Menace sur la reproduction médicalement assistée

Menace sur la reproduction médicalement assistée

De plus en plus de couple ont recours à l’insémination artificielle. Dans les années qui viennent, 2% des bébés naîtront grâce à ce genre d’assistance. Le problème? On manque de donneurs. La banque de sperme du CHUV arrive au bout de ses réserves et va prochainement recruter de nouveaux donneurs. Quel est le profil de ces hommes? Quelles sont leurs motivations? Tour d’horizon avec Dominique de Ziegler, médecin-chef du réseau romand de procréation médicalement assistée.

La pratique ne date pas d’hier. L’insémination avec don du sperme se faisait déjà en Europe, au XVIIIe siècle. Bien avant que les techniques de procréation médicalement assistée (PMA) ne voient le jour. Mais aujourd’hui, la méthode a été médicalisée.

Parmi toutes les techniques actuellement utilisées pour aider les couples ayant des difficultés à avoir des enfants, elle est «l’une des plus faciles à mettre en œuvre, car la collecte de la semence est aisée», précise Dominique de Ziegler, responsable de la banque de sperme du CHUV et médecin-chef du réseau romand de procréation médicalement assistée aux CHUV et aux HUG (Hôpitaux universitaires de Genève).

Les réserves arrivent à épuisement

Reste malgré tout à trouver des donneurs. Pour l’Hôpital vaudois dont les réserves de sperme congelé utilisables arriveront bientôt à épuisement, le recrutement risque de ne pas être une mince affaire. En brisant leur anonymat, la réglementation en vigueur a en effet de quoi décourager nombre de volontaires potentiels.

Pour pallier les cas d’infertilité masculine, il est fait appel au sperme d’un donneur, qui est essentiellement utilisé pour inséminer la femme. Restent les rares cas où les deux partenaires du couple sont stériles. Jusqu’au début des années 1990, on avait alors recours à la semence d’un donneur pour réaliser des fécondations in vitro. Mais les besoins ont considérablement diminué depuis la mise au point de la micro-injection.

La révolution de la micro-injection

Cette technique, connue sous son acronyme anglais ICSI (Intra-Cyclopasmic Sperm Injection ou injection intracycloplasmique de spermatozoïdes), consiste à introduire, avec une aiguille, un spermatozoïde dans l’ovocyte. Ainsi, une seule cellule mâle peut suffire à assurer la fécondation, alors qu’il en faut plusieurs millions lorsque la procréation se fait par la voie naturelle.

Ce procédé a constitué une véritable «révolution» dans la prise en charge de l’infertilité masculine, selon Dominique de Ziegler. Il permet en effet, dans la plupart, des cas de réaliser la fécondation avec le sperme du conjoint.

Quatre banques de sperme en Suisse, dont deux à Lausanne

Aujourd’hui, le recours au sperme d’un donneur représente une part infime des procréations médicalement assistées réalisées dans les centres spécialisés. Parmi les 3000 enfants nés à l’Unité de médecine de la reproduction du CHUV, depuis sa création en 1984, Dominique de Ziegler estime que «3 à 4%» sont venus au monde grâce à un don de sperme.

Ces chiffres sont toutefois surestimés et résultent d’un «biais». L’ouverture d’une banque de sperme «étant très réglementée», il n’existe en effet que quatre centres agréés en Suisse. L’un est à Schaffhouse, un autre à Lugano et les deux autres sont à Lausanne. Le prédécesseur de Dominique de Ziegler au CHUV, Marc Germond, a en effet créé il y a deux ans dans la capitale vaudoise un centre privé de PMA qui dispose de sa propre banque de sperme depuis janvier dernier.

La plupart des cliniques privées pratiquant des PMA en Suisse romande et au-delà s’adressent donc au CHUV pour obtenir des échantillons de semence. En outre, de nombreux couples de la région, connaissant l’existence de sa banque, s’adressent directement à l’Hôpital vaudois pour se faire traiter. Autant dire que les chiffres avancés par Dominique de Ziegler sont, selon ses propres termes, «artificiellement élevés».

Recrutement de donneur

Pour faire face à la demande, le CHUV doit donc recruter périodiquement des donneurs. Comment? «Certains viennent spontanément, d’autres répondent à des annonces que nous mettons dans la presse, surtout dans les journaux pour étudiants.» Mais tous les volontaires ne font pas l’affaire. Les médecins doivent s’assurer qu’ils n’ont pas de maladie génétique, et qu’ils ne sont porteurs ni du virus de l’hépatite, ni de celui du sida.

L’émergence de cette épidémie a d’ailleurs modifié la donne. Auparavant, l’insémination se faisait avec du sperme frais. «On avait une liste de donneurs. En cas de besoin, on en appelait un; il venait à l’hôpital en entrant par une porte et la patiente arrivait par une autre, afin qu’ils ne se rencontrent pas. On procédait alors immédiatement à l’insémination», explique le médecin.

Mais tout a changé lorsque, «durant l’été 1985, en Australie, on a suspecté une transmission du sida par un don de sperme». Cela a provoqué une «panique» et, depuis, obligation a été faite de congeler la semence et de mettre les paillettes en quarantaine pendant six mois. Si, à l’issue de cette période, les tests de dépistage du virus HIV pratiqués sur les donneurs sont toujours négatifs, le sperme est «libéré» et peut être utilisé. Reste que le processus de congélation-décongélation diminue l’efficacité de la semence.

Une semence de «bonne qualité»

Les volontaires retenus ne doivent pas seulement être exempts d’infections graves. Ils doivent aussi avoir une semence de «bonne qualité», c’est-à-dire renfermant une certaine quantité de spermatozoïdes (qui se compte en millions par millilitre), lesquels doivent aussi avoir une certaine mobilité.

En outre, précise Dominique de Ziegler, «le sperme doit contenir au moins 15% de spermatozoïdes considérés comme «normaux». Cela dit, cette normalité est autoproclamée, car il n’y a pas de moyens de la mesurer. Il est d’ailleurs étonnant que l’on accepte 85% de spermatozoïdes anormaux, mais c’est ainsi!»

La couleur des yeux

Par ailleurs, les médecins cherchent à avoir un panel représentatif des différents phénotypes existant dans la population, en d’autres termes de la variété des caractéristiques humaines. Cela, afin «de respecter les couples, explique le spécialiste. Nous tenons par exemple compte de la couleur des yeux: si les deux parents ont les yeux bleus et que vous prenez un donneur qui les a marrons, il y aura maldonne évidente et les parents seront obligés de s’expliquer.» Même chose pour la corpulence, la couleur de la peau, etc. – bien que tous les groupes ethniques ne soient pas représentés chez les donneurs.

Même le groupe sanguin est pris en considération, afin de faire en sorte que celui de l’enfant ne soit pas incompatible avec celui de ses parents. Une précaution que Dominique de Ziegler juge malgré tout «un peu illusoire. D’ici quelques années, la science aura fait de tels progrès qu’un enfant pourra connaître facilement sa carte génétique» et deux frères verront tout de suite qu’ils ne sont pas issus du même père.

«Certains hommes ont une fécondité redoutable»

Lorsqu’un couple a pu mener à bien une grossesse grâce à un don de sperme et qu’il souhaite avoir un autre enfant, «il réclame souvent d’avoir le même donneur», constate le médecin vaudois. Une attitude logique.

La procréation médicalement assistée reste «un parcours du combattant» et un premier essai fructueux est au moins un signe que le donneur a une bonne fécondité. En effet, à qualité de sperme égale, «certains hommes ont une fécondité redoutable alors que d’autres en ont une beaucoup plus faible, sans que l’on sache pourquoi». En outre, en faisant appel au même père biologique, les parents «ont l’impression que leurs enfants seront plus proches l’un de l’autre. Nous, nous ne jugeons pas et, lorsque c’est possible, nous leur donnons satisfaction.»

Pas plus de huit grossesses par donneur

Cela ne l’est pas toujours, d’autant plus que l’unité de médecine de la reproduction du CHUV est en passe de manquer de donneurs. Actuellement, sa banque renferme des échantillons de sperme congelés provenant d’une trentaine d’hommes. Cela suffirait si nombre d’entre eux n’étaient pas «en bout de course», selon l’expression du directeur de l’UMR. Car la réglementation limite à huit le nombre de grossesses qu’il est possible d’obtenir avec la semence d’un même volontaire.

Eviter l’émergence des «super-papas»

L’idée est d’éviter l’émergence de «super-papas» comme on en voit décrits dans la littérature, et parfois même dans la réalité, ainsi qu’en témoigne l’histoire de ce médecin de Washington que raconte Dominique de Ziegler. «L’affaire avait commencé au moment où l’on utilisait encore du sperme frais. Le donneur ne s’étant pas présenté au rendez-vous, le médecin s’était substitué à lui pour ne pas décevoir sa patiente. Puis, désirant limiter les frais de fonctionnement de sa clinique, il a continué de procéder ainsi. Il aurait ainsi eu 80 enfants, avant d’être démasqué.»

Le nombre de grossesse par donneur a donc été restreint afin de limiter les possibilités de mariages consanguins involontaires. Dominique de Ziegler juge toutefois cette règle «illusoire», dans la mesure où, dans la population générale, «on estime que 10 à 15% des gens ont un père qui n’est pas celui qui est annoncé». Et le spécialiste d’ajouter en riant: «C’est une chose assez incroyable, un mystère dont seules les femmes ont la clé!»

La loi a changé

L’Unité de médecine de la reproduction (UMR) se prépare donc à recruter de nouveaux donneurs. Mais elle risque de rencontrer des difficultés, car les volontaires ont tendance à se faire rare. La cause en est la Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée entrée en vigueur le 1er janvier 2001: elle auto rise un enfant, à l’âge de 16 ans, à connaître l’identité de son père biologique (lire l’interview d’Alberto Bondolfi). Cette possible rupture de son anonymat décourage plus d’un volontaire potentiel.

Un don du sperme par hyperaltruisme?

En outre, selon Dominique de Ziegler, «elle modifie la motivation des donneurs ». Auparavant, il s’agissait le plus souvent de jeunes gens, notamment des étudiants en médecine, «qui venaient simplement parce qu’ils avaient besoin d’un peu d’argent» – car les dons sont rétribués. Leur motivation, estime le médecin, était «la plus simple et la plus saine».

Mais beaucoup d’entre eux risquent maintenant de renoncer, de peur d’être identifiés quelques années plus tard. «Nous aurons alors des hommes qui acceptent de donner leur sperme par hyperaltruisme, par désir d’aider l’humanité» – une motivation qui met le médecin du CHUV «mal à l’aise», car il la trouve «plus suspecte». En permettant à l’enfant de connaître son origine, «on génère d’autres inconnues, ajoute-t-il. Quel est le mobile d’un donneur qui accepte d’être identifié? C’est difficile à dire.»

On l’aura compris, cette loi n’a pas les faveurs de Dominique de Ziegler, ni d’ailleurs d’Alberto Bondolfi qui estime qu’elle devrait être révisée. En attendant, la banque du sperme du CHUV doit faire avec, et tenter d’attirer de nouveaux donneurs.

Elisabeth Gordon

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