Les petits rongeurs aiment courir, certes. Mais qui a le meilleur appareil circulatoire, les coureurs de fond ou les sprinters? Et dans quelles conditions? Une biologiste médicale de l’UNIL s’est penchée sur la question afin de mieux comprendre les capacités du corps humain.
Tous ont une même passion: la course. D’un côté les endurants, de l’autre les sprinters. Tous ont la même taille et le même poids. Âgés de 7 à 8 semaines, ces mâles conquérants ont un accès illimité à la nourriture, des croquettes. Et tous se régulent seuls sans jamais faire d’excès. «De manière générale, les souris sont assez volontaires, remarque Jessica Lavier, adjointe de la directrice de l’expérimentation animale à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, qui a mené cette étude pour son doctorat, brillamment obtenu en 2021. Si elles préfèrent les roues pour trotter, elles se dépensent volontiers sur des tapis de course. Certaines sont parfois plus motivées que d’autres, exactement comme chez les êtres humains.» L’analyse des efforts des petites sportives a permis à la biologiste médicale de présenter un modèle d’exercice parfait pour nous, athlètes sur deux pattes, et… sans devoir courir! Alors hop! foncez!
Du karaté à l’entraînement fonctionnel
3e dan de karaté, art martial qu’elle pratique depuis plus de vingt ans et qui lui a valu en 2015 le Prix des Sports de l’Université de Lausanne, la Vaudoise n’a jamais aimé courir. Alors que son codirecteur de thèse – Maxime Pellegrin, responsable de recherche au Service d’angiologie de la Faculté de biologie et de médecine – est féru de course et l’a poussée à s’y mettre. «Les résultats de mes recherches lui ont prouvé que je n’en avais pas besoin. J’étais ravie! Pour un bon entraînement, je préconise donc l’exercice à intervalle de haute intensité, dit fractionné: de courts efforts intenses, entrecoupés par des périodes de récupération relativement brèves.»
La recherche a rejoint la réalité lorsque la pandémie nous a confinés et que la chercheuse, en plein doctorat, n’a plus pu aller en salle pour pratiquer le karaté: elle s’est mise au cross training (enchaînement d’exercices avec un temps de récupération moindre), avec un groupe en ligne plutôt qu’en présentiel, dans son appartement. «J’ai pu rester en forme dans mon 24 m2 sans devoir sortir. Cet entraînement fonctionnel m’a confortée dans l’idée qu’il y a d’autres moyens que la course pour prendre soin de son système cardiovasculaire. Et grâce aux souris, ma thèse de doctorat a démontré qu’il y avait une piste à suivre.»
Des souris courent, des malades sourient
L’ancienne enseignante de karaté au centre sportif UNIL/EPFL s’est donc muée en coach pour petits rongeurs afin de comprendre quel était le meilleur effort à effectuer pour progresser. «L’objectif de base de ma thèse était de réfléchir à l’amélioration de la qualité de vie des patients atteints d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs, dont le symptôme principal est la claudication intermittente, une pathologie liée à l’athérosclérose, souligne la biologiste médicale. J’ai travaillé à la fois avec le Laboratoire d’angiologie et l’Institut des sciences du sport pour montrer qu’un entraînement composé de sprints répétés en hypoxie (avec moins d’oxygène dans l’air inspiré, comme lorsque l’on se trouve en altitude) pouvait améliorer la capacité de marche chez un modèle de souris.» Seuls les mâles ont été retenus pour participer à la compétition. Pourquoi? «Parce que les femelles ont un cycle menstruel qui les protège des maladies cardio-vasculaires. Cependant, des études en cours comparent mâles et femelles. Il est important de ne pas oublier la moitié de la population.»
Les premières sportives à quatre pattes entraînées, génétiquement modifiées, étaient dépourvues du gène APO E (apolipoprotéine E), un gène qui contribue au nettoyage du cholestérol chez tous les mammifères. «On savait déjà que la pratique régulière du sport chez des souris atteintes de maladies artérielles périphériques était bénéfique, comparée à des individus sédentaires. Durant mon master, j’ai travaillé avec des souris sans gène APO E en comparant celles qui faisaient de l’exercice trois fois par semaine à celles qui se dépensaient cinq fois par semaine. Je n’ai pas constaté de différences en termes de capacité de marche. Il fallait donc aller plus loin dans les recherches. Et durant ma thèse, nous avons finalement coaché des souris non génétiquement modifiées et saines afin de mesurer l’amélioration de leur capacité vasculaire.»
Un entraînement à échelle murine
Si différentes études avaient déjà démontré que courir aidait à se prémunir des maladies cardiovasculaires, et encore plus en hypoxie, personne n’avait encore mis au point le protocole de la chercheuse avec des rongeurs. «J’ai séparé les souris en deux fois deux équipes: une équipe d’endurance qui a couru longtemps à faible intensité et une équipe de sprinteuses, qui faisait un effort court, mais intense. Chacune de ces deux équipes a été placée en condition normale d’oxygène et en hypoxie» (voir infographie ci-dessous).
Concrètement, cinq mini-athlètes couraient en parallèle sur un petit tapis à l’image des humains dans un centre de fitness. À la différence qu’elles étaient chacune dans un couloir de plexiglas placé dans une grande boîte munie d’un oxymètre, afin de pouvoir mesurer le taux d’oxygène de leur environnement. Et comme tout sportif averti, pour prendre soin de leurs pattes, elles commençaient par un échauffement: une course à très faible vitesse durant cinq minutes, suivie de cinq autres minutes avec une augmentation constante de la vitesse.
«Après ces dix minutes, les endurantes devaient courir pendant quarante minutes à 40% de leur vitesse maximale. Les sprinteuses s’adonnaient de leur côté à un exercice fractionné. D’abord courir 10 secondes à fond, donc à 150% de leur vitesse maximale. Elles avaient ensuite vingt secondes de récupération. Et cela cinq fois de suite. Après ce gros effort, elles avaient droit à cinq minutes de pause pour la récupération. Le tout était répété quatre fois», explique Jessica Lavier.
Le manque d’oxygène rend plus fort
Les résultats sont sans équivoque. Qu’une souris préfère piquer des sprints ou qu’elle pratique l’endurance, elle ne se sentira pas plus en forme lorsque la quantité d’oxygène s’avère normale. «En revanche, l’équipe de sprinteuses placée en hypoxie présente une meilleure dilatation vasculaire que l’équipe des endurantes. Un exercice court et intense leur a été plus bénéfique qu’un long entraînement à bas régime.» En résumé, pour les humains lambda, il serait plus profitable de bouger 30 minutes par jour intensément en montagne que d’aller courir trois fois par semaine en forêt. «Il faut évidemment l’approbation de son médecin en cas de doute, relève la biologiste médicale. Il est nécessaire d’être capable de courir et ne pas avoir de problèmes de santé majeurs.»
La spécialiste ajoute que des chercheurs ont démontré qu’idéalement, certains athlètes devraient pouvoir vivre en altitude et s’entraîner en altitude et en plaine pour booster leurs performances. «L’intensité combinée à l’hypoxie est un stress idéal pour les tennismen ou les footballeurs par exemple, qui trottinent puis soudain sprintent. Cela améliore leur capacité à répéter les sprints sur la durée.»
Était-elle en hypoxie quand elle a participé à la finale suisse de MT180, concours francophone de vulgarisation et d’éloquence «Ma thèse en 180 secondes»? «Non, rigole la Vaudoise. Mais cette activité-là m’a aidée à apprendre à respirer, car sans m’en rendre compte, je respirais à contretemps. Je répétais partout pour maîtriser mon texte par cœur, à la manière d’un athlète avant une compétition. Le sport a sans doute contribué à améliorer mes performances verbales sur un temps donné, trois minutes.»
CrossFit, Tabata, MT180, même combat?
Toutes sortes d’entraînements existent, comme le CrossFit, créé aux États-Unis, mais aussi la méthode Tabata, fondée au Japon, qui propose huit blocs de vingt secondes entrecoupés de dix secondes de pause. «C’est à la fois ludique et motivant, déclare la karatéka. Et cela se décline dans de nombreux sports.» Elle a imaginé son propre exercice quotidien à réaliser chez soi: durant 30 minutes, alterner 30 secondes de squats, 30 secondes de pause, 30 secondes de pompes, 30 secondes de pause, 30 secondes d’abdos et 30 secondes de pause. «Cet entraînement peut paraître rébarbatif. Il ne s’agit que d’un exemple pour montrer qu’il est envisageable de se donner à fond pendant 30 minutes. Cela pourrait être réalisé avec une corde à sauter, des sauts divers, etc. Squats, pompes et abdos peuvent être remplacés par tout autre mouvement qui augmente le rythme cardiaque. Il s’agit vraiment de pratiquer le HIIT, ou High Intensity Interval Training (entraînement par intervalle à haute intensité, ndlr). Pour cela, il faut connaître sa fréquence cardiaque maximale, qui varie d’une personne à l’autre, et faire les exercices au minimum à 80 ou 85% de cette fréquence. Mais on peut tout à fait réaliser un HIIT sans cardiofréquencemètre. Généralement, on sent quand on arrive à des valeurs élevées…» La chercheuse indique que la fréquence maximale cardiaque peut grossièrement se calculer ainsi: prendre 220 et y soustraire son âge (ajouter 5 si l’on est sportif).
In vasa veritas
Pour connaître l’état du système cardiovasculaire des petits rongeurs, la chercheuse doit mesurer l’aptitude de leur aorte à se dilater. «Je récupère différents vaisseaux, notamment l’aorte abdominale, sur les souris, post mortem. Dans le laboratoire, j’utilise une technique de mesure de la fonction endothéliale, c’est-à-dire la capacité d’un vaisseau à se relaxer et à se contracter. Mis dans un tube de solution physiologique, chaque vaisseau est traversé par des fils reliés à un appareil de mesure et à un ordinateur. Ce travail a été effectué en collaboration avec le laboratoire de néonatalogie du CHUV.» Diverses molécules ajoutées au milieu physiologique permettent ensuite au vaisseau de se relâcher et de se crisper. Les courbes de valeurs enregistrées forment de longs schémas «très jolis», selon Jessica Lavier, qui montrent à quel point le vaisseau s’est relaxé ou contracté. Des mesures moléculaires aident à vérifier en analysant directement les tissus si les athlètes à quatre pattes sont en hypoxie.
Résultats: en hypoxie, l’amélioration de la relaxation des vaisseaux est claire par rapport à l’entraînement en normoxie (avec un taux d’oxygène normal dans l’air) chez les souris qui sprintent. «Faire de l’exercice en hypoxie est bénéfique et encore plus à très haute intensité. Mais cela reste encore à prouver sur les humains. De futures études menées par des confrères et des consœurs nous le feront bientôt découvrir.»
Autre élément à creuser: pourquoi et comment est apparue cette amélioration de la relaxation des vaisseaux? «Il semblerait que cela vienne des antioxydants (molécules qui empêchent ou limitent l’oxydation d’autres substances chimiques, ndlr) que l’on trouve dans notre alimentation, comme dans la grenade. Le système de lutte des souris contre l’oxydation est meilleur, mieux entretenu avec des exercices à très haute intensité et en hypoxie. Cette pratique empêcherait la destruction des antioxydants.» À suivre… /
L’expérimentation animale en Suisse
«On utilise souvent des souris génétiquement modifiées pour faire en sorte que notre modèle soit proche de ce qui se passe chez l’humain, souligne la biologiste médicale Jessica Lavier. Leur bien-être reste notre priorité. D’ailleurs, la Suisse est l’un des pays les plus stricts en matière de recherche animale. Il n’y a aucun intérêt à torturer un être vivant, non seulement parce que c’est horrible, mais aussi parce que d’un point de vue purement scientifique, le stress fausse complètement les résultats.» Chaque protocole suit des règles très rigoureuses dictées par l’Office vétérinaire fédéral, ainsi que les commissions cantonales d’éthique./ VJT
Pour plus d’informations:
unil.ch/fbm/fr/home/menuinst/recherche/experimentation-animale.html