Dans le lac, la mer, l’océan, la piscine du coin, ou même dans sa baignoire, le simple fait d’immerger son corps dans l’eau déclenche toutes sortes de changements physiologiques. Ils sont vasculaires, cardiaques, respiratoires, et on en passe. Les explications d’un expert de l’UNIL et du CHUV.
C’est le rêve du vacancier. Piquer une tête, faire quelques brasses ou barboter en se laissant porter par le courant. Que ce soit dans le lac, la mer, l’océan, la piscine du coin, ou même dans sa petite baignoire, on y revient toujours d’une façon ou d’une autre. L’eau, élément cardinal, souvenir rassurant de notre vie foetale, revigore, relaxe, sans pourtant que l’on sache exactement comment. Des thermes romains aux spas des grands hôtels en vogue aujourd’hui, elle a toujours été associée à une forme de bien-être. En vérité, le simple fait d’immerger son corps dans l’eau produit déjà toutes sortes d’effets insoupçonnés sur l’organisme.
L’eau nous ressource
Si l’homme n’est pas fait pour survivre en milieu aquatique, il est fait pour s’y ressourcer, c’est une évidence. Plongé dans l’eau, tout son être réagit. «L’immersion du corps dans l’eau ne modifie pas seulement le régime des pressions à la surface et à l’intérieur du corps, mais aussi la répartition du poids relatif entre les différentes parties du corps. Ces changements induisent des effets vasculaires, cardiaques, respiratoires, neurophysiologiques, neurovégétatifs, humoraux et mécaniques, pour n’en citer que les plus importants», énumère Rolf Frischknecht, médecin responsable au sein de l’Unité de Neuroréhabilitation et de Médecine physique du CHUV. La liste est longue!
Immergés, nous sommes moins lourds. Jusqu’à 90%!
Premier effet, probablement le plus facile à appréhender: l’apesanteur. Pour se faire une idée, un baigneur immergé dans une eau douce jusqu’au nombril réduit son poids d’environ 50%. Si l’eau lui monte jusqu’au cou, il pèse 80 à 90% de moins que sur la terre ferme! C’est la fameuse poussée d’Archimède.
Du coup, contrairement à notre position habituelle, debout, les muscles peuvent se décontracter et la charge qui pèse sur les articulations, les tendons et les ligaments s’en trouve forcément allégée; même soulagement pour les genoux, les hanches et les chevilles. En un mot: se laisser flotter, ça relaxe!
Si on se sent comme un poids plume dans l’eau, la pression sur la peau et les tissus profonds, elle, est renforcée. Une pression plutôt utile, que le Dr Frischknecht compare à l’effet d’un bas de soutien. «Les veines sont comprimées, surtout au niveau des pieds, à l’endroit où le corps est le plus profondément immergé. Cette compression décroît progressivement jusqu’à la surface de l’eau. C’est ce dégradé de pression qui va accélérer le retour veineux. Le sang est massé vers le haut, vers le coeur qui travaille plus et utilise plus d’oxygène. »
C’est tout bénéfice, excepté pour les personnes souffrant d’insuffisance cardiaque et d’athérosclérose qui devraient, elles, faire trempette avec prudence. Il arrive en effet que la pression sanguine soit insuffisante pour garder les artères ouvertes sous la force de l’eau, et que celles-ci soient tout bonnement écrasées!
Pourquoi elle est diurétique
La baignade stimule donc la circulation du sang et le système cardio-vasculaire. Mais le même mécanisme entraîne aussi d’autres changements métaboliques. Pendant que le coeur se met à battre la chamade, son oreillette droite (une des cavités du coeur) se tend et déclenche une modification des sécrétions hormonales. La production d’hormone antidiurétique et d’aldostérone diminue, ce qui va stimuler le travail des reins qui se mettent à excréter plus d’eau et de sel. D’où cette fréquente envie d’uriner après avoir passé un moment dans l’eau.
A côté du système cardio-vasculaire et des fonctions rénales, l’eau favorise également la respiration, simplement par la pression qu’elle va exercer sur le haut du corps. L’expansion du thorax est freinée et l’abdomen pousse le diaphragme vers l’intérieur du thorax. Résultat: ce dernier ainsi que les muscles intercostaux sont obligés de travailler davantage à l’inspiration pour gonfler le thorax, mais l’expiration, elle, s’en trouve facilitée. Elle est plus profonde.
Comme le froid, l’eau atténue les douleurs
Plus incroyable encore, l’eau est aussi capable d’atténuer la douleur. «Par un mécanisme neurophysiologique lié au toucher et à la température, explique Rolf Frischknecht. Tout le monde connaît l’effet antalgique de la glace. Comme le froid, la sensation d’une chaleur agréable que l’on ressent lorsqu’on est plongé dans de l’eau tempérée active un mécanisme de contrôle de la douleur au niveau de la moelle épinière. Celle-ci trie les informations qu’elle reçoit et inhibe la transmission des messages de douleur.»
L’eau chaude active l’ensemble des processus biochimiques du corps
Tensions et maux articulaires s’en trouvent atténués. «C’est un peu comme un massage, poursuit le médecin. Le principe est identique. Vous envoyez des informations qui vont inciter la moelle épinière à fermer ce que l’on appelle les portillons de la douleur.» Cet effet antalgique s’observe tout particulièrement dans une eau proche de la température du corps humain, car il faut que la sensation du «toucher» soit agréable.
La température de l’environnement aquatique joue un rôle non négligeable. Pour d’autres raisons encore. Comme le souligne Rolf Frischknecht, plongé dans une eau à 35-36°, on bloque une bonne partie de la dissipation de chaleur du corps: «Quand il fait froid, la chaleur s’en va par les régions périphériques qui se refroidissent, mais quand vous vous immergez dans de l’eau tempérée, le corps dans son ensemble peut atteindre les 37°, voire plus. Ce qui stimule tout votre métabolisme.»
En effet, à cette température-là, l’activité de l’ensemble des processus biochimiques du corps est stimulée. «Tout – les organes, les tissus, les cellules et les enzymes – fonctionne mieux. Sans compter que la dilatation des vaisseaux sanguins permet l’acheminement d’un maximum de nutriments», précise l’expert de l’UNIL. Cette vascularisation intense active des mécanismes de récupération et de réparation partout dans le corps. L’effet salvateur d’un bon bain chaud s’explique donc par une réalité physiologique avant d’être psychologique.
L’eau froide, c’est tonifiant
La température ne grimpe évidemment jamais si haut quand on se laisse ballotter par le ressac de la mer. Mais lorsqu’elle est fraîche, l’eau possède tout de même des vertus tonifiantes. Et surtout, plus salée, elle accentue la fameuse poussée d’Archimède. Effet décontractant maximal assuré!
Mais surtout, quelle que soit l’eau, dans cet élément, les sensations sur la peau sont, pour nous, bien plus intenses, rappelle encore Rolf Frischknecht: «Le fait d’avoir une conscience accrue de son propre corps ne peut être que bénéfique pour explorer sa motricité.»
Le médecin l’observe notamment avec des personnes handicapées, enfants et adultes, pris en charge selon la méthode Halliwick, une technique à la fois thérapeutique et récréative. Profitant des effets relaxants et antalgiques de l’immersion en piscine, les patients peuvent, en outre, grâce à l’apesanteur, effectuer des mouvements qu’ils ne pourraient jamais réaliser autrement.
Pédaler sur un vélo, immergé dans l’eau, renforce le tonus
Mais pratiquer une activité physique dans l’eau est tout aussi intéressante pour les personnes valides. L’«aquagym» se décline désormais sous plusieurs formes. Dernier-né des sports en milieu liquide: l’aqua-cycling. L’école-club Migros propose depuis peu à ses clients de pédaler sur un vélo, immergés jusqu’à la taille dans l’eau. Avec la promesse d’atteindre une dépense calorifique maximale, mais aussi de renforcer son tonus musculaire, d’augmenter son endurance et de raffermir son corps.
«Selon la vitesse à laquelle vous pratiquez vos exercices, la résistance de l’eau va augmenter l’effort et donc le travail musculaire. On peut travailler à la fois la force et l’endurance», confirme Rolf Frischknecht. Sachant que la résistance de l’eau est environ neuf fois supérieure à celle de l’air, on comprend mieux pourquoi.
Efficace contre les courbatures
Le médecin rappelle aussi l’intérêt de la stimulation du système vasculaire induite lorsque l’on pratique un sport dans une eau tempérée. «Quand vous faites un effort, l’acide lactique (qui provoque les crampes et les courbatures, ndlr) s’accumule, explique-t-il. C’est ce qui est à l’origine de l’engourdissement des muscles après coup. Les métabolites de l’activité musculaire doivent être éliminés et recyclés. Mais plus la vascularisation est bonne dans les muscles, plus l’oxygénation sera importante.» Et c’est l’oxygène qui, justement, permet de recycler l’acide lactique et de limiter sa production.
Que l’on s’immerge pour faire de l’exercice ou pour le simple plaisir de se baigner, que l’eau soit fraîche ou tempérée, elle reste donc une source de bienfaits aussi variés qu’inattendus. Alors, pourquoi s’en priver!
Geneviève Comby