Aliénor d’Aquitaine Féministe avant l’heure

Autrice : Céline Rosat

L’histoire est contée par les vainqueurs… et par les hommes. Nombreuses sont ces figures de l’ombre, que leur féminité efface et qui peinent encore aujourd’hui à se faire une place dans nos livres d’histoire. Aliénor d’Aquitaine gagne en notoriété, mais son destin exceptionnel est encore loin d’être apprécié à sa juste valeur.

Aliénor d’Aquitaine naît entre 1122 et 1124. Dès son plus jeune âge, Aenor de Châtellerault, sa mère, l’éduque et l’instruit. Aliénor n’a que 14 ans lorsque son père décède, à la suite de sa mère. Etant la sœur ainée, sans héritier mâle, Aliénor se voit diriger l’Aquitaine à la mort de son père, Guillaume X. Le duché dont elle hérite est immense et fait d’elle une femme plus riche que le roi de France lui- même. Sur son lit de mort, Guillaume X demande que sa fille soit promise au jeune Louis, prince de France. Sa volonté fut faite, et c’est ainsi qu’en 1137, Aliénor devient reine de France, mariée à Louis VII.

Pourtant, son destin aurait pu être bien différent. En effet, Louis n’était pas le successeur désigné au trône, mais son frère Phillipe meurt dans un accident. Louis VII semble d’abord amoureux de sa jeune épouse. Comment ne pas l’être ? Les troubadours qui entourent la reine louent sa beauté et ses charmes. Elle nourrit d’ailleurs un intérêt très fort pour les arts et encourage bien avant l’heure les troubadours, en leur fournissant des subventions. Elle inspire, à son époque comme actuellement, de nombreuses œuvres (chants, poèmes, romans, etc.).

Louis VII sert les intérêts de sa femme, défend l’Aquitaine et semble inclure Aliénor dans ses décisions politiques. Mais la reine est ambitieuse. Elle souhaite envahir et récupérer Toulouse, qui appartenait jadis à sa grand-mère. Louis obéit mais la mission se solde par un échec. Les preuves manquent pour établir l’influence réelle de cette curieuse femme sur les décisions royales. Pourtant, l’entourage du roi est changé depuis son mariage et les nouveaux nommés semblent servir les intérêts de la reine …

L’histoire aurait pu se terminer ainsi, avec une reine stratège et intelligente, qui dirige le pays autant que sa féminité le permet. Mais la vie réserve encore à Aliénor bien des surprises. Gentiment, les choses se corsent entre les deux époux. Ils s’en vont tous deux participer à la Deuxième Croisade, à la volonté, d’après certains historiens, d’Aliénor. D’autre prétendent que Louis, méfiant de sa femme, l’a obligé a le suivre. En rentrant de ce qui a été un nouvel échec, les tensions sont grandes entre les souverains. Louis VII lui reproche bien des choses et on murmure dans le royaume que la reine est infidèle. De plus, il est fâché que sa femme ne lui ait donné que deux filles. Aliénor, de son côté, a souvent reproché à son mari son manque d’ambition et de goût pour la politique. Louis VII, ne pensant être roi, aurait effectivement préféré être homme d’église. Aliénor disait « avoir épousé un moine plus qu’un roi » (Aurell, 2022). Ils en ont donc assez l’un de l’autre et obtiennent l’annulation de leur mariage, en 1152, sous prétexte de consanguinité.

Aliénor, toujours à la tête de l’Aquitaine, ne perd par le nord. Deux mois après son premier mariage, elle épouse le duc de Normandie, Henri Plantegenêt, destiné au trône d’Angleterre. En 1154 (début de sa trentaine), elle devient reine pour la seconde fois. Cet époux-ci est plus ambitieux et directif que Louis. Aliénor est de neuf ans son aînée et use de son influence à son avantage, notamment pour défendre l’Aquitaine contre les nobles souvent en révolte. De leur mariage naissent huit enfants, dont deux figures historiques importantes : Richard Cœur De Lion et Jean Sans Terre. La reine marie stratégiquement ses filles, créant ainsi des alliances puissantes. Aliénor est très proche de sa descendance. Elle les élèves personnellement (aidée de nourrices parce que quand-même, c’est une reine) et les emmènent dans ses nombreux voyages. Même adultes, ils restent très proches de leur mère, ce qui s’avérera très utile pour la suite, mais ne brûlons pas les étapes…

Très vite, les choses se compliquent entre les deux époux. Henri II semble laisser moins de place à la reine dans les décisions politiques que le faisait Louis VII, ce qui déplaît énormément à la reine. Le couple vit séparé et Henri II prend officiellement une maîtresse. La réputation du Roi se ternit, car il est soupçonné d’avoir assassiné un de ses opposant. De son côté il accuse Aliénor d’avoir assassiné une de ses maîtresses précédentes. Alors Aliénor, visiblement décidée à ne pas être une femme douce et docile, monte ses enfants contre leur père et tente, avec eux, de renverser le pouvoir. Cette tentative se solde par un échec. Evidemment, trahir le roi n’est pas sans conséquences. Aliénor tente de fuir le royaume déguisée en homme, mais se fait rattraper par les soldats de son mari et se fait emprisonner. L’histoire aurait pu se terminer ici, une Aliénor vaincue croupissant dans l’oubli. Mais cette curieuse femme n’a pas dit son dernier mot. Le lien qu’elle a construit avec ses enfants est puissant et lorsque Richard Cœur de Lion s’assied enfin sur le trône 16 ans plus tard, son premier ordre est de libérer sa mère.

Revoilà notre Aliénor au sommet de sa puissance. Son fils préféré sur le trône, elle l’aide dans la gouvernance du pays et exerce un pouvoir certain bien qu’officieux, tout en assurant officiellement la régence du royaume lorsque Richard est absent. Elle est d’abord réticente à l’idée que son fils se marie, craignant de perdre du pouvoir. Elle finit tout-de-même par approuver son union avec Bérangère d’Aragon en 1191.

Quelques années plus tard, Richard part pour la Troisième Croisade et est capturé par Henri VI, empereur germanique. Contre sa libération, il exige une rançon plus élevée que le revenu annuel du pays. Aliénor est dévastée. Mais vous vous en doutez, ce n’est pas tout à fait son style de se morfondre sur elle-même. La voilà qui joue de ses connections et de ses talents diplomatiques afin de rassembler la somme demandée. En 1194, Richard est libéré, grâce à la persévérance et l’habileté de sa mère.

En 1199, Richard Cœur de Lion est touché par un carreau d’arbalète. Le tir ne le tue pas sur le champ mais lui sera tout-de-même fatal. Mourant, Aliénor le convainc de placer son frère Jean sur le trône. Ainsi fut fait. Aliénor conserve donc son influence politique. Jean Sans Terre, fils d’Aliénor et d’Henri II n’est pourtant pas à la hauteur de son frère. Les tensions se fortifient entre les rois de France et d’Angleterre et les agissements diplomatiques d’Aliénor (comme marier le fils du roi de France à une de ses proche parente) n’apaisent que temporairement les choses.

Arthur de Bretagne, placé par le roi de France à la tête d’une puissante armée, attaque la Touraine. Aliénor se réfugie à Mirebeau, mais la ville se fait assiéger. Presque octogénaire, elle résiste pourtant au siège avec un petit groupe d’individu. Elle parvient à envoyer un messager auprès de son fils Jean, qui mène aussitôt une expédition défensive, capturant dans la foulée Arthur de Bretagne et d’autres figures importantes. Cette victoire est inédite.

Notre Aliénor meurt alors en 1204, ayant passé 80 ans. Son caractère, quelque peu romancé sous ma plume, reste en réalité relativement méconnu. Néanmoins, beaucoup de mouvements féministes en ont fait une figure importante, et à raison. Peu importe les détails, exercer une telle influence à son époque est inouï. Rares sont celles qui ont su tenir tête à leurs maris comme Aliénor l’a fait.

On ne nie l’influence qu’elle a exercé sur ses maris et on constate ses actes démocratiques, mais il est difficile de tirer d’elle un portrait véritable. Les descriptions de son caractère sont rares et se divisent généralement en deux catégories. D’un côté les troubadours qui chantent sa beauté et ses charmes de façon plutôt stéréotypée. De l’autre, à cette époque, nombreux sont ceux qui parlent d’elle comme d’une figure maléfique, nymphomane, manipulatrice et dangereuse. On lui reproche d’être incestueuse et de chevaucher en amazone pendant la Deuxième Croisade. Ces descriptions, qui ne sortent que de bouches masculines, témoignent tout de même d’un certain pouvoir qu’elle semblait exercer et de la crainte qu’engendrait une telle force dans les mains d’une femme.

Si Aliénor d’Aquitaine est reprise de nos jours comme une figure féministe, ce n’est pas parce qu’elle manifestait une volonté quelconque d’améliorer le bien-être des femmes. Non, c’est parce qu’elle a su se faire une place à une époque où la femme n’avait aucun pouvoir décisionnel. Elle a mené sa vie comme elle l’entendait, elle a joui de ses richesses, apprécié l’art, les jeux et la vie. Elle a refusé de se soumettre à ses maris ou de se laisser abattre par l’adversité. En agissant de la sorte elle a montré qu’une femme pouvait être suffisamment intelligente, stratège et forte pour diriger un pays et remonter son économie. Quelques qu’aient été ses intentions, l’idée de cette reine insoumise, courageuse et conquérante, chevauchant en amazone sur une terre convoitée, ne peut laisser indifférent.

Bibliographie

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