Ester Boserup

Ester Boserup, économiste d’origine danoise, est née le 18 mai 1910 à Copenhague sous le nom d’Ester Børgesen et elle est morte le 24 septembre 1999. Les thèmes principaux auxquels elle s’est intéressée sont l’agriculture, l’innovation technologique et le genre. Elle a longtemps travaillé pour le compte des Nations-Unies et d’autres organisations internationales. Bien qu’en marge de l’économie académique, elle publie tout de même quelques livres d’économie analytique. Elle a également travaillé pour le gouvernement danois sous l’occupation nazie, et a mené des recherches en Inde. Elle a passé sa vie entre Copenhague et Genève sans jamais vraiment cesser de travailler.

Résumé de la pensée de Boserup

Boserup reste une personnalité importante de l’économie du vingtième siècle pour plusieurs raisons qui correspondent à ses différents champs de recherche. En effet, l’économiste a tour à tour étudié le rapport entre agriculture et économie, l’influence de la technologie sur la subsistance et la place de la femme dans tout cela. En gardant à l’esprit un anti-malthusianisme certain, il convient de voir l’oeuvre de Boserup comme un exemple de la montée en puissance des femmes dans le courant du vingtième siècle. Dans un domaine tel que l’économie, elle a su gagner le respect par des théories innovantes et extrêmement intéressantes quant à l’intrication du social et de l’économie.

Vie personnelle

La petite Ester est la fille unique d’un ingénieur danois qui meurt lorsqu’elle a deux ans. Consciente du fait que sa famille a besoin d’elle, elle étudie consciencieusement et est acceptée à l’Université de Copenhague à l’âge de 19 ans. Durant ses études, elle rencontre l’homme avec qui elle se mariera. Ester Boserup a eu trois enfants, une fille et deux garçons qu’elle parvient à élever tout en s’assurant une brillante carrière. En 1980, son mari, Mogens, meurt et la laisse veuve à 70 ans. Elle meurt 19 ans après son mari à Genève à l’âge de 89 ans.

Vie professionnelle

Ester Boserup fait des études qu’elle décrit comme de l’économie théorique agrémentée de sociologie et d’agronomie, et obtient son diplôme en 1935. Entre 1935 et 1947, elle travaille pour le gouvernement danois sous l’occupation nazie. En 1947, elle déménage à Genève, où travaille pour la Commission Economique de l’Europe auprès des Nations-Unies. En 1957, elle part en Inde avec son mari pour travailler sur une projet agronomique, et elle revient transformée et pleine de nouvelles idées. Elle consacre le reste de sa vie à la rédaction de plusieurs ouvrages.

Les apports théoriques de Boserup

Contre Malthus

Boserup est souvent vue comme une anti-malthusienne, ce qui n’est pas totalement faux, mais pas totalement vrai non plus. En effet, elle reprend les théories de Malthus sur le rapport entre population et production pour les renverser. Néanmoins, c’est des théories de Malthus qu’elle part pour exposer les siennes. Voyons tout de suite en quoi consiste le renversement que Boserup effectue par rapport aux théories de Malthus.

Deux mouvements caractérisent ce renversement. Tout d’abord, pour Malthus la taille et l’accroissement de la population sont fonction de l’approvisionnement en nourriture et de l’agriculture. Boserup reprend les mêmes termes et les inverses pour dire qu’au contraire l’agriculture et l’approvisionnement agro-alimentaire dépendent de la taille et de l’accroissement de la population. Cela peut paraître surprenant mais c’est simplement une question de savoir si l’on considère que l’homme subit passivement les aléas démographiques ou sait réagir et s’adapter. Malthus a l’air de dire que l’homme subit, alors que Boserup le voit comme capable de réagir. Cette capacité est encore plus visible dans le deuxième mouvement qui caractérise le renversement. Ce dernier réside dans la critique de l’idée de Malthus disant que si l’approvisionnement n’est plus suffisant, l’excédant de population meurt. Boserup n’est pas d’accord avec cela, et voit dans l’histoire un mouvement plus intéressant qui montre que lorsque l’approvisionnement en nourriture n’est plus suffisant, l’homme va inventer quelque chose (technique, machine, etc.) permettant d’augmenter cet approvisionnement et de se remettre à flot.

Ces deux mouvements caractéristiques présentent Boserup comme une économiste non classique. En critiquant Malthus et en renversant sa perspective, elle permet une vision de l’économie plus centrée sur l’homme et ses attitudes. C’est pour cela que les milieux sociologiques et anthropologiques ont beaucoup travaillé à la mise en évidence des travaux de Boserup. Il n’y a rien de révolutionnaire dans ce double mouvement, simplement une modification du point de vue qui permet d’humaniser les processus économiques.

Technologie, agriculture et économie

Comme cela a déjà été noté, Boserup défend la thèse selon laquelle les êtres humains sont capables de réagir et de s’adapter aux situations les mettant en danger en tant que communauté, notamment dans son premier ouvrage publié en 1965: « Évolution agraire et pression démographique« .

Un des arguments pour défendre cette thèse est le suivant. Les théories de la modernisation présentes dans le monde académique à ce moment-là disaient que les populations technologiquement moins avancées devaient aller chercher chez les plus avancées les solutions technologiques à leurs problèmes. Boserup fait partie des intellectuels s’opposant à cette idée. En effet, selon elle, les populations rencontrant des problèmes économiques développent elles-mêmes leurs propres technologies pour y répondre. Ces solutions technologiques sont souvent ressemblantes, car les problèmes sont les mêmes, mais chaque population peut apporter une réponse adéquate à ses problèmes, en fonction de ses caractéristiques culturelles.

Cette démarche contre l’ethnocentrisme a fait sensation dans les milieux de l’anthropologie et de la géographique humaine. Une économiste capable de proposer des théories suffisamment décentrées pour englober toutes les populations était quelque chose de véritablement nouveau. En ce sens, on peut voir Ester Boserup comme une des pionnières de l’anthropologie économique. En ce sens, voyons la distinction très parlante que cette dernière fait entre les fermiers travaillant dans une logique de subsistance et les fermiers travaillant dans une logique commerciale.

Boserup explique qu’il n’y a plus une seule manière d’aborder le problème des rapports entre agriculture et économie. En effet, depuis la création des villes, il existe un nouveau type de fermier qui change la logique du corps de métier: le fermier commercial. Alors que le but premier du fermier visant la subsistance est de minimiser les risques, sans recherche de maximum, le but du fermier commercial est de maximiser le profit. Les différentes logiques sont alors mises à jour et Boserup montre comment cette nouvelle logique agricole va permettre au marché d’avoir encore plus d’influence sur un corps de métier déjà malmené.

Les études de genre

Boserup a amené une réflexion extrêmement importante au sein des études de genre. En effet, elle fut une des premières personnes dans le monde scientifique à étudier le statut des femmes dans les pays en développement, la division du travail entre homme et femme, les secteurs de travail, etc. La place qu’elle a donnée aux femmes dans son oeuvre est importante, et la défense de la reconnaissance du travail effectué par celles-ci dans les pays en développement y a largement contribué. Dans le domaine de l’agriculture, les femmes ont toujours eu un rôle important dans les pays en développement. Toujours dans son souci de rapport production/population, Boserup a notamment décrit comment une meilleure éducation donnée aux femmes permettrait la réduction de l’accroissement de la population des pays en développement et permettrait donc d’atténuer les problèmes dus à la nutrition. Bref, la place de la femme dans les théories de Boserup est centrale, et elle illustre bien la manière qu’à l’être humain de trouver des solutions lorsque des problèmes économiques se présentent.

Bibliographie commentée

Boserup, E. (1970). Évolution agraire et pression démographique. Paris: Flammarion. (Oeuvre originale publiée en 1965)

Cet ouvrage fait sensation à sa sortie et a de la résonnance au-delà du monde économique, notamment en géographie et en anthropologie. Boserup y critique les théories de Malthus quant à la passivité de l’homme quand il rencontre des problèmes économiques liés aux ressources naturelles. En effet, l’être humain est créatif et plus encore lorsqu’il est sous pression. Ainsi, les technologies de l’agriculture seront développées au fur et à mesure des problèmes rencontrés.

Boserup, E. (1983). La femme face au développement économique. Paris: Presses Universitaires de France. (Oeuvre originale publiée en 1970)

Boserup propose une analyse du rôle de la femme à l’intérieur du processus de développement économique de pays tels que l’Inde ou le Sénégal, pays considérés comme moins développés. Elle y montre la place très importante de la femme dans les économies familiales et notamment dans le milieu de l’agriculture dans lequel les femmes représentent une des principales sources de main d’oeuvre. Cet ouvrage est très important dans le débat en études de genre. Le concept de Women In Developpment (WID) a beaucoup pris des travaux de recherche d’Ester Boserup, notamment pour montrer qu’on ne peut pas considérer les femmes comme secondaires dans le développement économique d’un pays.

Boserup, E. (1981). Population and technology. Oxford: B.Blackwell. (Édition originale)

Dans ce livre, Boserup montre la manière dont les réactions de l’homme face aux problèmes rencontrés, et les innovations technologiques qu’il produit, ont fait changer du tout au tout le paysage physique et social du monde agricole. Les évolutions économiques, écologiques et technologiques ont fait évoluer les rapports et les manières d’interagir entre l’homme et la terre. Ce livre est une belle synthèse des recherches menées jusqu’alors et des conclusions auxquelles Boserup est arrivée.

Références

Tinker, I. (2003). A tribute to Ester Boserup: utilizing interdisciplinary to analyze global socio-economic change. In Global tensions: challenges and opportunities in the economy. Actes du colloque « Global tensions conference », Cornell University. London: Routledge Press.

Turner, B.L. (2010). Ester Boserup: an interdisciplinary visionary relevant for sustainability. In Fischer-Kowalski, M. Proceedings of the National Academy of Sciences. Volume 107. Numéro 51. pp. 21963-21965.

Projets de recherche

Comment aborder les interactions entre genre et développement?

Démographie et développement: quelles interactions?

L’agriculture dans les théories du développement