désormais beaucoup moins problématique. Les espèces natives ont pu reprendre le dessus, alors que les espèces spécialistes de milieux perturbés n’ont pas résisté au retour de la nature…»

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