Quelle valeur pour la nature urbaine en Suisse ?

Paru en juin 2013 dans la revue Biological Conservation, l’article Beyond prejudice : Conservation in the City. A case study, de Joëlle Salomon Cavin, géographe et maître assistante à l’Institut de géographie et durabilité, questionne le rapport que nous entretenons avec la nature urbaine et la valeur que nous attribuons à la biodiversité en Suisse.

Un débat s’est tenu récemment autour de la création d’une nouvelle catégorie de parcs en Suisse à l’Office Fédéral de l’Environnement (OFEV). Le groupe de travail qui s’est penché sur la question a mis en évidence la difficulté actuelle à définir des instruments de protection d’aires naturelles en ville. On a pourtant démontré récemment que la diversité biologique en ville est significative, qu’il s’agisse d’espèces natives ou non natives, et ce mouvement de reconnaissance va grandissant dans les milieux de la conservation. Les zones urbaines ont par ailleurs le potentiel d’abriter des espèces qui ne peuvent se développer dans les zones rurales où l’agriculture intensive domine et où paradoxalement, la diversité biologique est mise en péril.

Si l’efficacité des parcs en terme de conservation n’est pas remise en cause, une hiérarchie implicite définit actuellement la zonations de parcs naturels en Suisse en trois catégories : le parc national suisse, le parc naturel régional et le parc naturel périurbain. Si le groupe de travail de l’OFEV n’a pas abouti à faire reconnaître la nécessité de créer des parcs naturels urbains, c’est notamment parce que cette idée va à l’encontre de la conception traditionelle d’un clivage entre l’homme et la nature d’une part, et d’un clivage entre la ville et la nature d’autre part. L’abandon du projet de création de parcs naturels urbains démontre donc la persistance d’une représentation de la nature comme extérieure et opposée à la ville. Pourtant, la création de parcs naturels urbains peut représenter un plus en matière de qualité de vie et de conservation. En effet, la préservation de la nature en milieu urbain pourrait réduire la densification du bâti. On peut aussi évoquer d’autres enjeux tels que le bien être dont pourraient bénéficier des citoyens proches d’une nature riche en terme de biodiversité. La création de parcs naturels urbains, au profit d’une ville plus harmonieuse, dotée d’une meilleure qualité de vie, représente aussi une possibilité de freiner l’étalement urbain (ou rurbanisation).

A l’heure actuelle, on considère que si elle n’est plus sauvage, la « meilleure nature » est celle située dans le monde rural. Si elle n’est ni sauvage, ni rurale, alors cette nature ne concerne pas la politique des parcs naturels en Suisse. Autrement dit, la nature urbaine est ainsi implicitement considérée comme une sous-catégorie alors même que son importance dans la conservation de la diversité biologique est de plus en plus reconnue. Cette conception favorise donc des zonations « extrêmes » à la fois défavorables pour la conservation d’espaces naturels en ville mais également pour la conservation de la nature en dehors de la ville. Par ailleurs, le fait de ne pas créer de parcs naturels urbains représente une aberration relativement aux principes de la conservation, si l’on considère que la nature forme un ensemble cohérent fait d’interactions qui ignorent les frontières politiques et conceptuelles, alors que le milieu naturel bénéficierait de corridors de biodiversité reliant les mondes ville-nature.

Référence bibliographique

Joëlle Salomon Cavin, Beyond prejudice: Conservation in the City. A case study from Switzerland, Biological Conservation 2013 166, pp. 84–89.

Photo: © ARochau – Fotolia.com

3 Comments on “Quelle valeur pour la nature urbaine en Suisse ?”

  1. En effet, très intéressant car assez nouveau pour moi. Ou peut-on trouver des informations sur les espèces qui s’émancipent dans les villes uniquement ?

    1. Merci pour votre message. Je n’ai pas connaissance d’une source d’informations sur la biodiversité spécifiquement urbaine, et pour cause, la nature ne reconnaît pas cette frontière artificielle qu’est la ville. J’ai par exemple eu l’occasion de voir des espèces d’oiseaux rares au bord du lac à Lausanne, tels que la bernache du Canada ou des canards mandarins, alors qu’il ne résident pas à l’année en ville.
      Cet article présente la division artificielle par essence qu’il existe entre ville et nature.
      Je vous invite à visiter la page « diversité » de l’OFEV: http://www.bafu.admin.ch/biodiversitaet/index.html?lang=fr

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