Des patients mis en coma artificiel qui ne se réveillent pas, d’autres qui délirent ou ont des hallucinations: le coronavirus affecte, aussi, le cerveau. Même chez des personnes ayant souffert de formes moins sévères, l’infection a provoqué des troubles de l’attention et parfois du langage. Le pire est à venir: la tempête inflammatoire déclenchée par le Covid pourrait accélérer le développement de la maladie d’Alzheimer.
L’affaire est entendue: c’est par le nez et la bouche que le SARS-CoV-2, le virus responsable du Covid-19, pénètre dans l’organisme. Il est donc logique qu’il s’attaque en premier lieu aux poumons et provoque des maladies respiratoires. Mais l’agent pathogène ne s’arrête pas là: il affecte aussi les reins, le système digestif, le cœur, et même le cerveau.
Un réveil difficile du coma artificiel
Gilles Allali, directeur du Centre Leenaards de la mémoire du CHUV et professeur à l’UNIL, l’a constaté dès le printemps 2020, donc peu après que les premiers cas de Covid-19 ont été diagnostiqués en Suisse.
Ce sont les médecins du Service des soins intensifs des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) – établissement dans lequel il travaillait à cette époque – qui ont alerté les neurologues. Ils avaient mis les patients atteints d’une forme sévère de Covid en coma artificiel pour mieux pouvoir les ventiler. Mais lorsque, l’infection guérie, «ils arrêtaient l’anesthésie, certains patients ne se réveillaient pas».
Les questions étaient nombreuses. Ces personnes restaient-elles endormies parce qu’elles étaient restées trop longtemps sous anesthésie? Parce qu’elles faisaient des crises d’épilepsie? Parce qu’elles avaient eu un accident vasculaire cérébral (AVC)? Ou parce que le coronavirus avait affecté leur système nerveux central? Pour le savoir, les neurologues se sont lancés dans une série d’investigations. Ils ont recherché d’éventuelles crises d’épilepsie, il n’y en avait pas. Ils ont certes constaté que des patients avaient fait des AVC, mais ceux-ci «étaient bien trop petits pour expliquer les troubles neurologiques observés». Ils ont fait des ponctions lombaires pour analyser le liquide céphalo-rachidien (dans lequel baignent le cerveau et la moelle épinière): «Il n’y avait pas de virus, preuve que ce dernier n’avait pas pénétré directement dans le cerveau», précise Gilles Allali.
Il restait une autre explication possible: on savait à l’époque que, dans d’autres organes, l’agent pathogène provoquait une inflammation des vaisseaux sanguins et «nous avons pensé qu’il n’y avait aucune raison que ceux du cerveau soient épargnés». Des examens par IRM ont confirmé cette hypothèse. Dans l’urgence, Gilles Allali et ses collègues ont alors proposé de prescrire aux patients des soins intensifs un «traitement expérimental» à base de hautes doses d’anti-inflammatoires (des corticostéroïdes) prescrit notamment pour lutter contre l’inflammation des vaisseaux sanguins. Le résultat était concluant. «Les patients se réveillaient, plus ou moins rapidement selon les cas, ce qui signifie que leur inflammation était comme éteinte.»
Hallucinations et délires
Au même moment, certaines personnes infectées par le Covid-19, mais hospitalisées dans les unités de soins conventionnelles, ont manifesté des symptômes neuropsychiatriques. «Elles avaient des états confusionnels, des hallucinations, des délires, alors que la plupart d’entre elles n’avait pas d’antécédent psychiatrique», précise Gilles Allali.
Thierry, un homme de 57 ans, en a fait l’étrange expérience. Ignorant qu’il était contaminé, il s’est couché comme d’habitude ce dimanche soir. «Dans la nuit, raconte-t-il, je me suis réveillé et j’ai vu mon duvet parcouru de fils électriques. J’avais l’impression qu’ils fabriquaient des bitcoins. Le lendemain matin, je ne tenais pas debout et le mardi, j’étais hospitalisé.» Thierry n’en avait pas fini pour autant avec ses hallucinations. «Alors que je faisais des exercices de respiration, je voyais mes poumons s’élargir, puis se refermer en faisant des bulles, comme dans une BD.» Plus tard, dit-il, «je me suis mis à visualiser des escadrilles d’oiseaux qui se transformaient en virus et entraient dans ma colonne vertébrale».
Ce qui est arrivé à Thierry ne surprend pas Gilles Allali. «Nous avons constaté que les manifestations psychotiques précèdent parfois les symptômes respiratoires. Certains patients sont venus consulter à l’hôpital pour ces troubles et ce n’est qu’après leur avoir fait un test de dépistage qu’on a su qu’ils étaient contaminés.»
Tempête inflammatoire
Avec ces patients atteints de troubles psychotiques, les neurologues ont procédé comme ils l’avaient fait avec ceux qui ne se réveillaient pas du coma. Ils ont mené les mêmes investigations et ont abouti au même résultat: tous souffraient d’une encéphalopathie liée à une inflammation de la paroi des gros vaisseaux cérébraux.
D’une manière générale, lors d’une infection, le système immunitaire produit des cytokines, ces messagers de l’inflammation qui participent à l’élimination de l’agent pathogène. Dans le cas du Covid, on assiste à un «orage cytokinique, c’est-à-dire à une réaction inflammatoire totalement disproportionnée. D’ailleurs, la plupart des patients souffrent plus de cette dernière que de la présence du virus», explique le professeur de l’UNIL. Cette tempête ouvre des brèches dans la barrière hémato-encéphalique qui protège habituellement le cerveau des agents pathogènes et des toxines circulant dans le sang. La frontière ayant perdu de son étanchéité, elle laisse passer dans le cerveau des cytokines qui provoquent des réactions neurologiques.
Troubles de l’attention ou du langage
Les neurologues ont par ailleurs fait appel à des neuropsychologues qui ont effectué une batterie de tests pour évaluer l’état cognitif des patients souffrant d’une encéphalopathie, qu’ils soient dans les services de soins intensifs ou dans les unités hospitalières conventionnelles. «Dans la phase aiguë, constate Gilles Allali, tous avaient des troubles de l’attention et des fonctions exécutives (activités telles que la planification, l’organisation, l’exécution de stratégies) qui étaient parfois associés – on ne s’y attendait pas – à des troubles de la mémoire ou du langage.» Certaines personnes ont totalement récupéré, d’autres partiellement. «On ne sait pas si, à long terme, elles en auront des séquelles mais mon impression est que certaines garderont des déficits.»
L’encéphalopathie se manifeste pendant la phase aiguë de l’infection. Mais d’autres problèmes neurologiques peuvent apparaître à plus long terme, cette fois «chez des personnes qui n’ont pas été hospitalisées et dont certaines n’ont quasiment pas eu de symptômes», souligne le neurologue du CHUV. Pourtant, «elles ont des difficultés à se reconnecter avec le quotidien».
C’est particulièrement le cas de celles qui ont un Covid-long qui touche environ un tiers des individus ayant été infectés par le coronavirus. «La majorité d’entre elles a eu des troubles de la concentration, de l’attention ou de la mémoire qui sont parfois associés à des troubles psychiatriques comme une anxiété, une dépression ou un syndrome de stress post-traumatique», note Gilles Allali.
La pandémie a d’ailleurs «changé la démographie des patients qui consultent le Centre Leenaards de la mémoire, constate le directeur. Alors qu’auparavant nous recevions essentiellement des personnes âgées, nous voyons arriver de plus en plus de jeunes souffrant de troubles cognitifs. Heureusement, le CHUV nous a alloué des ressources pour que nous puissions les prendre en charge, eux aussi, de façon adaptée.» Même dans ses formes les plus légères, le Covid peut donc faire des dégâts dans le cerveau. Il diminue même le volume de matière grise, à en croire une étude réalisée par une équipe de l’Université d’Oxford. Les chercheurs britanniques ont bénéficié de l’existence d’une cohorte de personnes qui avaient été soumises à des examens d’imagerie cérébrale et à des tests cognitifs avant le début de la pandémie. Ils ont donc à nouveau examiné 785 d’entre elles, afin de comparer celles qui avaient été infectées par le coronavirus (dont 4% seulement avaient été hospitalisées) aux autres.
Résultat: la réduction du volume de matière grise est plus importante chez les individus qui avaient eu le Covid. D’après Gwenaëlle Douaud, la première signataire de l’article paru en mars 2022 dans la revue Nature, «la diminution dépend des régions mais, en moyenne, la quantité de tissu perdu ou endommagé est de 0,2 % à 2 % plus importante. Cet effet est plus marqué chez les personnes les plus âgées.» Tout se passe comme si l’infection accélérait le vieillissement.
«Cette observation est intéressante, commente Gilles Allali. Toutefois, il est possible que les personnes dont le volume de matière grise a diminué avaient déjà une maladie neurodégénérative débutante et non diagnostiquée qui les a rendues plus vulnérables à l’infection par le coronavirus.»
Un développement accéléré d’Alzheimer
Car, selon le professeur de l’UNIL, le Covid est susceptible d’accélérer le développement des pathologies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer. Cette dernière se caractérise non seulement par l’accumulation de protéines anormales dans le cerveau, mais aussi par la présence d’un processus inflammatoire. «Si l’on y rajoute la tempête inflammatoire provoquée par le Covid, il est possible que la maladie s’aggrave.»
Mais il y a plus inquiétant encore. «Lorsque les premières pertes de mémoire apparaissent, la maladie avait déjà commencé à se développer plusieurs années plus tôt. J’émets l’hypothèse, note Gilles Allali, que, chez les personnes qui sont déjà porteuses de la maladie d’Alzheimer tout en étant asymptomatiques, des pertes de mémoire qui, sans l’infection, seraient apparues dans dix ou quinze ans vont se manifester dans trois ou quatre ans.»
En outre, «même chez des personnes âgées qui n’ont pas eu le Covid, l’isolement social qui a été imposé au début de la pandémie risque d’aggraver ou de favoriser les mécanismes neurodégénératifs». Autant de raisons qui conduisent le professeur à l’UNIL à pronostiquer l’apparition prochaine d’une «épidémie de démences».
Le coronavirus n’a donc pas fini de faire des ravages neurologiques. /
Pourquoi perd-on le goût et l’odorat ?
De très nombreuses personnes contaminées par le coronavirus, y compris celles qui ont eu une forme légère de l’infection, se sont plaintes d’avoir perdu, le plus souvent de manière transitoire, le goût et l’odorat. Comment expliquer ce symptôme qui est souvent considéré comme un signe distinctif du Covid-19?
«En fait, lorsqu’on prend un aliment en bouche, c’est l’odeur qui s’en dégage qui donne l’impression de goût. Contrairement à ce que l’on croit, l’infection fait bien perdre l’olfaction chez certains individus, mais non le goût qui reste intact», répond Gilles Allali, directeur du Centre Leenaards de la mémoire du CHUV.
Quant à la perte de l’odorat, elle provient «d’une saturation des récepteurs de l’olfaction qui se trouvent sur la muqueuse nasale», explique le professeur. En conséquence, le nez ne peut plus transmettre les signaux olfactifs au cerveau. De là vient la sensation que la nourriture comme l’environnement sont inodores./eg
Comment participer aux recherches sur la maladie d’Alzheimer
La maladie d’Alzheimer se développe lentement et sournoisement. «Lorsque apparaissent les premiers symptômes, cela fait généralement entre dix et quinze ans que le processus neurodégénératif a commencé, explique Gilles Allali, directeur du Centre de la mémoire du CHUV. Il est donc important d’investiguer cette phase asymptomatique dans un but de prévention.»
Pour ce faire, la Suisse vient de se doter, comme l’avaient fait avant elle les États-Unis et plusieurs pays européen, d’un registre national pour la santé du cerveau. Mis en place en janvier dernier, «à l’initiative du professeur Giovanni Frisoni, directeur du Centre de la mémoire des HUG», précise son homologue du CHUV, il rassemble les Centres de la mémoire des hôpitaux universitaires ou cantonaux de Bâle, Berne, Fribourg, Genève, Lausanne, Lugano, Saint-Gall et Zurich.
Ce registre vise en effet à constituer une base de données des citoyens suisses qui souhaitent contribuer à la recherche sur les pathologies neurodégénératives, et plus particulièrement sur la maladie d’Alzheimer. «Toutes les personnes de plus de 50 ans peuvent s’y inscrire», souligne Gilles Allali. Lorsqu’une équipe de recherche lancera une étude sur le vieillissement cérébral, elle pourra contacter certains de ces inscrits qui resteront libres d’accepter ou de refuser d’y participer.
L’objectif est de faire progresser la recherche sur les maladies neurodégénératives, notamment en mettant en place des approches thérapeutiques préventives et des techniques de diagnostics précoces. Avec l’espoir que, quand les médecins disposeront enfin de traitements contre ces pathologies, ils puissent les prescrire le plus rapidement possible – au mieux durant la phase pré-symptomatique – à celles et ceux qui en tireront le plus grand bénéfice.