«Allez savoir!» fête ses trente ans

Le magazine de l’UNIL a vu le jour en 1994. Recteur de 1987 à 1995, le professeur Pierre Ducrey se trouvait alors aux premières loges. Ce passionné de journalisme nous raconte les circonstances de la création d’Allez savoir! et la replace dans le contexte de la communication institutionnelle d’alors.

Pierre Ducrey. Professeur honoraire. Recteur de l’UNIL de 1987 à 1995. Nicole Chuard © UNIL

Juin 1994. Lancé à titre d’essai, le numéro zéro d’Allez savoir! sort avec un tirage de 20000 exemplaires. Financé par la Société académique vaudoise, ce magazine succède à une autre publication, UNI-Lausanne. Cette dernière avait été «suspendue» par les autorités vaudoises l’année précédente, pour des raisons économiques. Vice-recteur de l’UNIL de 1983 à 1987, puis recteur de 1987 à 1995, l’helléniste Pierre Ducrey s’est penché sur le berceau d’Allez savoir!, dont il raconte ici les premiers pas.

L’Université de Lausanne s’est dotée d’un Service de l’information en 1970. Sa mission première a été de lancer un périodique, UNI-Lausanne, dont le numéro 1 est sorti l’année suivante. Cette publication, qui traitait d’un thème unique à travers chaque numéro, possédait une formule particulière…

Les professeurs rédigeaient eux-mêmes la plupart des articles. Le contenu était souvent complexe, voire parfois illisible pour le commun des mortels. De plus, la maquette était vraiment peu attrayante. Lorsque je suis entré en fonction en tant que vice-recteur, en 1983, j’ai pris racine au Service de presse et information de l’Université. Avec son responsable d’alors, Axel-A. Broquet, notre premier souci a été d’améliorer le produit local, UNI-Lausanne, au plan des textes et de l’illustration. Nous sommes parvenus à nous attacher la collaboration d’un journaliste RP (inscrit au Registre professionnel), en dépit du budget alors très modeste dévolu à la communication institutionnelle.

L’année 1987 a marqué une étape importante pour la communication de l’Université. Pourquoi?

Nous célébrions le 450e anniversaire d’une institution qu’il fallait faire connaître à l’extérieur. Une formule ironique circulait alors chez nous: «Nous sommes les meilleurs, mais personne ne le sait». À l’époque, j’avais même rencontré des membres de la direction du groupe Edipresse pour leur demander pourquoi leurs journaux parlaient si peu de l’Université de Lausanne! La personne engagée pour la création du Fonds du 450e anniversaire, Francine Crettaz, nous a beaucoup aidés dans le domaine de la communication. Elle a par exemple contribué à lancer Uniscope, le magazine du campus de l’UNIL, qui existe toujours, mais avec une légère modification de son titre: l’Uniscope et surtout son édition uniquement en ligne.

Ce fut une année festive, qui a rendu l’UNIL bien plus visible. Mais elle n’a pas été de tout repos…

En effet. Certains milieux voulaient que l’on retire à Mussolini le doctorat honoris causa que lui avait décerné l’Université de Lausanne en 1937 (lire également en p. 52). Ce fut l’un des moments les plus passionnants de mon passage à la tête de l’UNIL, car nous étions sous une intense pression, notamment médiatique.

Ensuite, UNI-Lausanne évolue et certains noms connus des lecteurs d’Allez savoir!, apparaissent dans l’impressum: Jocelyn Rochat (corédacteur en chef) en 1989 et Albert Grun (correcteur), en 1990.

Petit à petit, nous avons monté une «cellule presse» composée de stagiaires, anciens étudiants, le plus souvent en Histoire ancienne, appuyés par des journalistes professionnels, avec de tout petits moyens. Nous nous réunissions régulièrement pour mener des séances de brainstorming, par exemple autour du contenu d’UNI-Lausanne, et cela pétillait pas mal! Les idées qui en sortaient étaient parfois un peu critiques et je faisais attention à ce que l’on reste «sur les rails», mais j’ai été très heureux de travailler avec ce groupe. J’ai toujours eu une grande affection pour la presse. 

Tiens, pourquoi?

J’ai mené des études de Lettres et je me suis spécialisé dans l’étude de l’Antiquité grecque (Pierre Ducrey a notamment dirigé l’École suisse d’archéologie en Grèce, ndlr). Mais, en plus d’être historien, j’ai eu tout au long de ma vie une activité de journaliste sportif. Sous les pseudonymes de «Bogey» et de «Peter Duncan», j’ai d’ailleurs écrit des articles de golf pour le Journal de Genève, la Gazette de Lausanne et la Tribune de Lausanne. Pendant vingt-cinq ans, j’ai été rédacteur de la Revue suisse de golf. 

Au début des années 90, le vent a tourné…

Les finances cantonales allaient mal. Nous avons subi des restrictions budgétaires et il a fallu couper partout. En automne 1992, les Autorités nous ont obligés à supprimer UNI-Lausanne, car tout le monde sait qu’il est inutile que l’Université communique… Bref, le dernier numéro a été publié en avril 1993. Mais un deus ex machina, la Société académique vaudoise, a décidé de nous aider à publier malgré tout notre magazine, en avançant l’argent nécessaire pour quelques numéros. C’est à ce moment que, dans le cadre de notre petite cellule presse, nous nous sommes demandé si nous allions relancer UNI-Lausanne, ou plutôt créer du neuf. J’enjolive peut-être mes souvenirs, mais je crois bien que Jocelyn Rochat, alors journaliste au Nouveau Quotidien et ancien du Service de presse de l’Université de Lausanne, a débarqué avec un projet déjà ficelé, Allez savoir! Son concept se situait à l’opposé de celui d’UNI-Lausanne. Les articles sont rédigés par des journalistes professionnels, qui traitent de sujets d’actualité à destination du grand public, en interviewant des chercheurs dont les travaux sont ainsi mis en valeur. Cette manière de faire brise l’image de tour d’ivoire de l’institution. J’ajoute que, dès le début, les responsables du magazine ont eu carte blanche!

Pourquoi, en tant que recteur, leur avez-vous laissé une telle marge de manœuvre?

Pendant mon passage au Rectorat, mon idée a toujours été de donner la parole aux jeunes talents, qu’il s’agisse de scientifiques, d’enseignants ou de journalistes. Ce n’était pas la peine de tenter d’être plus malin que l’équipe de rédacteurs, meilleure que moi dans son domaine, en leur dictant ce que je voulais lire dans le magazine. J’avais confiance. Le numéro 3 d’Allez savoir!, paru en octobre 1995, contient un grand entretien-bilan de mes douze années à la direction de l’Université, rédigé par Jocelyn Rochat. Dans mon souvenir, j’ai découvert l’article après parution! L’un de mes principes est que le meilleur ami du tyran est son critique. Il est plus utile d’être entouré de personnes qui vous rentrent dedans que de béni-oui-oui.

Comme lecteur d’Allez savoir!, que pensez-vous de la formule actuelle, sortie en 2012?

Je la trouve très attrayante. Je ne manque jamais de lire le périodique de la première à la dernière page. J’aurais toutefois une suggestion : je pense qu’il gagnerait en lisibilité si vous déplaciez les petites choses des pages 10 à 11, les brèves, tout à la fin. Il faudrait entamer le magazine avec ce que vous avez de plus intéressant, de plus percutant. Le chapô d’un article (le bref texte placé entre le titre et le début de l’article, ndlr) doit inciter à lire ce qui suit. Là, l’équivalent du chapô pour l’ensemble de votre publication ne donne pas envie de poursuivre, et il faut tourner trop de pages avant d’arriver aux dossiers, qui forment la substance même de chaque numéro. Mettez le ballast à la fin!

Les archives d’Allez savoir!: unil.ch/allezsavoir/archives/ et scriptorium.bcu-lausanne.ch/page/home

Des couvertures mémorables

 No10, janvier 1998

Dans la nuit du 24 au 25 avril 1723, un apothicaire vola la tête du Major Davel à Vidy. Un historien de l’UNIL raconte cette épopée rocambolesque.

 No37, février 2007

Othon III de Grandson (vers 1340-1397) «importa» la Saint-Valentin sous nos latitudes. Des chercheurs retracent la vie de ce poète.

 No39, septembre 2007

George W. Bush demanda à Jacques Chirac d’intervenir en Irak car « Gog et Magog » y seraient à l’œuvre. Décryptage par Thomas Römer.

 No51, mai 2012

Premier numéro de la nouvelle formule. Le graphisme change mais le principe reste le même: des journalistes dialoguent avec des chercheurs.

 No58, septembre 2014

Les écailles de dragon de la couverture (parue en version rouge ou verte) illustrent le thème de la fantasy, alors que Game of Thrones cartonne.

 No81, octobre 2022

Qui était Cléopâtre? Deux chercheuses font le point sur ce que l’on sait de la reine d’Égypte, victime de fake news depuis deux millénaires.

Laisser un commentaire