Entre la poire et le fromage, une plongée dans la littérature avec Marc Escola, professeur à la Faculté des lettres et spécialiste des XVIIe et XVIIIe siècles.
Manger avec Marc Escola, c’est butiner entre La Bruyère, Pascal, la Rochefoucauld et un trio dont nous apprécions aujourd’hui encore différentes interprétations sur scène, Molière, Corneille et Racine. A l’UNIL, le professeur Escola conjugue l’histoire littéraire (l’analyse des œuvres dans leur contexte d’apparition) et la théorie (qui traite des notions transversales). Cette dernière s’intéresse, entre autres questions délicates, aux critères permettant de départager les textes de fiction et de non-fiction: «La fiction est décelable dans les romans à la troisième personne, comme chez Flaubert ou Jane Austen. A la première personne, elle se donne toujours pour une imitation par la fiction des genres autobiographiques non-fictionnels», soutient-il.
Ce spécialiste des XVIIe et XVIIIe siècles a consacré sa thèse à La Bruyère, dont le discours discontinu ménage en réalité de subtiles transitions, les fragments s’organisant en série, où se font jour des effets de composition. On lui demande un exemple issu du recueil des Caractères: «Onuphre, réécriture du Tartuffe de Molière, qui constituait pour La Bruyère le portrait caricatural d’un faux faux-dévot, dont il se proposait d’exposer quant à lui le vrai caractère». Mais s’il doit citer un auteur qu’il admire par-dessus tout, il mentionne Pascal et Rousseau pour leur génie littéraire, politique, philosophique et scientifique.
Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure (ENS), Marc Escola fut assistant à La Sorbonne-Nouvelle (Paris 3), maître de conférence à La Sorbonne (Paris 4) et professeur à Paris 8 (Saint-Denis). De cette dernière expérience, il garde le souvenir de professeurs motivés dans un environnement défavorisé. Un contexte propice aux malentendus, quand la question religieuse revient au centre des préoccupations. «La plupart des étudiants musulmans n’ont pas appris que le Coran avait une histoire, ne peuvent pas admettre qu’il constitue un texte dans l’Histoire; ils le reconnaissent comme le seul texte “vrai”, renvoyant tous les autres au champ indistinct de la “fiction”, et il est très difficile de les amener à réfléchir sur le statut des genres, la pluralité des sens d’un même texte, la concurrence des interprétations», explique Marc Escola.
Pour ceux qui apprécient la littérature et l’étudient, il anime le site Fabula.org, alimenté essentiellement par des chercheurs et des étudiants avancés de l’UNIL et de l’ENS. Les rubriques affichent les actualités relatives à la littérature mondiale; le site héberge aussi deux revues en ligne, l’une offrant des comptes rendus et l’autre explorant les relations entre l’histoire littéraire et la théorie. Il vient de déposer un projet d’innovation pédagogique à l’UNIL, afin de développer une encyclopédie des notions de théorie littéraire.
Signalons (pour ne pas terminer) un séminaire de master où il invite ses étudiants à «renverser l’idée commune qui fait de l’inachèvement un accident pour considérer l’achèvement en tant qu’exception et la continuation comme loi de la création authentique». Il cite Stendhal dont la plupart des romans sont restés inachevés, ou Paul Valéry, incapable de mettre un terme à la composition de son poème Le Cimetière marin. Si l’échange doit s’interrompre, un dialogue avec Marc Escola ne laisse pourtant pas à ses interlocuteurs un sentiment d’inachevé.
Un goût de l’enfance
Celui des girolles cueillies le matin très tôt et préparées avec de l’ail et du persil.
Une ville de goût
Paris, où l’on peut trouver toutes les cuisines du monde et où j’ai longtemps vécu dans un quartier cosmopolite?: celui désormais associé aux attentats de 2015.
Avec qui partager un repas?
Un écrivain bien vivant: Eric Chevillard, le plus fantaisiste des écrivains français contemporains.