Le Bonjour de Jack Rollan, homme-orchestre

Le Bonjour de Jack Rollan, homme-orchestre

Jack Rollan (Louis Plomb de son vrai nom), naît le 3 mars 1916 à Lausanne. Son père, ancien violoncelliste à l’Orchestre Symphonique de Lausanne, lui transmet le goût de la musique et du spectacle[1]. En 1932 après quelques essais sur les planches du Théâtre Municipal de Lausanne, il se tourne vers sa vraie passion : la musique. Puis il lâche tout pour devenir chansonnier. Il est engagé à Radio Genève pour produire deux chansons par mois, puis rejoint Radio Lausanne et crée le fameux « Bonjour de Jack Rollan » et multiplie les écrits satiriques[2]. En 1952, il se tourne vers la presse écrite et le 5 novembre de la même année sort le premier numéro du Bon Jour de Jack Rollan, journal hebdomadaire satirique au sein duquel œuvre son fidèle ami et dessinateur André Paul.

À la fois chansonnier, poète, humoriste, musicien, compositeur, écrivain, chroniqueur, éditeur, homme de radio et de théâtre, publicitaire et même bédéiste, il est le parfait produit d’une époque en plein changement : celui de la Guerre froide et des « Trente glorieuses » [3]. Se définissant lui-même comme un « bricoleur polyvalent »[4], il ne cesse de changer de casquettes au fil de sa carrière.

Radio et presse satirique : le Bonjour de Jack Rollan

La presse écrite s’impose à lui comme substitut à la radio. Rodé en la matière (il compose déjà de nombreuses chroniques dans divers journaux, notamment dans Le Curieux ainsi que dans La Nouvelle Revue de Lausanne, pendant la guerre), il sort le premier Bon Jour de Jack Rollan le 5 novembre 1952. Cet « organe officiel des satires » est accompagné d’un texte expliquant sa démarche : « Simplement : pour dénoncer les mille saloperies dont on ne parle que dans le tram – et encore à voix basse ! Simplement parce que malgré tous les journaux, il reste encore une place immense pour la vérité. L’allégorie la veut toute nue. Ce n’est pas moi qui la rhabillerais. »[5] le ton est donné.

Le premier numéro est un véritable triomphe. Tirés à plus de 100’000 exemplaires[6], pendant six années, ce sont alors 135 numéros qui paraissent à intervalles variables. Ce journal, plus ou moins hebdomadaire, est une vraie réussite pour l’époque. En effet, au début des années 1970, de nombreux journaux satiriques illustrés font leur apparition comme La Pomme de Rolf Kesselring qui durera une année de 1970 à 1971, puis La Pilule de Narcisse-René Praz de 1970 à 1975, et enfin du même rédacteur : Le Crétin des Alpes qui couvrira toute l’année 1979. Mais ils ne dépasseront jamais les scores de vente ni la longévité atteinte par Le Bon Jour.

En dépit de ce succès, Jack Rollan fait faillite suite à la création, en 1958, d’un spectacle satirique itinérant sous chapiteau, intitulé « Y’en a point comme nous » : une parodie de l’histoire suisse. Deux ans plus tard, il refait une tentative avec Le Journal de Jack Rollan – dont il est le seul rédacteur –  ; la veine journalistique et le nouveau graphisme ne plaisent pas[7], il doit jeter l’éponge après plus de neuf numéros.

Puis il reprend sa marque fabrique : Le bonjour de Jack Rollan  paraît tous les deux jours, puis quotidiennement jusqu’en 1974, dans le journal La Suisse qui met un terme à l’aventure suite à un nouveau scandale. Jack rebondit en reprenant le titre à son compte Cette fois une équipe complète de chroniqueurs l’accompagne dans son entreprise. À ses fidèles collaborateurs comme André Paul et André Marcel[8] s’ajoutent de nouveaux collègues, dont Lova Golovtchiner, journaliste et écrivain. Mais le périodique est un nouvel échec financier et disparaît comme son prédécesseur après neuf numéros seulement, malgré un début prometteur (70’000 exemplaires vendus).

André Paul : dessinateur du Bonjour

Né au Locle en 1919, dessinateur de presse satirique depuis plus de 70 ans, André Paul (Paul André Perret de son vrai nom) est l’un des grands noms suisses dans ce domaine. Mix & Remix, Chapatte et Burki le considèrent comme « leur ancêtre »[9]. Il collabore tout d’abord avec l’Illustré puis c’est au Bonjour de Jack Rollan qu’il se fait remarquer avec ses  Victimes de la Semaine. Par la suite il donne vie à l’idée farfelue de Jack Rollan de dessiner des personnages d’actualité en forme de pied, c’est le Pied du Jour. Ensemble, ils créent également Chnouki Poutzi, la Kaul-Görl du Bundeshaus, bande dessinée de presse, publiée dans la dernière version du Bonjour de Jack Rollan (de juin à septembre 1974). Après l’arrêt du Bonjour, Chnouki-Poutzi continue d’exister dans la Tribune Dimanche de 1976 à 1977.

Sur cette seconde planche de Chnouki-Poutzi, on peut constater que cette dernière a adopté son nom définitif de Chnouki-Poutzi et non de Nana Lina (1er numéro). Le personnage qui batifole avec Chnouki n’est autre que Léon Schlumpf, directeur à cette époque du département de l’Intérieur et de l’Économie publique, « Monsieur Prix ». Il deviendra par la suite membre de l’UDC, puis Président de la confédération suisse en 1984…

Morgane Brossard


[1] Biographie détaillée, la première du genre, Extrait de : Introduction au fonds d’archives Jack Rollan, Archives Cantonales Vaudoises (ACV), Chavannes-près-Renens, p.4.

[2] Jack Rollan, Petit maltraité d’histoires suisses : de l’Eden au Grütli (non compris), illustrations Robert Lips, Lausanne, La Thune du Guay ; Jack Rollan éditeur, 1950

[3] Françoise Fornerod, Lausanne, le temps des audaces : Les idées, les lettres et les arts de 1945 à 1955, Territoires, Éditions Payot Lausanne, 1993, p.8.

[4] Michel Bory, Jack Rollan, chansonnier, chroniquer, 13 mai 1998, à Lausanne, Yverdon-les-Bains : Plans-fixes, 1998.

[5] Tiré du premier numéro du « Bon Jour de Jack Rollan », publié le 5 novembre 1952

[6] Tiré de : Jacques Huwiler, La fin du Bonjour, « Un jour une heure », 25 décembre 1974, [archive], sur rts.ch consulté le 22 octobre 2017.

[7] Biographie détaillée, la première du genre, Extrait de : Introduction au fonds d’archives Jack Rollan, Archives Cantonales Vaudoises (ACV).

[8] Journaliste et dramaturge vaudois (1902-1996).

[9] Antoine Duplan, « André Paul une vie de dessins », L’Hebdo, 25 mai 2009, p.80.