Par monts et par vaux

8 juin au-dessus d’Evolène, dans le val d’Hérens. Le doctorant en géologie Adrien Pantet sillonne l’alpage de la Niva pour tenter de comprendre plus finement les origines et la mise en place des roches de la nappe du Mont Fort. Reportage.

Son terrain de jeu, la nappe tectonique du Mont Fort, traverse vraisemblablement les vaux d’Aoste (Italie), de Bagnes, des Dix, d’Hérens et d’Anniviers. « Elle pourrait même s’étendre jusqu’à la vallée de Zermatt », souffle Adrien Pantet en évoquant ces roches qui se sont déformées et plissées ensemble lors de la création des Alpes il y a plusieurs dizaines de millions d’années. Dans le cadre de sa thèse à l’Institut des sciences de la Terre, le géologue tente de comprendre plus finement les contours et le fonctionnement de cette nappe. Comment ces roches se sont-elles formées ? D’où proviennent-elles ? Dans quel environnement ont-elles été façonnées ?

Autant d’informations que le chercheur souhaite pouvoir affiner en les étudiant de manière plus approfondie. Un travail laborieux puisqu’ici, dans le Valais central, les différentes couches sont nettement plus replissées et emboîtées que dans d’autres régions, comme par exemple la rive droite du Rhône. « Or il suffit que l’une d’entre elles soit « attribuée » à une autre nappe, notamment à celle voisine du Tsaté, pour que les contours des cartes géologiques actuelles soient totalement modifiés », indique Adrien Pantet au volant de sa Berlingo.

Entre continent et océan

La nappe du Mont Fort se situait à la frontière entre la plaque tectonique européenne (eurasienne) et la Téthys alpine, une mer qui a disparu lors de la formation de la chaîne montagneuse. Des recherches récentes menées par exemple au large du Portugal ont permis d’apporter de nouveaux éclairages relatifs aux transitions entre continents et océans. « On sait aujourd’hui qu’elles ne sont pas franches et peuvent s’étendre sur des centaines de kilomètres. Réétudier certaines régions très déformées des Alpes à la lumière de ces nouvelles théories pourrait peut-être permettre de mieux comprendre la structure tectonique et l’origine des roches de ces zones », se réjouit le doctorant.

Après une heure passée sur les routes sinueuses du val d’Hérens, nous sommes accueillis à l’alpage de la Niva (2300 m) par le sifflement d’une marmotte qui déguerpit. Un paysage typiquement alpin et un soleil radieux s’offrent à nous. Carnet de notes, GPS, boussole, appareil photo et cartes en poche, nous entamons une marche sur l’alpage. Ce dernier, tout comme les régions des barrages de Mauvoisin (val de Bagnes), de la Grande Dixence (val des Dix) et de Moiry (val d’Anniviers) constitue actuellement l’un des terrains de recherches privilégiés d’Adrien Pantet.

Travail exploratoire

A la belle saison, il sillonne ces lieux à pied pour cibler les zones où les contacts entre différents types de roches s’observent le mieux. « Une roche a pu se déposer sur une autre par sédimentation, dans un fond marin par exemple. On parle alors de contact originel, ou stratigraphique. A contrario, si les deux structures ont été juxtaposées tardivement, pendant la formation des Alpes, on parle de contact tectonique. Il peut notamment être marqué par une déformation localement plus forte. Dans tous les cas, il s’agit d’informations essentielles pour cerner le fonctionnement d’une nappe. »

Le doctorant effectue actuellement sa deuxième saison de terrain. En pleine phase exploratoire, ses meilleurs outils sont… ses yeux et ses jambes. Pas de quoi effrayer Adrien Pantet qui travaille depuis près de dix ans comme guide de haute montagne. Son ambition, proposer un jour des marches à thème, spécifiquement axées sur la géologie des lieux.

« Encore de l’herbe… » Serein et patient, le chercheur tente de suivre les contacts entre les différents types de roche. Difficile de voir où s’arrête la couche de calcaire (sédiments marins) et où commencent les roches du socle (unité plus vieille, composée ici d’anciens sédiments et de roches volcaniques). Les zones de contact entre les deux sont, à cette altitude, fréquemment masquées par une épaisse végétation, de la terre ou les restes de moraines d’un glacier.

Avant ou pendant la formation des Alpes ?

Au fur et à mesure de notre ascension, la roche se met à nu. Au sud-est, une vue splendide s’ouvre sur les « 4000 m » de la Couronne impériale, notamment le Weisshorn, la Dent Blanche et, plus discret, le Cervin. Adrien Pantet s’arrête à plusieurs reprises pour observer les changements de couleurs, de texture… Tout est soigneusement documenté dans un calepin. Y compris les coordonnées GPS des lieux d’observation. Sa boussole lui permet de mesurer précisément l’orientation et l’inclinaison des couches géologiques. L’humidité du sol et la présence de quelques crocus survivants révèlent que la neige était encore présente il y a peu. Nous sommes le 8 juin.

Adrien Pantet mesure l’orientation et l’inclinaison d’une couche géologique. Photo Fabrice Ducrest © UNIL

Il dépose de temps à autre quelques gouttes d’acide chlorhydrique sur une roche. « Si la solution se met à mousser, cela signifie qu’il s’agit d’un calcaire, indique-t-il. Parfois, je prélève des échantillons en vue d’éventuelles analyses chimiques plus poussées. »

Durant la marche, nous tombons sur une roche étrange : un conglomérat, en l’occurrence un calcaire grisâtre et granuleux rempli de gravillons de roches du socle. Ces dernières sont beaucoup plus anciennes. Or elles s’observent en grande quantité à proximité immédiate de la couche calcaire. « Ce conglomérat pourrait être dû à un éboulement sous-marin. Cela pourrait indiquer que ces couches étaient déjà en contact avant la formation des Alpes et qu’elles se sont ensuite déformées et plissées ensemble, suppose Adrien Pantet. Mais demandez l’avis de cinq géologues, vous aurez cinq interprétations différentes ! » plaisante-t-il.

Le scientifique observe et documente plusieurs autres conglomérats, dont un imposant bloc de quartzite lisse et clair, d’environ 40 cm, également encastré dans du calcaire. La journée de terrain se termine au col de la Meina (2702 m) qui offre une vue imprenable sur le barrage de la Grande Dixence et le val des Dix. Un autre terrain de recherche qu’Adrien Pantet arpentera également dans le cadre de son doctorat.

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