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Hélène de Troie. Œuvre de Dante Gabriel Rossetti (1863), conservée à la Kunsthalle de Hambourg. © AKG-images
Hélène de Troie. Œuvre de Dante Gabriel Rossetti (1863), conservée à la Kunsthalle de Hambourg. © AKG-images

Vous avez dit mythes ?

Dans un essai fort savant, l’anthropologue et helléniste Claude Calame démontre que la mythologie grecque n’a pas fini de nous surprendre.

«Qu’est-ce que la mythologie ?», s’interroge Claude Calame dans un gros ouvrage publié chez Folio Essais. La réponse, on s’en doute, n’est pas simple. Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en Sciences sociales à Paris, l’anthropologue et helléniste suisse – qui a longtemps enseigné à l’Université de Lausanne – rappelle en préambule l’existence de multiples versions des mythes grecs «qui invitent à de constantes réinterprétations et à des puissantes recréations». Il souligne aussi que la signification du mot grec mûthos diffère profondément de celle du français moderne: elle n’a pas le sens de récit traditionnel ou fictif.

Quels termes utilisaient alors les Grecs pour désigner ces fables magnifiques qui nous fascinent toujours autant ? Ils se référaient à la pratique poétique, explique Claude Calame, prenant pour exemple L’Hymne homérique à Déméter qui évoque le rapt de Perséphone par Hadès. Raconter un mythe, précise-t-il, c’est recourir «à une forme poétique pour avoir des effets d’ordre esthétique, émotionnel, politique et moral sur un public particulier dans des circonstances d’énonciations précises».

A travers différents exemples, l’auteur nous démontre ensuite que rien n’est plus instable, plus variable qu’un mythe grec. Le chapitre VI consacré à «Hélène, la guerre de Troie et les desseins d’une première historiographie» se révèle particulièrement éclairant. Claude Calame nous y explique comment la belle Hélène, stigmatisée et jugée responsable de tous les maux dans L’Iliade, est en revanche blanchie par plusieurs écrivains, le philosophe Gorgias, le poète tragique Euripide ou l’historien Hérodote. Pour ce dernier, qui rapporte une version qu’il aurait recueillie auprès des prêtres en Egypte, Hélène ne se serait pas rendue à Troie, mais aurait séjourné sur les bords du Nil durant toute la guerre. Une version «orientée vers le présent, politiquement et moralement marqué par les récentes guerres médiques».

Toujours aussi savant et complexe, Claude Calame interroge ensuite le célèbre devin Tirésias et l’ardent Hippolyte, héros victime de son amour trop exclusif pour Artémis, avant de conclure: «Dans la profusion de leurs versions sans cesse revisitées, par une plasticité qui relève d’une poétique touchant formes et contenus, les mythes grecs continuent à nous offrir non seulement des scénarios d’action, mais aussi des figures d’une extraordinaire épaisseur humaine, emportés que sont les protagonistes des mythes grecs par passions et destinées de mortelles et de mortels éphémères.» / Mireille Descombes

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Qu’est-ce que la mythologie grecque ? De Claude Calame. Folio Essais (2015), 732 p.

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Cet ouvrage collectif est le fruit d’enquêtes de terrain menées par des sociologues et des anthropologues, en Suisse. La grossesse et l’accouchement y sont abordés sous différents angles. Comme par exemple la procréation médicalement assistée, la médicalisation de la maternité, les liens entre les gynécologues-obstétriciens et les sages-femmes ou encore une immersion dans un service de néonatologie. Bien qu’académiques, les articles intéresseront un large public.

Accompagner la naissance. Terrains socio-anthropologiques en Suisse romande. Sous la dir. de Claudine Burton-Jeangros, Raphaël Hammer et Irene Maffi. BSN Press (2014), 203 p.

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Depuis les années 2000, et notamment sous l’influence de la réforme de Bologne, l’interdisciplinarité a pris une importance croissante dans le monde universitaire. Dans ce contexte, que sont devenues les disciplines académiques «classiques»? Cet ouvrage collectif passe cette question au crible, sous quatre points de vue: la gouvernance des institutions, la recherche, les pratiques pédagogiques et le métier d’enseignant-chercheur.

Disciplines académiques en transformation. Entre innovation et résistance. Sous la dir. d’Adriana Gorga et Jean-Philippe Leresche. Editions des Archives contemporaines (2015), 257 p.

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Concocté notamment par Yves Pigneur, professeur en HEC et Alex Osterwalder, co-fondateur de Strategyzer, cet ouvrage constitue la suite de Business Model nouvelle génération, qui s’est vendu à 1 million d’exemplaires en une trentaine de langues. Il se concentre sur la proposition de valeur et donne des outils pour réussir à créer des produits ou des services que les consommateurs veulent. Un livre accessible à tous, grâce à son graphisme exceptionnel, à sa clarté et à ses compléments en ligne.

Value Proposition Design. Par Alex Osterwalder, Yves Pigneur, Greg Bernard, Alan Smith. Wiley (2014), 290 p. La version française paraît en mai chez Pearson.

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Valaisan, Jérôme Meizoz (Faculté des lettres) connaît son coin de pays. Les loups dans ces parages ont bien souvent figure humaine. De cette sorte d’hommes qui détruisent les paysages au nom de la croissance illimitée. Le romancier conte l’agression jamais élucidée subie par un jeune écolo en 1991. Des chapitres brefs font défiler des figures comme celles de Chappaz, Bourdieu ou Franz Weber. Un narrateur mi-ironique et mi-empathique s’adresse en «tu» à un personnage qui fut l’ami du garçon tabassé. Des phrases courtes pour ne pas charger encore ce réel boursouflé par l’activité économique. / Nadine Richon

Haut Val des loups. Par Jérôme Meizoz. Zoé (2015), 123 pages.

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La notion de «formation la vie durant» s’arrêterait-elle d’un coup à l’âge de la retraite ? Professeur honoraire à l’UNIL, Roland J. Campiche déplore le manque de reconnaissance publique des neuf «universités des seniors» que compte la Suisse, ainsi que le faible intérêt des chercheurs pour ce sujet. Pourtant, l’accroissement de l’espérance de vie ouvre des perspectives, à la fois pour de nouvelles formations et des pédagogies à inventer.

Adultes aînés, les oubliés de la formation. Roland J. Campiche et Afi Sika Kuzeawu. Antipodes (2014), 172 p.

Un métier difficile et séduisant

Précaire, fluctuant, le métier de comédien n’est pas facile. Il n’en exerce pas moins un formidable pouvoir d’appel auprès des jeunes. «De l’école à la scène» s’articule autour de cette «apparente antinomie». Réalisée par les sociologues Valérie Rolle et Olivier Moeschler, tous deux rattachés à l’Université de Lausanne, cette étude s’inscrit dans la mission de recherche de la Manufacture-HETSR et a été financée par la Haute Ecole spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO). Se focalisant sur les quatre premières promotions issues de la Manufacture, soit une soixantaine d’individus, elle interroge les «conditions structurelles, institutionnelles et individuelles d’entrée, de maintien et, le cas échéant, de sortie du métier».

Les auteurs situent leur démarche dans le champ de l’analyse sociale des professions et du travail artistiques, se référant notamment aux recherches de Nathalie Heinich et Pierre-Michel Menger. Ils rappellent que les problèmes d’insertion professionnelle ne datent pas d’aujourd’hui, mais qu’ils sont rendus plus visibles par l’exigence «d’employabilité» imposée aux HES (Hautes écoles spécialisées).

Les deux sociologues se sont immergés dans les rythmes et les routines de la Manufacture. Ils en évoquent la naissance en 2003, le choix de former une quinzaine de comédiennes et comédiens au rythme de deux volées tous les trois ans, la reconnaissance HES différée – elle est acquise en 2010 – les exigeants critères pédagogiques de départ et les adaptations nécessaires, le passage du modèle de «théâtre école» à celui d’«école de théâtre». Comment et qui choisir ? Doit-on privilégier les fortes personnalités ou penser prioritairement groupe, cohésion et donc malléabilité ? Emaillant leurs propos avec les témoignages des étudiants, des trois directeurs et des administrateurs, Valérie Rolle et Olivier Moeschler relèvent que les étudiants sont «d’une origine sociale aisée pour la grande majorité».

La fin des études et l’entrée dans la vie professionnelle s’avèrent cruciales pour les comédiens. De compagnons d’aventure artistique à la Manufacture, les voilà qui se retrouvent concurrents et rivaux. Savoir se faire élire, savoir collaborer et se diversifier tout en gardant confiance en soi deviennent des stratégies nécessaires pour trouver des engagements et durer. Et plusieurs y parviennent, pour autant que l’on puisse déjà en juger. / Mireille Descombes

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De l’école à la scène. De Valérie Rolle et Olivier Moeschler. Editions Antipodes (2014), 222 p.

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