Alexandre Dubuis

L’expérience des grands brûlés de la face : épreuves sociales et travail de reconnaissance

Alexandre Dubuis est sociologue et travailleur social. Ancien assistant diplômé à l’ISS, il a terminé sa thèse en sociologie en novembre 2013. Dans le cadre professionnel, il est responsable du CIPRET Valais (Centre d’information pour la prévention du tabagisme en Valais) et de la communication de Promotion Santé Valais.

Cette thèse analyse l’épreuve « factuelle » et physique de la brûlure grave pour des grands brûlés de la face. En quelques secondes, un accident provoque une rupture biographique, et il faudra du temps pour que les personnes concernées intègrent leur nouveau statut. Cet travail insiste, en particulier, sur les modes de « reconstruction » d’un rapport à soi et aux autres et sur les tentatives pour retrouver une impossible « apparence normale » dans la vie publique. Tout en étant très attentif aux modalités de l’interaction, il s’inscrit dans la sociologie compréhensive à partir d’observations et d’entretiens menés avec ces personnes.

Cette recherche introduit dans le domaine de la sociologie un registre de discours peu connu, celui de grands brûlés de la face. Ce registre vient compléter certaines représentations véhiculées par les médias, les fictions et qui influent sur la perception et sur la visibilité de ces personnes.

A travers la notion d’épreuve, un concept clef de la sociologie pragmatique, le parcours du grand brûlé a pu être détaillé, en prêtant une attention toute particulière au moment initial du parcours post-brûlure : l’accident. La mise en récit de cette première épreuve est révélatrice des tentatives pour le grand brûlé de maintenir un lien entre un avant et un après l’accident. S’ensuit un continuum d’épreuves qui interviennent dès que le grand brûlé se présente physiquement en face d’autres personnes dans l’espace public et que se manifestent ouvertement des réactions de gêne, de malaise. Dans le prolongement des travaux de Goffman, nous considérons ces situations comme de l’« inconfort interactionnel », d’où la nécessité de ne pas se limiter à une sociologie de la brûlure grave s’attardant uniquement sur les ajustements des interactions. A partir des travaux d’Honneth, nous pouvons lire cette gestion des situations d’interaction dans une autre optique, celle qui, pour le grand brûlé, consiste à se préserver du mépris. Ce travail met ainsi l’accent sur des habiletés interactionnelles, des compétences qui fonctionnent comme des ressorts et permettent au grand brûlé de gérer des situations qui peuvent conduire au mépris. En nous appuyant sur des situations d’interaction racontées, nous avons dégagé deux formes de lutte individuelle qui sonnent comme une quête de reconnaissance : d’une part une « lutte contre » une trop grand visibilité et contre la prégnance de certains préjugés et, d’autre part, une « lutte pour » faire connaître des aspects invisibles ou moins visibles de la brûlure grave.